20170205

Editorial


Il existe certes de nombreuses manières de combattre le populisme, l’extrême-droite et la culture crépusculaire (nostalgie, mélancolie, intégrisme) qui s’est installée depuis longtemps en Europe. Parmi elles, il en est une qui concerne Le Spectateur européen au premier chef, celle qui oblige chacun d’entre nous à faire attention aux termes qu’il emploie en politique philosophiquement réfléchie : identité, commun, universel, etc. Il est fréquent, dans cette perspective, d’entendre les meilleures « bonnes volontés » frayer avec les formules exclusives, excluantes et ethnocentrées.

Un opuscule vient nous aider à nous exercer à ne pas céder aux sirènes de la xénophobie et de la domination. Il produit des effets émancipateurs qui intéressent chaque citoyenne et chaque citoyen de nos contrées, et la question européenne.

François Jullien publie ces temps-ci un Il n’y a pas d’identité culturelle (Paris, L’Herne, 2016) dont la lecture est indispensable. En voici l’essentiel, articulé à une question prégnante dans les élections diverses qui se déroulent en Europe :

Peut-on traiter la culture en termes d’appartenance, d’identité et d’essence ? Certes, on le peut. Mais quel est le prix – en termes de mythologie (le mythe de l’Un-homogène), en termes moraux (l’exclusion) et en termes politiques (l’exil et la guerre) – à payer pour accepter de croire à ce trait (et de le diffuser) ? Au demeurant, nul n’est propriétaire de « sa » culture. Tout au plus donne-t-elle à chacun l’occasion d’un apprentissage, de mettre ses ressorts en mouvement, et d’assumer une certaine fécondité à elle attachée. Que chaque culture choisisse des règles qui font d’elle un des portraits possibles de l’humanité, ne signifie ni que cette culture constitue un lieu d’enfermement, ni qu’elle soit uniforme et homogène, ni qu’il faille la muséifier.

À ce propos, plutôt que d’asséner à ses lecteurs une leçon de logique portant sur l’usage des termes cités (identité, commun, universel, etc.) – risquant au passage de prendre l’universel pour une évidence, un donné -, Jullien traduit ces termes en autant de questions portant sur le monde contemporain et nos usages apparemment « innocents » du vocabulaire. Ainsi puise-t-il son point de départ dans les trois termes : universel, uniforme et commun.

L’auteur distingue d’emblée un faux universel, il le dit « faible », qui relève plus exactement du général et un universel rigoureux, celui dont « nous avons fait, en Europe, une exigence de la pensée », cette fois un universel de nécessité. L’un n’est que de fait (une « histoire universelle », « une exposition universelle », le globish), l’autre de droit (les droits de l’homme, par exemple).

C’est l’universel de généralité qui s’est imposé au monde historiquement et que nous, les Européens, avons infligé aux autres par la colonisation et le marché : uniformité des modes de vie, des discours et des opinions. Il n’est rien d’autre qu’un faux universel puisqu’il instaure l’uniforme – l’uniforme n’est qu’un simulacre d’universel -, le standard et le stéréotype d’une seule culture. C’est aussi contre cet universel que des peuples entiers se sont révoltés, à juste titre. Mais est-ce une raison pour abandonner toute perspective universelle ? Non. Nous pouvons faire droit et devons même faire droit à un universel « audacieux » et « tranchant » que serait un horizon de discussion interculturel. Il est indispensable de maintenir un tel horizon de l’universel – sous forme d’une exigence à élaborer, qui prétend d’autant moins relever d’un entendement humain naturel que cette notion n’existe pas dans d’autres langues et cultures (la chinoise notamment) -, en matière morale et politique, au risque de voir s’installer tous les arbitraires.

On pourrait en ce sens opposer un universel abstrait (de fait, de domination, d’uniformité, d’intégrisme) et un universel concret (horizon, idéal, exigence). L’intérêt de cette manière de poser le problème de l’universel est qu’elle fait de lui un moteur d’interrogation, une exigence de ne pas se replier sur soi, de ne pas se complaire dans une soi-disant essence de sa culture. Une exigence de muter sans cesse, de rester « vivant », au sens d’une dynamique, d’une interaction constante.

Il en va de même du commun, en tant qu’il a une dimension politique (récuser l’arbitraire, le monadisme, l’atomisation). « Le commun est ce qui se partage ». Mais beaucoup ne pensent le commun qu’au travers de l’uniforme, lui aussi, ou du semblable. Constat d’autant plus important que « sous le régime d’uniformisation imposé par la mondialisation, nous sommes tentés de penser le commun par réduction au semblable, autrement dit par assimilation ». Or, précise l’auteur, « il faut au contraire promouvoir le commun qui n’est pas le semblable ». Seul ce commun est vivant. Au demeurant, le commun est d’abord donné (la famille, la langue, ...), mais ce n’est pas parce qu’il est d’abord donné qu’il doit être maintenu tel quel.

La caractéristique de ces deux notions centrales que sont une exigence d’universel et le maintien d’un commun ouvert, est que chaque culture est ainsi appelée à se réfléchir soi-même dans la confrontation avec les autres, à ne pas s’enfermer dans ce qui serait son « identité », à découvrir sa fécondité et des ressources plurielles qu’elle peut mettre à disposition de tous. Cette exigence ne vaut pas seulement pour les langues et les cultures entre elles. Elle a non moins d’intérêt pour penser la diversité culturelle interne à chaque pays, voire à chaque nouvelle entité politique volontairement constituée (l’Europe, par exemple). « Car cette diversité propre au culturel, intérieur aussi bien qu’extérieur, pose la même question de fond, qui est politique : comment à partir d’une telle diversité, qui est au principe du culturel et en fait la ressource, produire le commun nécessaire pour pouvoir à la fois les deux – déployer l’humain, dans l’extension de ses possibles, et « vivre ensemble » ? »

C’est aussi à ce niveau que commence la bataille de (contre) l’identité ou de l’identitaire. Dans les discours politiques, ces deux termes renvoient systématiquement à la standardisation de l’uniforme et à l’imposition du semblable. Ce qui du point de vue logique répond bien à la définition de l’identité : A = A. Et du point de vue politique signe le parti d’un enfermement et de l’exclusion. Mais dans la même veine, on peut se demander si, son opposé, la « différence », permet de surmonter l’identitaire ? Or, remarque l’auteur, moins la différence est différence de [...], moins elle se fait « écart », plus elle tombe dans l’identité, ce qui s’appelle communautarisme. De là la mise en avant de la notion d’écart, laquelle ne se contente pas d’une distinction, mais pose une distance fructueuse. « L’écart engage une prospection », « sa figure est aventureuse ».

Politiquement donc, l’écart est précieux à penser. Car, penser l’écart, c’est déjà s’obliger à penser « entre », s’ouvrir, s’interdire de se replier sur soi, de se reposer en soi, accepter de se tourner vers l’autre, de se mettre en tension par et avec lui. Cela nous vaut de la part de l’auteur, un bel excursus sur cet « entre » : « l’entre qui n’est ni l’un ni l’autre, n’a pas d’en soi, n’a pas d’essence, n’a rien en propre ». Mais justement, parce qu’il fonctionne ainsi, il est actif, il déclôt les appartenances, et ne cesse de souligner qu’il n’est pas d’identité culturelle. Le propre du culturel, effectivement, est d’être pluriel. Toute représentation de l’identité culturelle est, sans doute, commode pour exclure, mais mythologique. C’est elle qui invente l’idée selon laquelle le divers constituerait une malédiction. Ce n’est d’ailleurs pas l’identité qui est première, mais le divers et l’écart. L’identité procède de la réduction de l’écart, plus ou moins forcée. Le culturel ne peut se déployer que dans la tension de la pluralité.

On mesure, par ce bref parcours, quel coût (politique et moral) résulte de l’usage détourné des concepts. Les dégâts suscités par ce genre d’option sont considérables : outre les références au racisme ainsi qu’à toutes les exclusions, y compris au « clash entre les cultures », il suffit de rappeler le débat par avance mortifère engagé il y a déjà quelques années autour d’une soi-disant « identité européenne » ou autour d’une « culture européenne » (pensée d’avance comme un, identitaire, uniforme). Or, ce qui importe dans une culture, ce sont ses ressources, ce qu’elle permet d’activer, et de confronter, répétons-le : dans une culture et dans le rapport entre cultures.

Christian Ruby







20170204

La crise écologique

La crise environnementale : des maux plus profonds
Sam Durand
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J’avais décrit, dans un précédent article (L’Europe et l’écologie (1)), une partie de la logique systématique qui caractérise la crise climatique. Je m’étais largement appuyé sur la position soutenue par Gardiner, selon laquelle cette crise représente une « tempête morale parfaite » traversant tous les champs éthiques de la vie humaine, pour formuler un argumentaire triptyque où crise des valeurs (associées à l’Humain et son environnement) se déclinait en crise de l’action politique et crise des éthiques individuelles. Cette dernière représentait alors la racine de la question environnementale et l’aboutissement de la crise des valeurs – elle nous a alors semblé être le problème et la solution. Cependant, si la logique décrite ci-dessus me semble toujours adéquate, cet article n’était encore qu’une ébauche, un brouillon duquel nous devons dorénavant nous détacher pour ce que ses aboutissements se sont révélés bien trop spéculatifs, voir tendanciellement faux.

Axel Honneth et Charles Taylor, dans leurs ouvrages respectifs La Réification, petit traité de théorie critique (2) et Le Malaise dans la Modernité (3), ont décrit une logique sensiblement identique à celle que j’ai cru apercevoir dans la crise environnementale. Pour cette raison j’aimerai revenir sur ces ouvrages et leur apport intellectuel, afin de mieux renforcer les fondations des deux articles à venir.

Dans La réification, petit traité de théorie critique, Honneth décrit le phénomène étudié, depuis Lukacs, de la réification (soit le fait de considérer un être, au sens large, comme une chose pour servir nos fins) sous 3 prismes qui s’éclairent les uns les autres dans un enchainement dialectique : la réification intersubjective des autres, la réification du monde et de la nature, l’autoréification. Ainsi il décrit ce phénomène tendant à instrumentaliser les êtres et les hommes, voire nos propres sentiments, moins comme un problème moral (comme je l’avais fait en cédant à une critique quasi-conséquentialiste) que comme un oubli pathologique de la reconnaissance conçue comme rapport qualitatif premier fondant toute connaissance juste.

Pour Lukacs, à qui la paternité de ce concept est attribuée, la réification était un phénomène issu du capitalisme et de l’extension des relations marchandes qui sont caractérisées par 3 phénomènes : a) les objets sont utilisés en vue d’un profit ; b) les individus sont les objets de la transaction ; c) leurs propres ressources sont vues comme des moyens à leur disposition pour accomplir leurs fins. Il pense ainsi que la réification est propre au capitalisme d’une part et, d’autre part, que la rationalisation finit par toucher des lieux sociaux où l’attitude traditionnelle dominait encore : la réification évolue en une seconde nature de l’Homme capitaliste qui devient un froid observateur du monde environnant. Cette observation insensible et détachée lui permet de mieux calculer sa marge d’action et de l’orienter rationnellement pour mieux faire fructifier ses intérêts. La réification est une habitude apprise socialement et socialement rentable.

Elle n’est donc pas une erreur cognitive sans quoi une simple correction serait à effectuer, mais bien plus profonde. Elle n’est pas non plus un problème moral, puisque socialement développée, sans intentionnalité subjective. Elle est donc bien plutôt une praxis manquée. Il s’agit alors pour Honneth de s’interroger sur ce que serait une pratique originaire de l’Homme et de son humanité, une pratique juste de l’humain dans son environnement.
Un détour par Martin Heidegger, Jean-Paul Sartre, John Dewey, ou encore Stanley Cavell, permet à Honneth d’exprimer cette pratique juste comme un rapport originaire et qualitatif aux autres, puis par extension aux choses et enfin à soi-même. La psychologie lui permet ensuite de légitimer l’idée selon laquelle le « moi » est nécessairement un « moi » constitué dans un rapport dialogique et qualitatif aux personnes importantes à nos yeux. Ainsi nous nous rapportons qualitativement aux humains et au monde en embrassant premièrement les rapports qualitatifs qu’ils entretiennent. Par ces constats, Honneth peut affirmer notre rapport au monde comme nécessairement engagé, soucieux et participatif. Aussi la réification ne peut donc faire disparaître ce rapport essentiel à l’élaboration du « moi », elle peut uniquement le déplacer vers un arrière plan de la conscience, le cacher. Elle deviendrait par la même une seconde nature sans pour autant éliminer le caractère originairement soucieux de cette pratique humaine qui devient fondement de toutes connaissances : la reconnaissance précède et fonde la connaissance juste qui est l’objectivation des différents rapports qualitatifs au monde, ouvrant à des formes de connaissances sensibles à la reconnaissance, conservant la conscience de leur origine engagée, sa nécessité comme « mise en évidence de l’objet du savoir » (Cavell) sans laquelle il y aurait une perte de pertinence et de qualité du côté de la réflexion.

Aussi faut-il donc d’abord découvrir le monde dans sa valeur qualitative avant d’entretenir une relation pouvant toucher à l’objectivité, à la neutralité. Par un même mouvement, Adorno ne signifiait pas uniquement que la reconnaissance chez l’enfant se limitait à l’appréhension des points de vue des personnes aimées, il élargissait sa thèse aux objets non-humains « nous respectons tous les aspects particuliers et les significations d’un objet qui doivent leur existence aux attitudes d’autres personnes » (4). Si, pour être dans la pleine reconnaissance, nous devons respecter les représentations et les significations que les autres attribuent à certains objets, alors une réification possible de la nature devient l’oubli de ces significations et sentiments subjectifs attribués, mais aussi peut-être, et pour aller plus loin, l’oubli de l’être du monde en tant que Tout vivant ; en tant qu’écosystème.



Dans un mouvement parallèle mais non équivalent, Taylor, au sein du Malaise dans la Modernité, décrit trois malaises - l’individualisme par la perte d’une « place de l’Humain » dans une « chaîne des êtres » conduisant à un relativisme doux où chacun serait libre de fixer pour lui-même des idéaux dont il serait seul juge dans son narcissisme ; l’essor d’une rationalité instrumentale dégradée par la perte d’idéaux vers lesquels la faire tendre et offrant des réponses technologiques « faciles » à des questions d’un tout autre ordre ; une perte de liberté due aux malaises précédents, soit à une rationalisation réifiante et croissante du monde social notamment - comme les détournements respectifs de la rationalisation du monde comme désenchantement, de la raison émancipatrice et de l’idéal louable d’authenticité qui devient alors un idéal de l’épanouissement d’un soi égocentrique, déconnecté des exigences de ce premier idéal que sont : une création-construction et une découverte, une originalité, une opposition aux règles sociales, parfois même la morale ou tout du moins une certaine morale sociale, mais aussi des horizons de significations pour que la création garde sa perspective, ainsi qu’une définition dialogique de soi.

L’erreur pour Taylor est alors la substitution de la liberté autodéterminée à cet idéal d’authenticité comme liberté de tout faire contre tout par un choix autodéterminé. C’est parce que cette approche ouvre sur un monde désenchanté, sans sens, où nous devons créer des valeurs (sans le pouvoir car ce monde est aplati par le manque d’enjeux cruciaux donc de choix significatifs) que cette collusion est néfaste dans ses tenants comme dans sa dynamique. Ainsi les sources de sens disparaissent et, le choix de la liberté autodéterminée, aussi néfaste soit-il, devient privilégié pour ce qu’il permet aux individus de donner du sens à leur niveau, faisant de la vie un exercice de la liberté. En ce sens « la liberté autodéterminée est en quelque sorte la solution de rechange de la culture de l’authenticité, et elle est en même temps son poison puisqu’elle accentue son anthropocentrisme » (5). Mais paradoxalement elle est donc la seule valeur qui nous reste et réside dans le seul fait de choisir : choisir entre des horizons aplanis, appauvris, donc équivalents.

Il faut donc réhabiliter cet idéal et, dans la lignée de l’augmentation de la liberté, apparaît nécessairement une augmentation de la responsabilité, affirme Taylor. En définitive, il nous présente une application de l’idéal d’authenticité via un type de rapport du soi aux autres, au monde et à lui-même qui peut être décrit comme dialogique et holistique : l’idée d’un souci commun façonnant une conscience collective par une saisie des sources morales de notre civilisation (c’est une dimension historiciste de son approche), qui est aussi saisie du lien à un monde qui est enchanté par son existence même, et par notre présence en elle, par notre conscience par et pour elle. Ces réadaptations permettent aussi une réhabilitation, largement héritée de Francis Bacon, de la raison instrumentale dans un nouveau cadre hors des rapports de domination et de forces que l’on connaît, au sein d’une éthique de la bienveillance saisissant avec justesse l’action humaine qui n’est jamais ce fantôme d’une raison pure pseudo objective car machinale. Ces questions nous conduisent à penser l’Humain, non pas comme prisonnier d’une « cage de fer » mais bien plutôt comme bénéficiant de la possibilité de susciter une conscience collective, donc de l’action collective.

Nous voyons en ceci que cette thèse se recoupe largement (mais pas totalement dans son aboutissement) avec le concept de réification tel que réhabilité par Honneth.



Par ces raisonnements nous voyons poindre en fin de piste l’idée d’un rapport originaire aux autres, au monde et à nous-même qui se pose comme rapport subjectif à l’intersubjectivité. En effectuant ce mouvement, la crise des valeurs n’en est plus une car ouvre sur la possibilité que les valeurs ne soient pas simplement des valeurs autodéterminées mais bien des valeurs partagées dans un double mouvement réflexif entre subjectivité et intersubjectivité. Or nous pouvons effectivement penser l’essor de la réflexion écologique (95% des européens se sentent personnellement concernés par ces questions (6)) à l’aune de ces raisonnements bien que ne puisse être entièrement exclue l’idée trouvable chez Honneth comme Taylor d’une chosification des valeurs auxquelles nous adhérons. L’idée n’est alors pas de créer une nouvelle « chaîne des êtres » pour rendre son enchantement au monde : l’environnement est d’emblée enchanté par notre rapport qualitatif aux autres et donc à lui. Honneth nous dit à propos de Lukacs qu’il entend, sous le terme de réification, « comprendre une habitude de pensée, une sorte de perspective figée dans l’habitude, dont l’adoption fait perdre aux hommes l’aptitude à se rapporter aux personnes et aux évènements du monde de manière participative, engagée. A mesure que le résultat de cette perte s’installe, les sujets se transforment en observateurs passifs auxquels le monde environnant social et physique mais aussi le monde interne apparaitront sous la forme d’un ensemble d’entités chosales » (7). Toutefois il ne laisse pas assez d’espace, contrairement à Taylor, à la formation de cette conscience collective qui nait d’un soucis commun. Nous pouvons alors comprendre l’œuvre de Lovelock James comme une tentative involontaire de déconstruction de la réification concernant le rapport à l’environnement qui doit être perçu comme un écosystème vivant, un tout à considérer dans une pensée holiste, proche (uniquement dans cette mesure) de la pensée de Dewey. Nous sommes dans un rapport au monde qui est « coloré émotivement et existentiellement » nous dit Honneth, un rapport induisant une forme de « lifestyle » au sein de ce monde sensible. Dans ce contexte, l’anthropocentrisme n’est plus à récuser ou à valider pour son aspect pragmatique, mais simplement à laisser de côté pour embrasser un éco-centrisme qui ne se pense pas comme système de pensée mais comme manière originelle d’interpréter et d’agir, soit de se rapporter à ce monde nécessairement vécu intersubjectivement.
De même, la crise des éthiques individuelles semble elle spéculativement endiguée, ces raisonnements ouvrant sur un rapport direct de l’individu aux autres puis au monde. La question devient alors moins celle d’une éthique individuelle qu’il faudrait réhabiliter que celle d’un monde social, économique et politique dont une partie des règles doivent être réadaptées pour laisser libre court à ce rapport authentique et originel aux êtres.

Dans ce contexte demeure alors la crise que je pensais comme intermédiaire et qui devient la plus problématique : la crise de l’action politique. Je tenterai d’en faire émerger les tendances, ainsi qu’éventuellement des solutions potentielles, dans les prochains articles.



Notes



(1) http://european-spectator.blogspot.fr/2016/03/ecologie.html

(2) Honneth Axel, La Réification : petit traité de théorie critique, trad. Haber Stéphane, Gallimard, 2007.

(3) Taylor Charles, Le malaise de la modernité, trad. Melançon Charlotte, éditions du Cerf, 1994.

(4) Honneth Axel, La Réification : petit traité de théorie critique, trad. Haber Stéphane, Gallimard, 2007, p. 87

(5) Taylor Charles, Le malaise de la modernité, trad. Melançon Charlotte, éditions du Cerf, 1994, p. 76.

(6) http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/environnement.html

(7) Honneth Axel, La Réification : petit traité de théorie critique, trad. Haber Stéphane, Gallimard, 2007, p. 72.

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In this second article I endeavored to render one aspect of the environmental crisis that was only briefly discussed in the previous one (1), but which nonetheless represents a central issue in matters relating to the relationship Humans nurture with their environment and with themselves. This article partially contradicts the outcomes of the previous one but hinges on it all the same.

I was able to answer a number of questions left pending in the first Article thanks to Axel Honneth's theories on reification (2) and Charles Taylor’s on the ethical problems of modernity (3).

Honneth asserts that we are today in times characterized by the commodification of others, the Environment and our inner life (feelings simulated to obtain a position, commodification of our qualities to gain social value). This he calls “reification”. Through this process we lose, or forget, this primary and qualitative relation to others, as well as to the world whose qualitative importance has been validated by others, and also to ourselves, hence giving way to a commodifying instrumental rationality which leads us to become cold observers attempting through non-committed observation to maximize our interests. This reification process then becomes a habit learned socially and socially profitable: a second nature. In this perspective, the question is not of a moral nature (as it seems I had wrongly assumed), because the process of reification is not conscious and precisely consists in oblivion. As a consequence, individuals cannot be blamed for the unconscious, unintentional appropriation of this truncated relationship. However, if we must respect and embrace representations and meanings that others give to certain objects in order to be in full recognition, then, to return to our theme, a possible reification of Nature lies in forgetting these meanings and subjective feelings ascribed to it, and even perhaps in forgetting the being of the world as a living whole: as an ecosystem.

In a parallel yet different approach, Taylor describes in “The Malaise of Modernity”, three types of discomfort (1/ individualism through the loss of a "place for Humans" in a "chain of beings" leading to an abated relativism whereby everyone would be free to set ideals for himself while granting to no one but his narcissistic self the right to judge them, 2/ the rise of an instrumental rationality degraded by the loss of ideals which it may pursue while offering “easy" technological responses to questions of a totally different order, 3/ a loss of freedom due to the previous discomforts, that is to say to a reifying, ever increasing rationalization of the social world among other things) as the three respective corruptions of the rationalization of the world as a disenchantment, emancipatory reason and the commendable ideal of authenticity which, through this process, becomes an ideal representation of a fulfilled egocentric self, disconnected from the requirements of this first ideal.

For Taylor, the mistake lies particularly in the substitution of self-determined freedom for this ideal of authenticity consisting in the freedom to do what you want against just anything by a self-determined choice. It is because this approach opens up to a disenchanted world where we must create our values that this collusion is detrimental. Thus the frameworks of meaning disappear, the choice of self-determined freedom is favored because it allows individuals to give meaning at a personal level. Self-determined freedom is the "cheap alternative" to the culture of authenticity, thus exacerbating its anthropocentrism. But paradoxically it is therefore the only value that is left to us and lies in the mere fact of choosing: choosing between levelled, depleted hence equivalent prospects.

In short, he introduces a case study of the ideal of authenticity via a type of relation of the self to others, to the world and to itself which can be described as dialogical and holistic: the idea of a common concern shaping a collective consciousness by appealing to the moral sources of our civilization (a historicist dimension of his approach), which is also linked to a world that is enchanted by its very existence and by our presence in it, our conscience by and for it. These readjustments thus allow a rehabilitation of instrumental reason within an ethic of benevolence accurately grasping human action which is never that phantom of a pure reason, mechanical hence allegedly objective. These questions lead us not to think of the Human Being as a prisoner in an "iron cage" but rather as capable of arousing collective consciousness, and therefore of collective action.

Following these arguments we may ultimately see showing through the idea of an original relation to others, to the world and to ourselves, which posits itself as a subjective relation to intersubjectivity. Moving this way, the crisis of values is no longer one, as it opens up the option that values are not simply self-determined values but values shared in a twofold reflexive process between subjectivity and intersubjectivity. Indeed, we may think of the rise of the reflection on ecology (95% of Europeans feel personally concerned with these issues (4)) in the light of such arguments, although Honneth’s as well as Taylor’s idea, according to which values we adhere to are being commodified, is not to be entirely excluded. Therefore, the point is not to create a new "chain of beings" to make the world enchanted again: the environment is immediately enchanted by our qualitative relation to others and therefore to It. Hence, we may construe the work of Lovelock James as an attempt to incidentally dismantle reification concerning the relation to the environment which should be perceived as a living ecosystem, a whole to be considered in a holistic way of thinking. We are in a relation to the world which is "emotionally and existentially colorful", says Honneth, a relationship thus inducing a form of "lifestyle" within this sensitive world. In this context, anthropocentrism no longer has to be challenged or validated for its pragmatic dimension, but simply left aside to give way to eco-centrism which should not be considered as a system of thought but as an original way to interpret and act, i.e. to relate to a world necessarily lived as intersubjective.

By the same token, the crisis of individual ethics seems speculatively curbed, as these reflections open up a direct relation of the individual to others, then to the world. Henceforth, the issue becomes less one of individual ethics that should be reinstated than that of a social, political and economic world, part of whose rules need to be readjusted to give free rein to this authentic and original relationship to beings.

Against this backdrop remains the crisis that I thought was transitional, yet turning out to be the most problematic: the crisis of political action. I will attempt to elicit trends from it, and possibly potential solutions, in the next articles.


Traducteur vers l’Anglais : Patrick Durand



Notes



(1) http://european-spectator.blogspot.fr/2016/03/ecologie.html

(2) Honneth Axel, Reification: A Recognition-Theoretical View, Oxford University Press, 2007.

(3) Taylor Charles, The Malaise of Modernity, reprinted in the U.S as The Ethics of Authenticity, Harvard University Press, 1992.

(4) http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/environnement.html

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In questo secondo articolo mi interesso a ritranscrivere un aspetto della crisi ambientale che era stato trattato solo brevemente nell'articolo précédente (1), ma che tuttavia riflette un problema centrale nel rapporto dell'essere umano con l'ambiente (e con lui stesso). L'articolo di oggi sembra parzialmente contraddire i risultati del precedente, anche se i rispettivi contenuti possono comunque articolarsi.

É tramite l'analisi delle teorie di Axel Honneth sulla 'reificazione’ (2) e di Charles Taylor circa i problemi etici dell'epoca moderna (3) che ho potuto rispondere ad alcune domande lasciate in sopseso durante il mio primo articolo.

Axel Honneth afferma che la nostra epoca si caraterizza par la 'cosificazione' dell'altro, del mondo e della nostra stessa vita interiore (per esempio, i sentimenti indotti per ottenire un profitto o un posto di lavoro, la cosificazione delle nostre qualità morali in cambio di una valorizzazione sociale). In questo modo perdiamo, dimentichiamo il rapporto originale che caratterizza le nostre relazioni con gli altri e con il mondo, un rapporto che ha un significato prima di tutto qualitativo per essi come per noi stessi, per lasciare spazio a una razionalità instrumentale, i.e. la cosificazione, che ci rende degli osservatori freddi e distaccati con un solo obiettivo principale: la massimizzazione dei nostri interessi. Questa attitudine a 'cosificare' il mondo diventa allora un'abitudine sociale, socialmente condivisa e redditizia, diventa così una 'seconda natura'. All'interno di questa prospettiva il problema non è tanto d'ordine morale – come avevo supposto in precedenza – precisamente perché la reificazione è un processo incosciente che consiste più in una trascuratezza che in un'azione cosciente. Di conseguenza, gli individui non possono essere considerati responsabili dell'appropriazione non intenzionale di queste relazioni incomplete con gli altri e con il mondo. Se dunque per essere in una vera riconoscenza reciproca dobbiamo rispettare e accogliere le rappresentazioni e i significati che altri attribuiscono a certi oggetti, allora, ritornando al rapporto uomo-ambiente, una reificazione della natura consisterebbe nell'oblio di queste rappresentazioni e significati soggettivi che le sono attribuiti, ma anche, andando oltre, all'oblio dell'essere al mondo in quanto essere vivente, in quanto parte di un ecosistema.

In una riflessione simile anche se non uguale, Charles Taylor in Malaise of Modernity descrive tre disagi tipici della nostra epoca (1) un individualismo esasperato legato alla perdita di un 'posto dell'umano' in una 'catena di esseri', portando a un relativismo dolce nel quale ognuno sarebbe libero di darsi degli ideali dei quali lui stesso sarebbe il solo a doverne rispondere; 2) lo sviluppo di una razionalità strumentale marcata dalla perdita di ideali etici capaci di indirizzarla, offrendo piuttosto delle risposte tecnologiche riduttive a domande metafisiche; 3) una perdita di libertà dovuta ai due malesseri descritti in precedenza, e una cultura del narcisismo) come tre profonde deviazioni dell'ideale dell''essere autentico', che diventa così un ideale egocentrico e egoista della realizzazione di se stessi, completamente diverso dalle esigenze del 'vero' ideale dell'autenticità.

Secondo Taylor, l'errore principale è la sostituzione della libertà autoderminata con l'ideale dell'essere autentico compreso come la libertà di fare tutto ciò che si crede. Questa visione crea un mondo nel quale noi possiamo da soli creare i nostri valori autentici e incontestabili, ecco perché è nefasta questa collusione. Infatti, le risorse che davano senso spariscono, la scelta della libertà autodeterminata diventa privilegiata soltanto perché permette agli individui di dare senso per loro, in maniera tale da arrangiarli. La libertà autodeterminata é la 'soluzione di ricambio' della cultura dell'autenticità, accentuandone l'antropocentrismo. Tuttavia, quasi paradossalmente, questa soluzione è il solo valore morale che ci resta, e che consiste appunto nel fatto stesso di poter scegliere, scegliere tra orizzonti impoveriti, piatti, di fatto equivalenti.

Taylor cerca allora di presentare un'applicazione dell'ideale dell'essere autentico attraverso un tipo di relazione di sé a sé, agli altri e al mondo che può essere descritto come dialogico e olistico: l'idea di una preoccupazione comune capace di formare una coscienza collettiva grazie all'appropriazione delle fonti morali della nostra civilizzazione (é la dimensione storicista del suo approccio), che è anche appropriazione della relazione a un mondo entusiasta della propria esistenza, della nostra presenza consciente di e per una tale relazione. Questi adattamenti permettono dunque una riabilitazione de la ragione strumentale all'interno di un etica della benevolenza, comprendendo meglio l'azione umana che non é mai il fantasma di una ragione pura, pseudo-oggettiva e macchinale. Questo tipo di ragionamento ci induce a non pensare l'umano come un prigioniero in gabbia, ma come un essere capace di suscitare una coscienza collettiva e, di conseguenza, un'azione collettiva.



Tramite questi due tipi di riflessioni possiamo infine scorgere l'idea di un rapporto originale con gli altri, con il mondo e con noi stessi che si presenta come un rapporto soggettivo all'intersoggettività. All'interno di questa traiettoria la crisi dei valori non esiste più perché apre la possibilità all'idea che i valori non siano semplicemente il prodotto di una libertà singola autodeterminata, ma che siano dei valori condivisi in un doppio movimento riflessivo tra soggettività e intersoggettività. Sembra allora che possiamo effettivamente pensare il progresso della riflessione sull'ecologia (il 95% degli europei si dicono interesati alla questione (4)) partendo da queste riflessioni, benché non si debba escludere la possibilità di una reificazione dei valori ai quali aderiamo. L'idea non è quindi quella di creare una nuova 'catena degli esseri'(Taylor) per rendere il proprio apprezzamento al mondo: l'ambiente si troverà direttamente gratificato per il nostro rapporto qualitativo agli altri e dunque a lui.

Possiamo allora comprendere l'opera di Lovelock James come un tentativo di decostruzione della reificazione, relazione tra l'umano e l'ambiente, che deve essere percepito come un ecosistema vivente. Noi siamo in una relazione con il mondo che é 'colorata emotivamente e esistenzialmente' ci dice Axel Honneth, una relazione che origina una forma propria di 'lifestyle' all'interno del nostro mondo sensibile. In questo contesto l'antropocentrismo non deve più esser rifiutato o accettato per il suo aspetto pragmaticamente valido, ma deve piuttosto lasciare spazio a un ecocentrismo che non vuole affermarsi come un sistema di pensiero puro, ma come un modo originale di interpretare e di agire, cioè come un modo d'essere e di rapportarsi in questo mondo vissuto necessariamente in maniera intersoggettivà.

E così la crisi dell'etica individuale viene arginata anch'essa (le riflessioni precedenti hanno infatti aperto una via su una relazione diretta dell'individuo agli altri e al mondo). Il problema centrale si sposta quindi dalla riabilitazione di un'etica individuale alla questione di un mondo sociale, politico e economico nel quale una parte delle regole devono essere riformulate in modo tale de poter dar vita a questo rapporto autentico e originale agli altri esseri viventi.

All'interno di questo contesto ritroviamo allora la crisi che pensavo essere intermediaria e che diventa adesso la più problematica: la crisi dell'azione politica. Cercherò di farne emergere le caratteristiche, le tendenze, e eventualmente presentare qualche possibile soluzione in un prossimo articolo.




Traducteur vers l’italien : Andrea Biestro



Note



(1) http://european-spectator.blogspot.fr/2016/03/ecologie.html

(2) Honneth Axel, Reificazione, Uno studio in chiave di teoria del riconoscimento. Trad. It. Sandrelli Carlo, Roma, Meltemi, 2007.

(3) Taylor Charles, Il disagio della modernità. Trad. It. Ferrara degli Uberti Giovanni, Laterza, Roma-Bari 1993.

(4) http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/environnement.html










































20170203

Art public

Les Stolpersteine, ces pavés dorés faits pour trébucher
Repéré par Annabelle Georgen
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Der Künstler Gunter Demnig erinnert an die Opfer der NS-Zeit, indem er vor ihrem letzten selbstgewählten Wohnort Gedenktafeln aus Messing ins Trottoir einlässt. Inzwischen liegen STOLPERSTEINE in 1099 Orten Deutschlands und in zwanzig Ländern Europas.

'Ein Mensch ist erst vergessen, wenn sein Name vergessen ist', zitiert Gunter Demnig den Talmud. Mit den Steinen vor den Häusern wird die Erinnerung an die Menschen lebendig, die einst hier wohnten. Auf den Steinen steht geschrieben: HIER WOHNTE... Ein Stein. Ein Name. Ein Mensch.

Für 120 Euro kann jeder eine Patenschaft für die Herstellung und Verlegung eines STOLPERSTEINS übernehmen.

Das STOLPERSTEINE-Team möchte mitteilen, dass es erst ab Juni 2017 wieder freie Termine für Verlegungen gibt.

Zum Hintergrund: Wir (Gunter Demnig und sein Team) können pro Monat 440 Steine herstellen und verlegen. Unser Bildhauer Michael Friedrichs-Friedländer schlägt jeden Buchstaben mit der Hand in das Messing ein. Gunter Demnig verlegt bis auf einige Ausnahmen alle Steine selbst.

Gunter Demnig hat sich bewusst für dieses Konzept entschieden und wir möchten dies auch in Zukunft so beibehalten.

Die Nationalsozialisten haben Menschen in Masse ermordet. Die Steine sollen die Namen zurückbringen und an jedes einzelne Schicksal erinnern. Jeder Stein soll per Hand gefertigt und per Hand verlegt werden. Die Verlegungen sind keine Routine; jedes Schicksal bewegt uns und soll bewegen. Wir möchten bewusst keine Massenverlegungen, um der damaligen Massenvernichtung etwas entgegenzusetzen.

Wir hoffen auf Ihr Verständnis und bedanken uns bei allen engagierten Menschen für ihre Geduld.

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Si vous vous êtes déjà rendu dans une ville allemande, vous avez peut-être déjà aperçu du coin de l'œil, voire trébuché sur des petits pavés dorés incrustés sur les trottoirs. Ils portent le nom de « Stolpersteine », un mot qui signifie « pierre d'achoppement » en allemand, c'est-à-dire un obstacle sur lequel on bute. Faire trébucher le passant pour l'inviter à prendre conscience de l'horreur muette dont les trottoirs qu'il arpente ont été autrefois les témoins: c'est l'idée de l'artiste allemand Gunter Demning, qui sème ces pavés aux abords des immeubles où vivaient autrefois les millions de victimes du régime nazi.

Chaque pavé retrace en quelques lignes le massacre systématique des citoyens d'origine juive, opposants politique, homosexuels, gens du voyage qui ont été arrêtés et déportés sous le troisième Reich. Au mois de mai 1996, à l'occasion d'une exposition sur le camp d'extermination d'Auschwitz, Gunter Demning a commencé à disposer ses pavés dans les rues de Berlin, en scellant illégalement 47 Stolpersteine devant les immeubles où avaient vécu des victimes de l'Holocauste, rappelle le quotidien allemand Die Tageszeitung. Dans une rue du quartier de Kreuzberg, un pavé résume ainsi le destin brisé d'une habitante:

« Ici habitait – Charlotte Bernstein – Année de naissance – 1900 – Déportée – 1943 – Theresienstadt – Assassinée à Auschwitz »

Au cours des deux dernières décennies, les Stolpersteine se sont répandues comme une traînée de poudre en Allemagne et au-delà de ses frontières. On en trouve aujourd'hui plus de 56.000 à travers l'Europe, comme on peut le lire sur le site internet du projet: en Pologne, en Hongrie, en République Tchèque, aux Pays-Bas mais aussi en France —quelques communes vendéennes ont fait la démarche de commander des pavés à l'artiste à la mémoire des habitants déportés sous l'Occupation– ce qui lui vaut souvent le surnom de «plus grand mémorial décentralisé au monde», souligne le quotidien.

Une des particularités qui rend ce projet artistique et mémoriel unique en son genre est qu'il est financé de manière privée, du moins en Allemagne: ce ne sont pas les municipalités qui financent la fabrication et la pose des Stolpersteine, mais les particuliers, après avoir mené des recherches sur ceux qui habitaient ou travaillaient autrefois dans l'immeuble où ils résident. La pose d'un pavé à la mémoire d'une personne déportée devant le lieu où elle résidait autrefois coûte 120 euros.


Repéré sur

Die Tageszeitung

Stolpersteine.eu

20170202

Musique publique

Des usages incontrôlables de la musique et des musiciens
Christian Ruby
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Mit Beethovens Tod änderte sich das Bild des Künstlers radikal. Mit seinem Tod wird Beethovens Gesicht zu einem Lieblingsmotiv vieler Künstler, die sein Antlitz benutzen und zur Ikone stilisieren. Beethoven Todesmaske begegnet uns in der Malerei von Joseph-Benjamin Constant und hundert Jahre später bei Arnulf Rainer, und Andy Warhol machte den Komponisten zum Popstar. Und seinen Werken : Die « Ode an die Freude » wurde iim November 2015 als Protest des MainzerStaatstheater gegen eine AFD-Demonstration gesungen. Sie ist die Europahymne, war aber auch der Sound der Meetings des französischen Rechtradikalen und Anti-Europäers Le Pen. Beethovens Neunte untermalte 1981 einen feierlichen Auftritt des sozialistischen Präsidenten Mitterrand am Pariser Pantheon und 1942 die Geburtstagparty von Adolf Hitler.

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L’exposition parisienne « Ludwig Van », à la Philharmonie de Paris, souligne fort pertinemment que l’art public ne se limite pas aux arts plastiques. Si par cette expression « art public », il convient d’entendre le financement d’œuvres par des fonds publics à destination d’une exposition publique orientée par un souci de l’État et des femmes et hommes politiques (quelle que soit l’échelle de référence : État, Région, Ville) à l’égard des citoyennes et citoyens, on comprend aussitôt que la musique est depuis longtemps une ressource disponible pour cette modalité de gouvernement. Accompagnant la musique, le portrait de musiciens est aussi un classique de l’art public, lequel en exaltant en public les valeurs de l’effort, de la « beauté », du caractère, etc., sert aussi les desseins politiques.

Pour la France, le site France musique propose la liste suivant des musiciens mués en sculpture publique (https://www.francemusique.fr/emissions/un-air-d-histoire/les-statues-de-musiciens-retour-sur-la-statuomanie-en-france-au-xixe-siecle-par-jacqueline-lalouette-29958) :



Statues, bustes, hauts et bas-reliefs érigés dans un espace public de plein air hors cimetières.
(R : refonte sous Vichy. 2e : nouvelle statue après la Seconde Guerre mondiale)
Les statues et les bustes placés en façade ou appartenant à des programmes collectifs n’ont pas tous été pris en compte.



Adam Adolphe : Longjumeau (buste et postillon)

Aubert Louis : Caen (statue)

Aubery du Boulley Prudent Louis : Verneuil-sur-Avre (bas-relief)

Bartok Bela : Paris (square Bela Bartok, statue)

Beethoven Ludwig van : Paris (Luxembourg. Buste) ; Vincennes (bois de Vincennes, pelouse de Fontenay. Piédestal sans statue ; la maquette inaugurée en 1927 n’est plus sur ce piédestal).

Berlioz Hector : Grenoble (R-2e) ; La Cote Saint-André (statue) ; Montbrison (statue) ; Paris (square Berlioz. R-2e)

Boieldieu François Adrien : Évreux (Buste sur la façade du théâtre) ; Paris (Opéra. Buste) ; Rouen (statue)

Casals Pablo : Perpignan (bas-relief)

Chabrier Emmanuel : Ambert (buste avec personnage)

Chopin Frédéric : Nohant (buste) ; Paris (Luxembourg. Buste avec personnage. Parc Monceau. Haut-relief)

Claussmann Aloys : Clermont-Ferrand (buste)

Dalayrac Nicolas : Muret (R-2e)

David Félicien : Aix-en-Provence (buste)

Debussy Claude : Paris (jardin Claude Debussy. Monument sans représentation de Debussy) ; Saint-Germain-en Laye (statue couchée)

Delibes Léo : La Flèche (promenade Foch. Buste avec personnage. R-2e) ; Saint-Germain du Val (buste. R ?. Nota bene : Saint-German du Val fait maintenant partie de La Flèche)

Desaugiers Marc-Antoine : Fréjus (buste)

Dietsch : Dijon (rue Jean-Jacques Rousseau. Petit buste sur la façade de sa maison natale)

Fauré Gabriel : Foix (buste)

Franck César : Paris (square Samuel Rousseau. Haut-relief)

Gémont Louis : Clermont-Ferrand (cour du conservatoire. Haut-relief)

Godard Benjamin : Paris (square Lamartine. Buste avec personnages [personnages R])

Gounod Charles : Paris (parc Monceau. Buste et personnages) ; Saint-Cloud (buste) ; Saint-Rémy de Provence (buste)

Komitas (Père. Soghomon Gevorki Soghomonian dit) : Paris (cours Albert 1er. Statue)

Lalo Édouard : Lille (buste avec personnages. R-puis stèle)

Lesueur Jean-François : Abbeville (R-2e)

Massé Victor : Lorient (statue)

Massenet Jules : Paris (Luxembourg. Bas-relief et personnages) ; Saint-Étienne (statue)

Méhul Étienne Nicolas : Givet (R-2e)

Messiaen Olivier : Neuvy-sur-Barangeon (haut-relief)

Monsigny Pierre Alexandre : Saint-Omer (statue)

Mozart Wolfgang Amadeus : Draguignan (visage et mains) ; Paris (rue François Miron. Bas-relief)

Naninck Charles : Béthune (buste)

Rameau Jean-Baptiste : Dijon (R-2e)

Ravel Maurice : Ciboure (buste)

Reyer Ernest : Le Lavandou (Buste. R-2e) ; Marseille (statue)

Rouget de Lisle Claude Joseph : Choisy-le-Roi (statue) ; Lons-le-Saunier (statue)

Saint-Saëns Camille : Dieppe (statue. R)

Saintis Armand : Montauban (buste)

Satie Erik : Honfleur (jardin des personnalités. Buste)

Sellénick Adolphe : Les Andelys (buste. R)

Strauss Johann : Paris (place Johann Strauss, buste)

Thomas Ambroise : Paris (parc Monceau. Statue et personnage)

Séverac Déodat de : Céret (médaillon sur le piédestal de « La Catalane »)

Scotto Vincent : Marseille (buste)



Quant à la musique même, l’exemple de la IXe de Ludwig van Beethoven (1822, création 1824) est caractéristique. L’ouvrage de Esteban Buch, La Neuvième de Beethoven, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 1999, en rend compte. Il s’agit bien d’une oeuvre qui a sa teneur politique propre (tous les hommes sont frères), passée ensuite au panthéon des romantiques, enrôlée dans les « fêtes de Bonn » à l’occasion de l’érection de la statue de Beethoven, en 1845, enrôlée dans la guerre de 1870 puis 1914 ; manifestations de son centenaire en 1927, accaparement par le nazisme, devenue hymne européen en 1971, accaparée par le régime Rhodésien en 1974 (dictature qui met en place l’apartheid), dans la visite du Panthéon par Mitterrand en 1981... et dans Chute mur de Berlin... Bref : Tour à tour : utopie individuelle ou collective, usage partisan, critique indirecte des autorités, inclusion dans des cérémonies officielles, ou encore : œuvre patriotique, œuvre dédiée, catalyseur de l’unité nationale.

20170201

Etranger

Pas de ghetto pour les étrangers !
Christian Ruby
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Lue et analysée sous le signe de l’étranger, la pièce de théâtre imaginée par Johann Wolfgang Goethe (1742-1832), à partir de la tragédie révisée d’Euripide, nous donne largement matière à commentaires sur la question qui taraude beaucoup de nos concitoyens : comment réagir face à l’étranger ? Comment se libérer des processus primaires de refus et de méfiance ? Comment s’émanciper de la ségrégation infligée à l’étranger ?

La lecture proposée ici de cet ouvrage, Iphigénie en Tauride (1779-1781, Iphigenie auf Tauris), se place volontairement à l’écart des thèmes centraux souvent retenus : le conflit entre les dieux antiques et modernes, le sacrifice originel, la définition moderne de l’humain (liberté, responsabilité), le statut de la femme, l’amour et l’amitié à toute épreuve, la vengeance, etc. Non qu’il faille en finir avec ces lectures, mais parce qu’il est possible de les absorber dans un commentaire plus vaste qui les intègre dans des significations plus contemporaines, dont celle-ci : quels processus peuvent susciter les démarcations fabriquant l’étranger ?

En l’occurrence, de ce point de vue, le texte de Goethe, qui se déroule en pays Scythe (c’est-à-dire l’actuelle Crimée), repose sur une triple perspective : Exil, Réception, Loi de l’hospitalité. Encore cette triple perspective est-elle le moteur d’un vaste jeu dialectique qui nous concerne largement de nos jours. À partir d’un exil (ou d’un double exil : Iphigénie d’abord puis Oreste), la réception chez les « barbares » met en avant une loi : l’impératif d’immoler l’étranger. Mais Iphigénie est sauvée, et grâce à elle, la loi de réception va être changée en loi d’accueil. En un mot, l’exilée (et ce n’est pas rien qu’il s’agisse d’une femme) arrive à modifier la loi habituelle à l’étranger.

Ou : comment l’étranger-étrangère a un effet bénéfique sur la loi étrangère. Cette répétition différentielle du terme « étranger », permet de préciser à la fois : que ce qui fait l’étranger, ce n’est pas une essence, mais une double situation : exil et réception (bonne ou mauvaise) ; et que l’étranger, au lieu d’être abandonné, d’être reçu passivement, d’être renvoyé ou d’être intégré, peut être impliqué dans un devenir par lequel de nouvelles lois sont inspirées à un peuple.

Plus précisément, Goethe nous fait entendre un triple mouvement.

Le premier, celui d’Iphigénie : Exil (au cœur du sacrifice d’Agamemnon), ombre de soi-même chez les autres, préservée cependant par le dirigeant Thoas comme prêtresse de Diane. Ce premier mouvement permet d’explorer les 4 cas qui définissent le sort de l’étranger : immolé (selon la loi locale), renvoyé (selon la loi locale), intégré mais inutile (par la volonté de quelques indigènes), intégré et utile (ce sera la conclusion, en même temps qu’Iphigénie est libérée).

Le deuxième mouvement : Réception, arrive un nouvel exilé, Oreste, promis à la mort, mais il trouve refuge chez l’étrangère intégrée mais inutile (Iphigénie). Cette dernière se découvre un devoir de le préserver, à l’encontre de la loi locale.

Le troisième mouvement : le pouvoir local, donc la loi locale, revient en avant pour exiger le sacrifice de l’étranger. Mais par une ruse (du point de vue d’Iphigénie) ou une trahison (du point de vue de Thoas).

Résolution du conflit : Loi de l’hospitalité. L’étrangère réussit à sauver tout le monde (figure de femme) : elle sauve Oreste, se sauve, et convertit Thoas à une nouvelle loi : l’accueil. La réception de l’étranger en est transformée dans la cité de Tauride.