20160205

Éditorial

Les droits culturels
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La détermination de droits culturels fait toujours débat, en Europe. Comment pourrait-il en être autrement alors qu’ils se trouvent au centre des discussions relatives au « vivre ensemble », et par là même intimement liés aux enjeux de domination et de pouvoir dans les sociétés ?

L'inexistence de droits culturels constitutionnels creuse un large trou dans le maillage juridique et moral enserrant les humains. Si ce maillage couvre les droits civils, sociaux, politiques, protégeant et limitant ainsi les activités des humains, il a fallu attendre une période récente, et des conflits spécifiques, pour entendre parler de la nécessité d’introduire de tels droits.

La revendication de droits culturels - droit à l’éducation, d’accéder aux ressources, aux savoirs et de participer à des activités culturelles, droit linguistique, à l’art, à la mémoire, au patrimoine - veut s’inscrire dans l’énoncé des droits de l’humain, et prétend éviter aux questions culturelles de tomber sous la coupe totalitaire, dans les dérives relativistes (tout se vaut) ou l’enfermement communautariste (ne vaut que ce que le chef décide). Des motions publiques rappellent que leur respect garantirait la participation de chacun à un « patrimoine commun », défini comme capital de ressources constitué par la diversité culturelle. L’exercice des droits, libertés et responsabilités culturels serait le moyen de cette préservation et de ce développement. Il signifierait que chacun peut participer à cette diversité, y puiser des ressources et contribuer à son enrichissement.

Tels que définis dans la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles (UNESCO, août 1982, document téléchargeable), renouvelée par celle de Fribourg, en 2007, rédigée par un groupe d’experts internationaux sous la direction de Patrick Meyer-Bitsch, ces droits proposent une conception de la culture conçue comme auto-production de l’humain en humanité. La volonté de promulguer des droits culturels vise à garantir à chacun la liberté de vivre sa culture à partir de ce que les cultures produisent d’universalisable. Le développement culturel est considéré comme un chemin d’émancipation et de conquête de la dignité de la personne. Enfin, l'existence de ces droits ne suppose pas seulement une action de l’État pour les muer en droits positifs, avec sanction judiciaire, mais surtout une protection pour le développement de la vie culturelle par la population elle même.

Cela étant, cette question peut se confondre avec celle des minorités culturelles. Et cet aspect est important. Mais il se contente de reconnaître un groupe de plus dans le décompte des groupes formant une société ou une sphère culturelle. On dérive là vers les problèmes des « identités culturelles »... et des pensées en termes de quota...

Or, il existe une autre manière de prendre le problème : la mise en œuvre de la part des sans parts ? Elle consiste alors à faire éclater la question vers la reconnaissance de la compétence de n’importe qui... Les droits culturels, alors, défendant la possibilité pour chacun de trouver ses moyens d’expression et de création dans le collectif, imposant la part de la culture dans toutes les institutions (surtout les institutions retirées : prisons, hôpitaux, ...), au point d’aider à créer des effets de dépaysement qui contribuent à vaincre l’isolement et à briser l’assignation à résidence culturelle.

En un mot, ce problème des droits culturels renvoie à deux logiques :

- Une logique des minorités : celle de minorités qui réclament leur part dans le partage entre groupes, une reconnaissance de leur titre à être comptés dans la compte intégral des parts de la communauté par la police ;

- Une logique des sujets politiques qui brisent cette logique d’identification en visant à reconfigurer le compte et ses partages : il s’agit alors d’une logique politique dissensuelle. 

Christian Ruby