20150105

Editorial


Une Europe unie pour réfléchir et affirmer
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Kränkung für die Welt. Nous sommes tous Charlie.... Ich bin Charlie, I am Charlie, Yo soy Charlie, ...



Dans un premier temps, l’urgence de la situation consistait à déjouer publiquement une intimidation à l’encontre des idées par l’assassinat de personnes (journalistes, policiers). Elle a fait à chaque européen, d’abord, puis à tous, un devoir d’afficher en public et collectivement que nul n’avait l’intention de céder à une quelconque terreur. Qui que l’on soit, et quelque position que l’on occupe, simplement propulsé par l’intensité de la surprise.

Cette urgence impliquait aussi de dispenser en public une parole susceptible de porter ce refus en l’éprouvant dans un rapport à la communauté politique. Le collectif qui a envahi les rues, à Paris bien sûr, mais aussi à Berlin, à Madrid, à Rome, à Londres, et ailleurs, le 11 janvier, avait à accomplir le droit de la liberté de penser, de parler, de débattre dans un Etat de droit, démocratique, et républicain dont la laïcité est l’un des principes fondateurs.

Ce collectif avait aussi à prononcer une parole visible aux yeux du monde entier, moins pour s’imposer en modèle que pour rappeler que nul n’est assujetti à un seul rapport de pouvoir, sans pouvoir aussi penser et exiger des transformations nécessaires en fonction des conditions dans lesquelles il vit.

C’est fait désormais.

La tâche cependant ne peut s’arrêter là. Il ne suffit pas de résister plus ou moins magiquement, il convient maintenant d’affirmer que nous sommes capables d’agir sur les drames et difficultés de nos propres sociétés.

Drames de langage : on parle à tort et à travers de « guerre » (confondant une logique pénale et une logique d’Etat), d’angoisse, de « fous » (psychiatrisant des criminels), d’« incultes », de soumission, de « deuxième génération », des religions, de fondamentalisme confondu avec le radicalisme, de valeurs,... Mais toujours sans clarification, toujours dans le soupçon, sans jamais donner la parole à d’autres qu’à des « experts » qui nous expliquent ce que nous devons penser, afin de mieux empêcher chacun de parler.

Drames de l’unité politique, toujours pensée en termes d’homogénéité, et sans jamais accepter de contrebalancer clairement les questions mortifères d’identité ou de communauté, voire d’accepter de comprendre que les croyants ne forment pas une masse homogène, et que des musulmans, des juifs, des chrétiens ont des choses à dire qui ne coïncident pas nécessairement avec ce que l’on dit d’eux, impliquant évidemment, au passage, les athées, non-croyants, a-religieux du monde qui ont aussi à prononcer des paroles clarifiantes.

Drames de la réflexion gouvernementale, notamment quand elle se concentre sur des doctrines sécuritaires (confondant la question de droit de la sûreté et celle de la sécurité), oubliant les politiques de la ville, indigentes depuis longtemps, incapables de faire fructifier des associations, des entreprises, des échanges au sein même des villes.

Drames de nos rapports avec les autres peuples et cultures, les autres Etats, puisque nous refusons de prendre au sérieux notre propre rapport à la colonisation, à notre histoire et à nos facteurs d’exclusion culturelle, comme nous continuons à parler de « grandeur » dans un monde devenu multipolaire, dans lequel il serait urgent de penser un universel concret.

Certes, il est clair que l’Europe ne cédera pas à la crainte. Encore convient-il de ne pas céder non plus à la haine. L’unité ne doit pas seulement viser à s’élever contre [...], elle doit s’exercer POUR quelque chose, une cité éduquée et cultivée, un monde, vivant, vivifié de ses contradictions, mais dans l’exercice de la parole publique échangée.