20140305

Editorial




Au-delà d'une analyse filmographique nécessaire de l'oeuvre de Robin Campillo (scénario, images, direction des acteurs, montages,...), et d'un avis sur son film - primé à la dernière Mostra de Venise, 2013 - qui dépasse le cadre de cet éditorial, le problème posé plus globalement par son film - Eastern Boys - est celui de la réalité et du fantasme de l'autre conçu de l'intérieur même de l'Europe, immigration et problèmes d'intégration intraeuropéens et extraeuropéens aidants. Comment l'Europe, dans son passé auto-centrée et exclusive de l'étranger lointain et proche par l'ex-colonisation (Afrique, Asie), se trouve-t-elle désormais, ou plutôt, se sent-elle aussi confrontée aujourd'hui à l'exclusion des immigrations internes, et partagée entre Europe de l'Ouest et Europe de l'Est (Roumanie, mais aussi Serbie, et bientôt Ukraine, Russie) ?

En prenant le prisme le plus large possible, la question est, bien sûr, de savoir comment et à partir de quel imaginaire s'organisent de telles césures (Nord-Sud, Est-Ouest, Europe-hors Europe,...) et au profit de qui ou de quoi fonctionnent-elles ?

Il reste que Campillo prend un prisme spécifique. Le film cité ici, et qui nous sert à poser le problème de la culture européenne, pris entre enquête locale (la Gare du Nord), jeu de domination sexuel (Marek et Muller), romance (les mêmes pris dans un rapport sexuel qui se complexifie) et thriller (comment s'extraire d'une bande solidaire à l'étranger et trouver de l'aide autochtone), a le mérite de sceller en une même articulation les problèmes cités : le rapport Ouest-Est, le rapport sexuel, la diversité des langues et les moeurs, tout en lui donnant la forme générale du SDF, et de sa prise en charge par les règlements de police ou de sa non prise en charge par la population locale.

La Gare du Nord (Paris) occupe ici une place stratégique pour mettre au jour les enjeux, entre réalités, préjugés et manichéismes. Les gares sont effectivement le lieu de la plus grande distribution des fantasmes vécus de l'étranger (passage, transfert, déplacement, fonction du "non-lieu", image d'invasion,...), de celui que l'on voit nécessairement, qui débarque et pose ses valises là où on ne l'attend pas du tout, là où il peut faire la manche ou le tapin parce qu'il le doit pour survivre, où s'organisent des bandes de survie, et où les autochtones se livrent à un ballet d'évitement et de contournement tout à fait propre à susciter des images que la caméra de Campillo reconstruit avec art. Mais c'est aussi le lieu de la rencontre possible, violente ou douce, entre des mondes qui habituellement se juxtaposent plutôt.

C'est d'ailleurs ce jeu de rencontre que le film travaille (indifférence, accueil, surprise, capture, refoulement,...). Il en propose différentes formes métonymiques successives (la gare et l'arrivée du jeune immigré, l'appartement bourgeois et une dévastation dont le personnage est l'otage, le changement de décor pour accueillir l'autre, le retournement de la situation et la prise du centre d'hébergement), en une série de figures cinématographiques de lieux de rencontres possibles en Europe (donc du plus large au plus intime, et du plus intime au plus légal : la gare, l'appartement, le centre d'hébergement), avec effets contraires. Ainsi en va-t-il, à chaque fois sur le même mode, de la situation dans la gare, puis de l'arrivée surprise chez le personnage recevant Marek (alias Rouslan, interpété par Kirill Emelyanov), Muller (interprété par Olivier Rabourdin), quadragénaire bien installé et menant une existence rangée, qui voit son appartement perturbé par des invités qu'il n'attendait pas ; enfin, de la dévastation inversée du centre d'hébergement. Comme en un jeu d'emboîtement : chacun se déplace soudain dans le monde de l'autre, en une démultiplication infinie (la gare, l'appartement, la ville, puis l'inversion : le centre d'hébergement,...).

Au coeur de chacun de ces lieux, la rencontre entre des corps étrangers, des moeurs perturbées et des mises en oeuvres dont on ne racontera pas les dynamiques (ceinturées par un récit efficace), entre des mondes qui s'ignorent mais si proches qu'ils ne peuvent pas ne pas se regarder au moins fortuitement, se décline en mode de consommation d'abord (ici la consommation sexuelle de l'autre avec exercice de domination puis rééquilibrage ou consommation électronique (IPhone)), avant de se structurer en mode de confiance réciproque puis de reconnaissance (on ne racontera pas la fin du film, qui ne s'ordonne heureusement pas à une rédemption, mais plutôt à un type de rapport mutuel).

C'est bien de la question européenne qu'il s'agit (même si on pourrait étendre le propos bien au-delà d'elle), d'une pensée de l'articulation des différences surmontant les séparations, et précisément par des activités communes. Celle de la culture européenne que nous avons tant de mal à concevoir comme une culture à construire dans la diversité, et que nous persistons à enfermer dans des identités closes sur elles-mêmes.







20140304

Identités

A nouveau sur les fictions identitaires
Christian Ruby
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A propos de 4 ouvrages :

Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, Paris, Gallimard, 2014. 
Pierre Macherey, Identités, Grenoble, de l'Incidence, 2014. 
Michel Augier, La condition cosmopolite, Paris, La Découverte, 2014. 
Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse, Paris, Stock, 2014.
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Appel für weniger Identität und mehr Solidaritäts-Aktion fûr Zuwanderung und Flüchtlinge. Vor der am Juni beginnenden neuen Euro-Parlament wollen wir mit einem ungewöhnlichen Aufruf zur Zuwanderungspolitik gewanden. Damit Europa ein gutes Vorbild bleibt, und die Zuwanderung in Gesellschaft gelingt, rufen wir alle diejenigen, die in Gesellschaft und Politik Verantwortung übernehmen, zu einer über Identität Debatte auf.

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To begin with, I should say that I have never cared a great deal for reflections on identity. I do not see how identity can put steam back into the engine of European integration. It is also a notion which is difficult to define and can be one of many things: the demos, which some would say is its purest form; the feeling of belonging to a group, a community of shared values; the link which some make between identity and positive output from the EU; the classic distinction made in political science between those included or excluded from a group, ingroups and outgroups (group designations are an essential guideline for understanding political history). I will start here by going over a few notions whilst highlighting the opposition between Europe and the Nation. Over the last fifty years, there has been a dialectic and conflicting relationship between the two. Nowadays, just when people are talking about enlargement and globalisation, the question of the Nation has come back into the spotlight in debates. Secondly, I would suggest that the 85-95 period, when European integration accelerated, was not simply a functional - that is an institutional and economic - affair. To finish, I will conclude on the project of a European society, which is currently being discussed (Speech made by Jacques Delors (Founding President of Notre Europe), on Internet : http://www.notre-europe.eu/media/etud48_01.pdf?pdf=ok)

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Les uns et les autres se posent peut-être la question : mon pays est-il encore mon pays (La France est-elle encore la France, etc.) ? Les changements de valeurs ne dissolvent-ils pas les valeurs ? Toutes questions dont le ressort est l'identité ou l'identique (A = A), sa formation, sa déformation, son annulation.

Le thème identitaire, on le sait, n'en est pas à son premier accès public. Il revient en revanche, dans le débat, de nos jours, ceinturé par des inquiétudes vite dramatisées, par des craintes d'invasion et des fantasmes d'ennemis renouvelés, comme le montre l'ouvrage d'Alain Finkielkraut. Mais, celui qui revendique son identité, ou une identité, sait-il vraiment ce qu'il dit ou ce qu'il veut ? Certes, cela n'a de sens que s'il affirme simultanément sa crainte du changement ou s'il refuse d'être la proie d'un quelconque changement. La vulgate identitaire ne peut procéder autrement, elle doit en passer par là. Faute de quoi, elle ne peut tenir très longtemps.

Mais justement, comment a-t-on posé le problème de l'identité en Europe, pourquoi et à quelle échelle ? Car ce problème peut aussi bien se concevoir à l'échelle de l'individu, du groupe, qu'à l'échelle de la nation.

Vicent Descombes tente de mettre au jour l'idiome de l'identité. Dans ce dessein il faut en passer par les Grecs, et la volonté de poser un monde immuable, un cosmos, expressément défini par son identité et son immuabilité (formule transcendante de l'organisation du monde naturel et humain). Néanmoins, les Grecs avaient d'autres atouts dans leur jeu : la constitution d'une cité, selon Aristote, ne définit pas d'abord une identité - même si elle est loin d'en être exclue - mais la manière de muer un agrégat de voisins en une communauté dont l'objectif réside dans la capacité à réaliser une conception partagée du bien commun, impliquant la décision des citoyens, et leur capacité à faire entériner cette conception par les voisins.

Mais on peut prendre le problème à l'envers. A partir des "défauts" d'identité. Qu'appelons-nous, en effet, une "crise d'identité" ? Vincent Descombes, encore, montre comment le psychanalyste Erik Erickson a élaboré ce concept à partir du soin donné aux jeunes vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Cette crise d'identité correspond à un conflit entre l'idée que ces jeunes soldats s'étaient faite d'eux-mêmes et les attentes de la société à leur égard. Entre les deux, il y avait choc, puisque les attentes de la société leur semblaient soudain exorbitantes. Ce conflit est d'autant plus accentué que la société moderne revendique les identités, du point de vue de la police : depuis la carte d'identité jusqu'à la nomination. Alors que chacun croit pouvoir se forger une identité profonde, différente de l'identité légale. Ce double processus de constitution des identités a été repensé par la sociologie interactionniste, lorsqu'elle a cru pouvoir définir l'identité personnelle comme le résultat d'une négociation entre l'identité objective et l'identité subjective. Bref, on ne sort du cadre assigné de l'identité, sur lequel Pierre Macherey insiste à juste titre pour le démonter.

Or, ce cadre a, de surcroît, une efficacité politique. Michel Augier y revient longuement. La frontière qui délimite deux groupes (sociaux ou nationaux) est moins une ligne de démarcation que l'espace de passage par lequel la communauté politique s'institue, parce qu'elle y fixe la place de l'ennemi. L'étranger est bien cet autre qui "me" permet de faire exister "mon" identité, en la clôturant sur elle-même, par rejet et exclusion. Il faudra revenir d'ailleurs sur cette fonction de l'ennemi, grâce à l'ouvrage récent d'Umberto Eco (Construire l'ennemi, Paris, Grasset, 2014).

Une autre question est de savoir comment s'opère cette affiliation à une identité, par exemple, nationale ? Il est clair, pour en rester à la question nationale, que cette notion d'identité rentre dans le cadre des développements des nationalismes. Le nationalisme est solidaire d'une conception de l'individu qui adhère délibérément à un programme idéologique national. Mais ce point est largement établi, notamment depuis les travaux de Benedict Anderson (L'imaginaire national, 1983, Paris, La Découverte, 1996) et de Ernest Gellner. Si le projet idéologique du nationalisme provient d'une élite qui le rend adéquat à une situation sociale de tension, son degré de réussite dépend cependant de sa capacité coercitive. On sait, grâce à Victor Klemperer (Lti, la langue du III° Reich, 1947, Paris, Pocket, 2003), que la langue peut y être assimilée à la nation, par imposition d'une certaine idée de la "pureté". On sait non moins que l'on peut fabriquer une langue presque ex nihilo, à cette fin.

A l'inverse, par ailleurs, les dites crises d'identité, au sein d'une cité, relèvent d'une incapacité à prendre en charge les situations nouvelles, surtout lorsqu'elles se heurtent à des dynamiques qui défont les assignations identitaires de front.





20140303

Transparence

Transparency international und Charta der Vielfalt
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Transparency International est une organisation non gouvernementale internationale d'origine allemande ayant pour principale vocation la lutte contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales mondiaux.

En 2013, la France a considérablement renforcé sa législation en matière de transparence de la vie publique. Pour Transparency International France, la sincérité des actions entreprises ne pourra néanmoins être reconnue que si ces nouvelles règles sont respectées par l’ensemble des responsables publics. La transparence de la vie publique doit ainsi s’affirmer comme une priorité sur l’ensemble du territoire national. Comme à chaque élection depuis 2007, Transparency International France a donc demandé aux candidats, têtes de listes dans les 39 communes de plus de 100 000 habitants[1], de se prononcer sur 5 propositions de nature à promouvoir l’intégrité et la transparence au niveau local :

Transparence du patrimoine des élu(e)s 


Fin au cumul des mandats dès 2014 ! 


Prévenir les conflits d’intérêts dans l’attribution des marchés publics et subventions 


Collégialité des décisions d’urbanisme 


Formation des élu(e)s à la déontologie

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Transparency International is committed to advancing accountability, integrity and transparency. In our own operations, too, we aim to be an example of good governance, ethical practice and openness to greater transparency. In the early 1990s, corruption was a taboo topic. Many companies regularly wrote off bribes as business expenses in their tax filings, the graft of some longstanding heads of state was legendary, and many international agencies were resigned to the fact that corruption would sap funding from many development projects around the world. There was no global convention aimed at curbing corruption, and no way to measure corruption at the global scale. Having seen corruption’s impact during his work in East Africa, retired World Bank official Peter Eigen, together with nine allies, set up a small organisation to take on the taboo: Transparency International was established with a Secretariat in Berlin, the recently restored capital of a reunified Germany.

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Transparency International Deutschland e.V. (kurz: "Transparency Deutschland", und jetzt International) arbeitet gemeinnützig und ist politisch unabhängig. Unternehmen haben die Möglichkeit korporatives Mitglied bei Transparency Deutschland zu werden.

Transparency Deutschland definiert Korruption als Missbrauch von anvertrauter Macht zum privaten Nutzen oder Vorteil. Eine effektive und nachhaltige Bekämpfung und Eindämmung der Korruption ist nur möglich, wenn Staat, Wirtschaft und Zivilgesellschaft zusammenarbeiten und Koalitionen bilden. Ziel ist es, das öffentliche Bewusstsein über die schädlichen Folgen der Korruption zu schärfen und nationale und internationale Integritätssysteme zu stärken.

Durch die Unterzeichnung einer Selbstverpflichtungserklärung verpflichten sich die korporativen Mitglieder zu hohen ethischen Standards im Geschäftsverkehr. Sie erklären, dass sie Korruption in jeder Form ablehnen und sie im eigenen Bereich weder anwenden noch dulden, dass sie ihre Beschäftigten für die Gefahren von Korruption sensibilisieren und schulen, und dass sie sich in den jeweiligen Interessenverbänden aktiv für Korruptionsbekämpfung einsetzen.
 
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Im Gründungsjahr 2009 haben wir mit CSR Jobs eine Plattform ins Netz gestellt, die Berufstätigen und Studenten Jobs und Ausbildungen im Bereich CSR und Nachhaltigkeit vorstellen sollte. Das posititive Echo hat uns dazu motiviert, das Portal auszubauen und den Schwerpunkt zu verändern: CSR Jobs ist das erste deutschsprachige Internetportal, das Bewerberinnen und Bewerbern das soziale und gesellschaftliche Handeln sowie das Personalmanagement potenzieller Arbeitgeber kompakt und aktuell darstellt.

Wir sind überzeugt davon, dass Arbeitgeber zukünftig auch nach ihrem sozialen und gesellschaftlichen Handeln, ihrer Verantwortung für die Umwelt, ihrem Personalmanagement und nachhaltigen Wirtschaften ausgewählt werden. Wir informieren über das Engagement der Arbeitgeber in diesen Bereichen. Wir zeigen, in welchen nationalen und internationalen Initiativen sie sich engagieren. Welche Inhalte diese Initiativen haben und was sie in unserer Gesellschaft voranbringen wollen. Unser Ziel ist einfach: Arbeitgeber, die in diesen Bereichen hervorragend arbeiten, sollen zukünftig auch hervorragende Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter für sich gewinnen können. Diese gesellschaftliche Entwicklung wollen wir mitgestalten und vorantreiben.

Die „Charta der Vielfalt” ist eine Unternehmensinitiative zur Förderung von Vielfalt in Unternehmen, die 2006 etabliert wurde. Ihr gehören ca. 1.100 Unterzeichner an. 67% sind Unternehmen, 17 % kommen aus dem öffentlichen Sektor und 16% sind Vereine, Verbände und Stiftungen. Die Beauftragte der Bundesregierung für Migration, Flüchtlinge und Integration, Staatsministerin Prof. Dr. Maria Böhmer, befürwortet und unterstützt die Initiative. Bundeskanzlerin Dr. Angela Merkel ist Schirmherrin.

Die Initiative will die Anerkennung, Wertschätzung und Einbeziehung von Vielfalt in der Unternehmenskultur in Deutschland voranbringen. Organisationen sollen ein Arbeitsumfeld schaffen, das frei von Vorurteilen ist. Alle Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter sollen Wertschätzung erfahren – unabhängig von Geschlecht, Nationalität, ethnischer Herkunft, Religion oder Weltanschauung, Behinderung, Alter, sexueller Orientierung und Identität.

Die Unterzeichnung der Charta der Vielfalt ist eine freiwillige Selbstverpflichtung.


20140302

Julia Kristeva

La Croix : 17-05-2013
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Je comprends l’euroscepticisme. L’Union européenne déçoit quand elle ne fait pas peur. La crise économique s’abat sur les plus faibles. Beaucoup d’étudiants et d’amis grecs me font part de leurs angoisses. Je crois cependant qu’il n’y a pas de meilleure solution que l’Union européenne. Les propositions alternatives, venues des extrêmes de droite et de gauche, conduisent à une régression économique, culturelle et personnelle qui n’est pas acceptable. Je n’éprouve aucune lassitude même vis-à-vis des fameux «bureaucrates du Bruxelles». J’ai des critiques, des impatiences, des colères parfois, mais qui me conduisent à chercher des solutions.

Car l’Europe dispose d’une bouée de sauvetage dans la tempête qu’elle traverse, c’est sa culture. Et un des atouts de la culture de l’Europe, c’est notre conception de l’identité. Dans le monde globalisé, on parle beaucoup de diversité culturelle, mais en réalité chacun met en avant sa propre identité et attaque celle de l’autre. Je suis «gay», «juif», «allemand», «chrétien», «arabe», «femme»… Tout le monde fait culte de son identité.

L’espace européen est le seul endroit au monde où l’identité n’est pas un culte, mais une interrogation. Qui suis-je, s’il y a de l’autre? Que puis-je faire à l’écoute de l’autre? Ces interrogations s’enracinent dans les cultures grecque, juive et chrétienne. En Grèce, avec la philosophie platonicienne, chaque idée, chaque valeur se construit dans un dialogue permanent.

Dans le judaïsme, Dieu se présente à Moïse en disant: «Je suis celui qui est.» Il ne donne pas de définition, mais ouvre la nécessité d’entendre en se mettant en question et par la recherche d’interprétations infinies. L’identité chrétienne se présente comme un voyage, un incessant pèlerinage en soi-même et vers autrui ; pensons à cette phrase d’Augustin: «In via, in patria», «Une seule patrie, le voyage», et à l’invitation à l’amour comme souci, soins, secours. Je fais le pari que cette vision survit aux inquisitions, aux pogroms, au colonialisme, à l’intégrisme. La sécularisation qui s’en détache se doit de la connaître, de l’interroger et de l’approfondir. Et c’est parce que nous avons commencé à faire, plus qu’ailleurs, l’analyse de nos crimes racistes, antisémites et xénophobes, que nous avons la chance d’aborder les impasses du multiculturisme et les dérives du gangstéro-fondamentalisme qui menacent la démocratie. Il n’y a pas d’autre issue, d’autre modèle pour le futur de la globalisation, que cette vision de l’identité et des valeurs comme quête permanente. C’est pourquoi je plaide pour un rapprochement lucide entre l’humanisme chrétien et l’humanisme moderne qui en est issu, avec des ruptures et des refondations. Et je n’oublie pas la greffe musulmane dont nous connaissons encore mal la complexité.

Sommes-nous capables d’apprivoiser et de consolider cette culture européenne? Il me semble que les intellectuels européens ne se mobilisent pas suffisamment pour l’Europe. Nous avons su le faire pour des enjeux extérieurs, du Vietnam à la Palestine, mais nous ne nous engageons pas assez pour analyser et refonder la culture européenne. La création d’une «Académie de la culture européenne», rassemblant des intellectuels européens, pourrait permettre de travailler cette question en profondeur: «Existe-il une culture européenne? Quelles sont ses composantes traditionnelles? Ses métamorphoses?»

Développons aussi les parrainages, les jumelages, le multilinguisme qui n’est pas encore suffisamment soutenu ! Il faudrait commencer avec les enfants et créer, dès la maternelle, des classes de multilinguisme portant un projet européen. Au niveau de l’édition, on pourrait envisager un Prix du livre européen, attribué chaque année, qui serait traduit dans toutes les langues européennes. De même, un film? une exposition? Ce serait une manière d’adhérer à cette unicité européenne, faite de différences et d’interrogations.

Un grand changement est à l’œuvre : le citoyen européen à mentalité kaléidoscopique est en train de naître. Je le vois chez nos étudiants qui parlent plusieurs langues, étudient et travaillent d’un pays à l’autre… Essayer de s’exprimer dans une pluralité de langue ne produit pas seulement une nouvelle espèce d’humanité performante et hyperconnectée. J’en ressens aussi bien la fragilité que les angoisses. Cette capacité linguistique et cette mobilité créent des personnalités souples, ouvertes et créatrices : un trait distinctif de notre civilisation que l’on ne voit pas aux États-Unis ou en Chine. Je crains que nous n’en soyons ni assez conscients ni assez fiers, pour accueillir et favoriser son originalité et ses promesses, porteuses d’une mémoire incomparable et d’espoirs inouïs.

20140301

Politique Culturelle

Créons une Académie des Cultures Européennes, ferment d'une fédération politique.
Julia Kristeva.
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Quel rôle la culture peut-elle jouer en Europe ?

Une nouvelle surprenante est venue de la place Maïdan : ils aiment l’Europe ! Utopique espoir mercantile contre le despotisme des oligarques corrompus ? Ou fervente appartenance aux « valeurs européennes » ? Lesquelles ?

Aujourd’hui experte en célébrations patrimoniales, l’Europe n’avait pas inscrit la culture dans le traité de Rome. Et les techniciens de l’UE ne semblent pas s’apercevoir qu’une culture européenne existe, bouquet des cultures et des langues nationales, mais aussi transversale à cette pluralité. Elle n’est pas seulement un sinistre reliquat de l’Inquisition, du colonialisme et de la Shoah. Une histoire de luttes émancipatrices et de résistances nous précède, tel un horizon fédérateur dans lequel se reconnaissent – avec une fierté aussi prudente que blessée – aussi bien le chômeur grec, portugais et italien que le plombier polonais, la blogueuse allemande et le twitteur français. Et les insurgés de Kiev. Indignés par l’abîme qui se creuse entre les contraintes économiques et financières d’un côté et le consentement populaire de l’autre, ils n’ont pas remis en question leur appartenance à la culture européenne, ils « se sentent européens ».

Pour écarter le rejet du politique, quand ce n’est pas la régression suicidaire au nationalisme autistique, la nécessité s’impose d’envisager une profonde mutation du politique. Elle n’est possible qu’à partir de cette vitalité historique qui n’est autre que la mémoire culturelle de notre continent.

Quelle identité ?

Serait-ce parce que l’Europe a succombé à la barbarie jusqu’au crime, mais qu’elle en fait l’analyse mieux que bien d’autres, NOUS sommes à l’heure où il est possible d’assumer le patrimoine européen en le repensant comme un antidote aux crispations identitaires : les nôtres et celles de tous bords.

L’identité mise en question dérive souvent en haine de soi : autodestruction dans laquelle les Français et les Européens aiment à se complaire. Mais cette interrogation permanente peut déboucher aussi sur une identité plurielle.

L’Europe est désormais une entité politique qui parle autant de langues sinon plus qu’elle ne comporte de pays. Le multilinguisme est en train de devenir la langue des Européens : les étudiants qui traversent les frontières avec les bourses Erasmus en sont l’exemple vivant et prometteur. Une nouvelle espèce émerge peu à peu : le citoyen polyglotte d’une Europe plurinationale.

Dépression nationale

Les nations européennes, déprimées comme les individus peuvent l’être, attendent l’Europe, et l’Europe a besoin des cultures nationales valorisées, pour réaliser dans le monde cette diversité culturelle dont nous avons donné le mandat à l’Unesco. La spécificité culturelle des nations est le seul antidote au mal de la banalité, cette nouvelle version de la banalité du mal.

L’humanisme n’est pas une nouvelle religion

L’humanisme est un féminisme ; il est un souci constant pour l’éveil de l’expérience intérieure avec et malgré l’hyperconnexion, pour l’interaction avec la vulnérabilité, pour l’accompagnement de la mortalité ; il propose une morale qui nécessite une réévaluation respectueuse de l’héritage religieux et spirituel.

Constituée depuis deux siècles comme la pointe avancée de la sécularisation, l’Europe humaniste est appelée aujourd’hui à élaborer des passerelles entre les trois monothéismes, et avec les autres religions. Pour ce faire, la tolérance et la fraternité sont nécessaires mais ne suffisent pas. L’humanisme n’est pas l’auberge espagnole de toutes les croyances. À la lumière de la philosophie et des sciences humaines issues de la sécularisation, la laïcité républicaine invite croyants et non-croyants à considérer que si « personne n’est propriétaire de la vérité », il incombe à tous de réévaluer leurs propres idéaux et de dépasser les dogmes meurtriers. Plus encore que les politiques, les intellectuels européens, les artistes et les écrivains portent une lourde responsabilité dans le malaise européen, quand ils sous-estiment ou oublient cette refonte.

Suis-je optimiste, trop optimiste ? Je me définirais plutôt comme une pessimiste énergique. Et je propose un premier pas : mettons en évidence les caractères, l’histoire, les difficultés et les potentialités de la culture européenne, en créant une Académie des cultures européennes. Elle sera le tremplin et le précurseur de la véritable fédération politique.