20140405

Editorial

Affirmation de la culture
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C’est tout à fait légitimement que nous avons du mal à supporter ceux qui aiment à se répandre en plaintes et griefs sur leur/notre époque. Et qui tiennent tous les phénomènes observables pour une évolution désastreuse attribuée unilatéralement à la prépondérance de passions et d’intérêts égoïstes. L’attitude qui consiste à incriminer en toutes choses la détresse des temps présents et à lui opposer symétriquement des fins supérieures tout aussi abstraites, ne fait pas autre chose que se mettre au service d’une réaction qui n’a d’ailleurs pas d’autre choix que de s’exiler de cette société, c’est-à-dire laisser faire ce qui se fait et qui n’est pas l’intérêt des individus mais des marchés.

Nous ne croyons pas qu’il y ait quelque chose de pourri dans le domaine de la culture, en Europe, ce qui ne signifie pas que nous n’ayons pas des interrogations relatives à notre époque. Jalal Toufic constatant, comme beaucoup, que la tradition s’est retirée pour de bon (on pourrait réviser ses expressions), en tire au moins la conclusion qu’il n’est pas de nostalgie à avoir. Au demeurant, les longues litanies de fidélité ne nous semblent pas, heureusement, épuiser les variations possibles de la succession. Certes, elles rassemblent les variations les plus en vue. Celles de ceux qui cultivent la haine de soi, de ce qu’ils peuvent faire, et qui se réfugient dans un absolu, ou dans une transcendance pourtant impossible à étayer par un modèle (le plus vieux, l’ancien, l’avant ?). Celles de ceux qui trahissent leurs auditeurs en leur faisant croire qu’il n’y a plus rien à faire. Celles de ceux qui sacralisent le patrimonial au lieu de se demander ce que l’on peut en faire. Il nous font croire que la conscience qu’une culture a d’elle-même doit être liée au sens qu’elle a de sa situation par rapport à son passé, et d’ailleurs en ne considérant qu’elle-même.

Mais ne serait-il pas bon que cette conscience corresponde plutôt à ce qu’une culture sait de sa capacité à exercer les hommes et les femmes, les spectateurs et les regardeurs, à se tenir debout en toutes circonstances, à lutter contre les assignations et à reconfigurer sans cesse leurs compétences et donc leur monde ? Autrement dit, en matière de culture, à la mise en exercice constante de la spectatrice ou du spectateur (du regardeur ou de l’activateur, comme du spectacteur), quitte à réviser sans cesse les liens avec la « mémoire » et l’héritage. D’autant que la mémoire n’est pas un réservoir du passé (c’en est le contraire) et que l’héritage est à faire et à refaire.

Dans cette autre perspective, la question est de savoir si nous pouvons nous donner une chance de ne pas nous enfermer sur nous-mêmes et le passé ( !), les classiques, si on ne veut plus non plus de la rupture. La question centrale reste celle-ci : comment provoquer dans la chaîne (toute chaîne, n’importe laquelle) un hiatus qui ne désintègrerait pas, mais propulserait ?

Nous nous permettons à ce propos de signaler à nos lecteur la sortie de notre ouvrage :



Christian Ruby, Spectateur et politique, D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture, Bruxelles, La Lettre volée, 2014 (disponible en France, à partir du 15 janvier).

20140404

ECSA


European Citizen Science-Association
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Der Idee ist nicht neu : Bevor der Beruf Wissenschaftler streng formalisiert wurde, haben es engagierte Bürger auch in der Wissenschaft weit gebracht. Besonders für die Wissenschaflten, die näher am Alltagsleben sind, bietet sich die Möglichkeit, Bürger für eigene Projekte zu begeistern.

Eine solche Association will Projekte aus ganz Europa vernetzen, und Bürgerwissenschaft an den akademischen Einrichtungen verankern. Man kann Citizen Science im Trend einer Öffnung der Wissenschaft zur Gesellschaft, einer Demokratisierung sehen : Weniger abstrakt, interaktiver und verständlicher solle sie so werden. Für die Wissenschaftler ist ein Vorteil der Citizen Science klar : Sie bekommen eine große Menge an Daten. Um die Leute zum Mitmachen zu bewegen, muss die Wissenschaft wiederum ihre Vorhaben so schildern, dass sie allgemeinverständlich sind. Zumindest ist ein Publikum für die Publikationen geschaffen und eine Erwartungshaltung an Verständlichkeit.

Welche Beispiel für sogenannte Citizen Science oder Bürgerwissenschaft ? Verlust der Nacht, das Tagfalter-Monitoring, in Deutschland ; und in andere Länder.

Das bedeutet : Jeder Bürger kann sich an der Wissenschaft beteiligen. Oft geht es dabei um das Datensammeln. Die Beteiligung kann aber auch andere Formen annehmen : Bürger bringen Erfahrung oder privates Expertentum ein, tüfteln online an Problemstellungen oder stellen die Rechenleistungen ihrer Computer zur Verfügung.

Darüber hinaus enthält Citizen Science aber auch einen Imperativ für die Wissenzchaft selbst : Sie soll sich öffnen, Platz machen für Laien und den Dialog mit der Gesellzchaft suchen.

Gerade ist die Begeisterung für Citizen Science groß, was auch mit den Möglichkeiten der digitalen Technologien zusammenhängt.






Aus der FAZ.

20140403

Atypique


Réflexion sur l'assignation à l'atypique
Ou l'art au risque de nouveaux "sauvages" : les prisonniers !
Christian Ruby* .
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Contribution orale à un débat de sociologie de la culture, le 3 novembre 2014. Mais cette contribution a subi un changement de forme, passant de l’expression orale à l’expression écrite, afin de s’ouvrir à un nouveau public.

La question posée : Comment aborder les publics atypiques ?

“Atypique”, ce terme faussement sociologique employé désormais dans le cadre des réflexions sur le public des arts et de la culture, est très certainement un adjectif destiné à produire ou témoigner d'un contraste, lequel se donne à lire plus clairement dans le choc entre public "compétent", "courant" et "improbable". Ce qui peut encore se traduire par la hiérarchie, fréquemment en usage, entre public connaisseur, grand public et public "atypique". Il en va ainsi de ces catégories de classement de l'administration esthétique - y compris de l'ancienne catégorie de "non-public" (Francis Jeanson/Jean Vilar) - , lesquelles ne concernent pas l'appropriation privée mais publique des oeuvres d'art et de culture. Ce qui peut nous intéresser ou nous inquiéter dans son usage, c'est la politique des arts et de la culture que cet adjectif veut ou permet d'imposer, dans une perspective démocratique. Autrement dit, la politique d'un public assigné et sa manière de rencontrer ou non des trajectoires sociales spécifiques.

En effet, la tension habitant le dispositif culturelo-politique qui découle de cet usage, au sein duquel opère un déploiement de pensées et d'actions de médiation, notamment dans les prisons, les hôpitaux,..., voudrait légitimer une volonté de dépasser tant l'enfermement du public cultivé dans ses rituels que les jouissances rapides du grand public, en proposant d'accéder à d'autres publics, cependant définis le plus souvent par les lieux dans lesquels ils se trouvent captifs (prisons, hôpitaux, écoles,...). Ce qui évidemment pose deux problèmes. Le premier renvoie à un paradoxe : alors que le public (en soi) n'existe pas, dans ces lieux existe bien un quasi-public aisément rassemblable, plus ou moins sur ordre ; le second à un déplacement : le caractère "atypique" du lieu de référence étant reporté sur tel quasi-public. En définitive, il s'agit donc moins de penser un public "atypique" que de penser un public captif dans un lieu "atypique" - et pas le lieu seul, largement exploité par le cinéma ou la photographie, ou aménagé depuis peu pour des expositions - La disparition des lucioles, Avignon 2014, prison Sainte-Anne ; Ernest-Pignon-Ernest et Georges Rousse, Lyon, prison Saint-Paul ; Thomas Boivin, André Castagnini, Jean-Michel Pancin,... -, une fois ce public transféré, en général dans des lieux plus sains et mieux aménagés selon les critères en vigueur -, "atypique" donc, par rapport aux habituels "hauts lieux" de l'art, sans qu'on ose d'ailleurs parler de "bas lieux" de l'art.

Néanmoins, même si on est en droit d'interroger les formulations de cette pensée de l'art et de la culture en acte dans les catégories employées par certains sociologues, on ne peut ni négliger, ni mépriser l'incontestable énergie qui se dégage de ce type d'approche de l'"atypique" chez les médiateurs des arts et de la culture, par conséquent des lieux et des publics auprès desquels les règles et les contraintes esthétiques sont affaiblies, par fait de leur situation institutionnelle, en premier lieu. Et, on peut d'autant moins écarter d'un revers de la main certaines volontés de mettre en place de tels projets d'investissement, que des formes alternatives aux normes dominantes de l'action culturelle peuvent éventuellement en émerger.

Terra incognita


L'attribution de l'adjectif "atypique" est loin d'être aussi évidente que son usage courant le laisse entendre. Si c'est le public qui est "atypique", il ne peut l'être que par rapport aux réactions habituellement attendues du public vis-à-vis des oeuvres d'art et de culture. Si ce sont les lieux qui sont "atypiques", c'est parce qu'ils n'appartiendraient pas au catalogue officiel des lieux fréquentés par les gens de l’art et de la culture. Si c'est le public du fait des lieux, on a du mal à en comprendre les raisons, puisque ces derniers ne sont pas destinés à l'art et à la culture, même s'ils enveloppent de l'art et de la culture. Si ce sont les lieux, du fait du public, nous nous trouvons devant la guerre sociale. En un mot, qu'est-ce qui est "atypique" : la structure entravante ou le captif ?

Bien sûr, lorsque le problème des arts est posé en termes de "public", la sphère des arts et de la culture rencontre bien la quête infinie de l'adresse de l'art et de la culture, telle qu'elle est établie dans la modernité. Mais, dès qu'il est soumis à un séquençage du public, et pensé quantitativement par "groupes cibles", on est en droit de se demander quelle politique (de consommation, ce qui n'exclut pas l'idéologie) il sous-tend, qui ne peut plus être la seule politique intrinsèque de l'oeuvre (l'adresse indéterminée à tous).

Certes, déjà, les grandes institutions culturelles s'inquiètent d'intégrer de plus en plus de publics et le public, dans des activités de plus en plus variées, et dans des séquences temporelles de plus en plus vastes (le matin, l'après-midi, le soir, la nuit, toute la nuit, quelques heures, une heure fugitive,...). Le séquençage du public vient à leur secours. Il est clair qu'il sous-tend le double présupposé, de la préoccupation de ne laisser échapper personne à leur influence en les condamnant à enregistrer sans cesse ce qui ne cesse de fuir leur pouvoir ; et celui d'une analyse de ceux qui sont encore à conquérir en termes de dégradation ou de perte au fur et à mesure de la glissade sur l'échelle de leurs catégories. Aussi, le public "atypique" serait-il logé du côté d'une perte par rapport à laquelle il faudrait comprendre son énigmatique jouissance cependant possible.

De toute manière, le public n'existe pas. Il n'y a ni public en soi, ni grand public autrement que par application des critères de la sociologie de masse à l'art et à la culture, ni public "atypique" en soi. Le public est toujours à faire. Et il ne se "fait" qu'au droit des oeuvres. Ce n'est qu'à partir de ce moment que l'on peut saisir quelque chose que l'on peut appeler public, notamment à partir de ses réactions de corps alors instituées soit par ses commentaire, soit par ses applaudissements, soit par ses cris et réactions, qui n'ont d'ailleurs pas la même signification en chacun des membres de la composition momentanée. Et il devrait exister, en effet, un pan d'études nécessaire portant sur les dynamiques du public (du groupe) : rumeurs, horizons d'attente, rassemblements, entraînement,... le public ayant éventuellement des réactions de foule.

Le public se forge donc, par spectateurs interposés et dans des différences, pour employer brièvement cet autre substantif. Et les spectateurs, eux aussi, se fabriquent. Carlos Ginzburg, dans une performance répétée plusieurs fois entre 1974 et 2010, intitulée Qu'est-ce que l'art ? Prostitution, souligne, fort classiquement, que l'art se donne à tout le monde. En citant ainsi Charles Baudelaire, par un extrait de Fusées, il insiste sur le fait que l'exploit de l'oeuvre est de nous transformer de passants en spectateurs, puis en public. Dans le public, le spectateur, toujours différent par son éducation, sa formation, sa classe, participe à un événement transindividuel, qu'il ne fait d'ailleurs que traverser, puisqu'il est débordé en public momentané, en société fortuite, écrivait de son côté Honoré de Balzac. Marcela Iacub, dans un article d'Art Press (n°375, Février 2010, p. 54-57), commente cette performance de Ginzburg ainsi : "Mais qu'est-ce que le public ? Comment est-il constitué ? Par le premier venu, n'importe qui. Celui qui entre dans une exposition est un public."

Dès lors, la question du public "atypique", au risque du bon sauvage, ne surgit-elle pas plutôt quand l'action culturelle ressent les limites du cercle "naturel" entre les arts et le public expert ? Dans tous les cas, il est possible de voir dans la question de l'"atypique" quelque chose de presque mélancolique, une sorte de volonté de ne pas capituler devant l'impératif de "conquérir du public", mais sans trop savoir où le trouver. Une façon de laisser tomber le public des connaisseurs, pour s'aventurer sur une terra incognita ?

"Sous-culture" ?


La séparation de quelques-uns du corps social actif, par l'enfermement dans une prison (un hôpital,…), forge-t-elle un milieu homogène ? Restons-en à la prison. Aucune analyse des prisons ne le montre, et il ne semble pas que le crime soit réservé aux uns ou aux autres. Le problème à résoudre réside surtout dans deux autres faits. À savoir que les représentations du public conditionnent les actions et que, dans les représentations du "public" des prisons, certains incluent essentiellement l'image d'un public d'incultes. Comme en une assignation nouvelle, les mots déclinent, en vérité, le "public" dont on pense avoir besoin afin de rendre compte de ses projets. L'assignation à l'"atypique", via l'inculte et la "sous culture" est aussi caractéristique que l'assignation ancienne au sauvage, concernant moins, comme on le sait, des populations typiques que des représentations des populations en fonction de l'action à conduire. Pensons moins au sauvage (bon ou mauvais) du XVIII° siècle, qu'aux sauvages de Balzac, de Paul Féval ou de Guy de Maupassant.

Sachant que les catégories culturelles sont des formes structurantes d'un espace d'action, on conviendra de la pertinence de ces interrogations, la bonne volonté artistique et culturelle ne suffisant pas à légitimer une action de médiation. L'assignation à la "sous culture" n'a d'ailleurs pas attendu les Cultural Studies pour être contestée. Elle ne peut fonctionner qu'en rapport avec une norme de référence (pour être "sous"), et en l'absence de compréhension des oppressions sociales et politiques. Nul n'ignore que la mise en exergue artistique des fresques carcérales et autres graffitis de prisonniers est ambigüe à ce titre. Ce qui constitue d'abord un défi à l'ordre symbolique de la prison est transformé en icône (de la rédemption, du ralliement à la culture) afin de mettre en scène un milieu "atypique", sans jamais en étudier la provenance, le style, et les vecteurs de distinction qu'il enveloppe. Alors qu'il conviendrait d'y reconnaître d'abord des formations acquises avant l'entrée dans la prison, des éducations différentielles, des rapports construits aux arts vus et fréquentés. Le reconnaître, ce serait alors mettre en valeur des pratiques de prisonniers, leur auto-mutation de consommateur (d'art) en acteur, et l'impossibilité de les réduire mécaniquement à un groupe homogène pris dans ses contraintes sociales, pourtant non totalisables.

L'artiste Mohamed Bourouissa, par exemple, nous reconduit vers le fond du problème : ou bien on définit une action POUR un "public" et, non seulement il est soumis à la représentation qu'on lui attribue, mais en plus, il demeure le simple corrélat de l'action ; ou bien on définit une action AVEC des personnes, et alors d'autres processus entrent en jeu. L'artiste, en effet, dans sa vidéo couleur et sonore, Temps mort, 2009, sans céder à aucune séduction technicienne, propose au spectateur de visualiser un dispositif de deux séquences, l'une d'un individu attablé, l'autre d'une conversation texto. Il s'agit d'un échange de vidéos réalisé via des téléphones portables, entre JC, enfermé dans un établissement pénitencier, et l'artiste qui initie la relation. Envoi de recharges, instructions et vidéos de l'extérieur contre les moments d'une vie de détenu raptés à l'établissement. A partir d'une telle relation illégale, le quotidien carcéral apparait sur l'écran. Grâce à JC, le prisonnier, l'artiste construit alors un parallèle entre deux univers, mettant en jeu les tensions propres à celui de la prison, une situation proprement violente, reflétée par l'ordinaire d'un lavabo, d'une plante verte ou d'une assiette résonnant autrement, en fonction du lieu de référence (la prison ou l'extérieur). Ce n'est pas tant JC qui est alors "atypique", d'autant que la situation de partage se constitue rapidement, que le lieu de privation de libertés.

Ce qui caractérise JC, c'est le désir d'art et de culture, au travers d'un moyen technique spécifique (et interdit). Et ce désir, il n'est pas conçu par la prison, mais par et dans la trajectoire de JC. Ce qui caractérise alors la proposition artistique de Mohamed Bourouissa, c'est qu'elle rend possible une émancipation de JC. ll n'est plus temps de chercher à "aller au peuple" !

La charge de l'art


Si, dans un premier temps, il fallait bien mettre au jour une incompréhension - et des auteurs comme Jean Genet nous rappellent que l'enfermement suscite toujours un double rapport falsifié à la réalité (celui de l'enfermé et celui de l'enfermant, nous, citoyennes et citoyens, puisque c'est en notre nom qu'il se réalise) -, cela ne donne aucune raison de renoncer à la charge de l'art. En revanche, il convient de lui conférer d'autres raisons. Et notamment, celles qui répondent à la question suivante : que peut le corps contraint et enfermé ? Sans doute s'exercer autrement !

Des formes alternatives aux normes dominantes de l'action culturelle peuvent-elles donc émerger, dans les conditions ici décrites ? Eventuellement, c'est-à-dire en changeant d'abord la conception de la culture dont on se réclame, ainsi que le regard sur la prison. Tant que les arts et la culture seront pris dans une conception de l'élévation de l'âme ou du divertissement, de la transmission ou de l'échappatoire, les raisons d'introduire des pratiques artistiques et culturelles dans les prisons demeureront inadéquates, parce qu'elles se contenteront, au final, d'expliquer au prisonnier qu'il doit rester un prisonnier. Il convient d'apprendre désormais à penser la culture en termes d'émancipation et de subjectivation, donc d'exercice de soi. Un peu comme le tente Philippe Bazin, dans sa série Détenus (2004), travaillant à la lisière de l'humanité normée, mais en la confrontant à l'extérieur de la prison (photographies des visages et vidéos des lieux extérieurs).

L’attention portée ici à cette notion d'exercice de soi renvoie au grec que traduit « exercice », à savoir « ascèse » (ascein, en grec), c’est-à-dire une pratique, un genre de vie culturelle et philosophique dans lequel on assouplit constamment son esprit en le façonnant par le travail sur soi résultant de la confrontation aux autres. Quel que soit le talent qu’on y met, la culture n’est rien si elle n’est pas un « se cultiver », un entretien de soi (et non de son « moi ») et un développement de soi, grâce auquel s’opère une modification de soi, de sa manière de se soumettre à des assignations, ou une transformation dans le sujet qui pratique cet exercice, de telle sorte que l'autre y occupe une fonction positive, et oriente la personne vers la solidarité et la prise d'initiative collective.

Penser la culture ou le « se cultiver », à partir de la notion d’exercice, contribue à éviter de confondre la culture avec des objets ou des normes, ou encore des formations hiérarchisantes (obligeant à penser les effets qu'il faut déployer pour parvenir à cultiver les "incultes"), et à la reconduire à des dynamiques et des trajectoires au sein desquelles des obstacles et des résistances sont à surmonter, des perspectives sont sans cesse à redéfinir, évitant de penser que la culture est donnée une fois pour toutes. Faire que la subjectivation se réalise, qu'elle résiste au point où les dispositifs se saisissent de la personne et la mettent en assignation. "Là où réside la rage, l'art n'est pas loin", proclame Günter Brus, l'activiste viennois.

Sans doute toutes ces interrogations biaisées sur l’atypique résultent-elles d’une certaine manière de traiter les arts et la culture en forme de divertissement. Mais, il n’y a pas d’art ou de culture dans la prison sans un décalage entre l’art et la prison, sans une suspension par les prisonniers mêmes du rapport au quotidien de la prison et à l’idée de prison.


D'une niche à conquérir à un écart à produire


Une telle réflexion n'est sans doute pas de grande portée. Elle a toutefois permis d'établir que "atypique" est la métaphore d'un certain discours portant sur l'ordre social et culturel. Et surtout de souligner l’idée selon laquelle, à propos des lieux d’enfermement, il vaudrait mieux penser en termes de possible et de dicible ce qui est renvoyé sans cesse à l’impossible et à l’indicible. En effet, la prison, pour prolonger notre référence, est bien d'abord un lieu de savoir refoulé, un lieu de culture suspendue et d’art hétéronome, si on veut bien ne pas s’intéresser seulement au savoir savant, à la culture cultivée et à l’art institutionnalisé qui recherche des niches à conquérir.



* Christian Ruby, Philosophie, Docteur en philosophie, Formateur de médiateurs. Dernier ouvrage paru : Spectateur et politique, D’une conception crépusculaire à une conception affirmative de la culture ?, Bruxelles, La Lettre volée, Janvier 2015.

20140402

Projet


Réflexion future sur Autorité, Domination et Pouvoir.
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Nous signalons ici un projet de rechercher portant sur Autorité, Domination et Pouvoir, conduit par Stanislas d’Ornano, Lille.


I. L’Autorité en démocratie

1. Jean-Claude Monod (philosophe, politiste): figures de l’autorité politique en démocratie représentative

La figure du chef charismatique, par ce que gouvernés et gouvernants sont désormais égaux, mais aussi parce que le charisme permet de sélectionner efficacement les dirigeants politiques et de contrôler les processus impersonnels que sont la bureaucratie et le marché, est la réponse donnée par Max Weber à la thèse rousseauiste de l’impossibilité d’un chef en démocratie. Dès lors, comment évaluer aujourd’hui le « charisme progressiste de chefs » capables de bouleverser des structures économiques et sociales tendanciellement oligarchiques et conservatrices ?



2. Katia Genel (philosophe, politiste): Les critiques de l’autorité en démocratie

L’ambiguïté du rapport de l’autorité à la contrainte a pu être appréhendée très différemment, orientant les perspectives critiques. À côté d’une l’approche irénique du pouvoir, qui dissocie chez H. Arendt l’autorité de la domination, Freud, Max Weber, les auteurs de l’École de Francfort, P. Bourdieu, la tradition politique qui de Montaigne à Derrida reconnaît l’existence d’une violence créatrice transformée en droit, ouvrent des voies multiples permettant de penser le rapport entre autorité et violence en démocratie.



II. Penser les articulations entre autorité et pouvoir

3. Michaël Foessel (philosophe): L’autorité des normes. Regards croisés entre la philosophie politique et les sciences sociales

La question centrale des normes révèle un conflit entre la philosophie politique et la sociologie à propos de leur origine et de la question du pouvoir. Postuler l’autonomie du politique conduit à considérer la loi comme fondement des normes ; poser le primat des relations sociales légitime une pure description de ses régularités. Cependant, d’une part, la sociologie dans ses différents ancrages (domination, neutralité axiologique, extériorité du fait social) révélerait aux acteurs ce qui sinon serait subi sans être compris : la dimension politique des phénomènes sociaux. D’autre part, un double mouvement venant du « terrain » dans les démocraties libérales, la politisation du social (ex. les inégalités économiques comme enjeu central, comme le montre l’engouement actuel pour les travaux de Th. Piketty) et la socialisation du politique (désirs de reconnaissance) rend nécessaire un croisement des regards disciplinaires.



4. Christian Ruby (philosophe): L’autorité et le pouvoir de l¹art sur le spectateur

Nombre d¹artistes contemporains adoptent des stratégies d¹évitement des rapports d¹autorité et de pouvoir à l¹intérieur de leur champ de référence : qu¹elles passent par la critique des institutions culturelles ou par l¹ironie à l¹égard des curateurs, ou encore par la suspension de l¹aura de l¹oeuvre, ces stratégies sont visibles. Mais il est une autorité et un pouvoir, il faudra par ailleurs les distinguer, qui sont peu soumis à analyse, ce sont ceux qui portent sur le spectateur. Comment l’oeuvre fabrique-t-elle un type de spectateur et comment celui-ci résiste-t-il à ce que l’oeuvre veut faire de lui ?





5. Yves Cohen (historien): L’oubli du pouvoir : le rôle joué par le concept d’autorité dans les sciences sociales

Le concept d’autorité, au cœur des catégories savantes mises en œuvre par les sciences sociales traduit une histoire de la rationalisation centrée sur la fonction et la bureaucratie impersonnelle, un primat de l’organisation sur l’individu, identifiables aussi bien chez Weber (dans une optique libérale) que chez Durkheim, Merton, Talcott Parsons. Or l’usage du concept wébérien/ arendtien d’autorité qui présuppose l’acquiescement des individus ne rend pas justice des résistances au pouvoir- analysées surtout depuis les travaux de Michel Foucault et Pierre Clastres- et de l’épaisseur historique du « besoin de chef », contemporain dans les années 1920 de la naissance du sujet psychologique.



6. Anne Querrien : Le pouvoir : résistance, refus, subjectivation.





III. La nature de la domination

7. Yves Sintomer (politiste): La domination chez Max Weber. Paradigme et lectures

La publication en langue française d’une édition complète des textes wébériens consacrés à la domination est un événement considérable. D’un côté, le modèle wébérien distingue le pouvoir en général (dispositif horizontal d’organisation et de gestion), la domination en général comme cas particulier de celui-ci et associée au devoir d’obéissance à une autorité, et son degré d’effectivité qui passe par la « discipline ». Mais par ailleurs, il réarticule ces éléments à travers une célèbre typologie des dominations légitimes. Ce modèle devenu paradigme en sciences humaines et sociales est cependant susceptible de lectures divergentes. Ainsi, la libre acceptation de la domination est-elle recouverte par la « cage de fer » que constitue l’orientation des raisonnements utilitaristes de la part des acteurs en régime capitaliste ?



8. Charlotte Nordmann (philosophe) : L’impuissance du dominé ?

Si le modèle wébérien présuppose l’acceptation de la domination légitime par les dominés dans le cadre d’un système de croyances, des penseurs critiques comme Pierre Bourdieu et Jacques Rancière ont cherché à ouvrir la boite noire de cette acceptation qui apparaît comme « naturelle », en considérant que comprendre le phénomène de la dépossession est une condition pour que tous puissent développer la possibilité de parler et faire de la politique. Cette première analyse comparée (2006) de ces deux approches en partie contradictoires de l’émancipation (postulat d’égalité VS déterminismes sociaux), peut être élargie aujourd’hui à un panorama plus large, incluant notamment des prolongements actuels de l’analyse foucaldienne d’une biopolitique du pouvoir.



IV. La domination est-elle résistible ?


9. Yann Moullier-Boutang (économiste): Le capitalisme cognitif est-il résistible ?

Ce troisième capitalisme, à la fois cognitif et patrimonial, créé de la valeur à travers la production de connaissances par les réseaux numériques fonctionnant comme un cerveau vivant collectif. Il se défend très bien face au monde numérique coopératif en judiciarisant le processus de démarchandisation (ex ; lois Hadopi). La communauté des citoyens en réseaux peut-elle résister à cette nouvelle forme de domination ?



10. Gilles Lipovetsky (philosophe et sociologue): Le « capitalisme artiste » n’est pas anti-démocratique

Selon le « Dilemme de Rodrick » connu des économistes, on ne peut avoir en même temps une « hypermondialisation » correspondant à une intégration toujours plus poussée des économies nationales et la démocratie, car la nécessité exclusive d’attirer capitaux et épargne se fait au détriment de la préférence démocratique pour un État-Providence stabilisateur. À l’opposé de ce constat, le « capitalisme artiste » ne détruit pas l’ordre symbolique mais en invente un autre, la victoire historique affirmée de l’Occident n’étant pas celle d ‘un contenu culturel, mais plutôt d’une forme sociale, caractérisée par la rationalité techno-scientifique, le calcul économique et les droits individuels, dont la valeur s’impose partout, y compris dans les zones et mouvements d’affirmation identitaire. Dès lors, l’esthétisation du monde et du consommateur ne prolétariserait pas celui-ci, développerait les libertés plus que l’aliénation.



11. Stanislas d’Ornano (docteur en sciences politiques): Un double obstacle à la domination absolue

Si l’on pose de façon générale que la domination conceptualise la manière dont le devoir d’obéissance et le pouvoir de commander sont combinés dans les situations concrètes d’interactions, compte tenu des ressorts qui rendent l’autorité effective, elle apparaît non-résistible et unilatérale dans l’acception marxiste, résistible mais univoque dans la version wébérienne de la «cage de fer » de l’utilitarisme, résistible sous hypothèse de liberté de l’acteur et de l’indétermination du lien social dans la sociologie des formes sociales de G. Simmel. Si l’on suit cette troisième voie, on peut mettre en relief deux obstacles à la situation de domination absolue : l’existence d’une rhétorique d’adhésion à l’État de droit des dominants et de stratégies de résistances des dominés, y compris dans des situations extrêmes.



12. Marcel Dorigny (historien) : La victoire des esclaves face à la domination coloniale (1793-1804)

La traduction récente en français de l’important ouvrage de l’historienne américaine Carolyn Fick Haïti. Naissance d’une nation, est l’occasion de revenir sur le rôle central joué par les esclaves dans le processus révolutionnaire qui a conduit à l’abolition de l’esclavage en 1793, et à l’instauration de la première république noire de l’histoire en 1804, à la fois en phase et malgré L’Europe des Lumières.

20140401

Informations


1 – Sur l’art et l’Europe :



Les transferts artistiques dans l'Europe gothique. Repenser la circulation des artistes, des œuvres, des thèmes et des savoir-faire (XIIe - XVIe siècles)
Jean-Marie Guillouët, Jacques Dubois, Benoît Van den Bossche, Annamaria Ersek
Collectif

DATE DE PARUTION : 28/05/14 EDITEUR : Picard ISBN : 978-2-7084-0972-9 EAN : 9782708409729 PRÉSENTATION : Broché NB. DE PAGES : 367 p.


Entre le XIIe et le XVIe siècle, la mobilité des artistes et des oeuvres prend une ampleur et une importance inégalées. Les questions posées par ces multiples circulations appelaient une synthèse qui vise à dépasser le simple repérage des parcours des oeuvres et des hommes pour en examiner les causes et les conséquences sur la production artistique à l'échelle européenne. Quelles significations pouvaient être attachées au recours à des artistes étrangers ? Quelles raisons et conjonctures politiques ou culturelles conduisaient à de tels choix ? À quelles contraintes statutaires, techniques, fiscales ces artistes étaient-ils soumis ? Avec quelles conséquences sur leurs productions ? Quelle était la place assignée à leurs oeuvres dans leur pays de réception et quel en fut l'impact sur leur contrée d'origine ? La diffusion, à l'époque gothique, des techniques, des formes ou encore des thèmes permet ainsi de repenser cette vaste question dans son ensemble pour définir la place de l'artiste étranger dans les évolutions artistiques de l'Occident médiéval.
À ce jour, aucun projet de publication similaire en histoire de l'art n'a été mené avec une telle ambition géographique. À travers de nombreux exemples, cet ouvrage dévoile la genèse de la culture artistique européenne.





2 – Sur les prisons :



Prisoners are often forgotten, mistreated members of society. But there are some advocates in the business of preserving a few human dignities for inmates, including access to the arts.

A couple weeks ago I shared a CityBeat story on the reintroduction of the Arts-in-Corrections program in California prisons, which happened shortly after a cover story on the program was published in the weekly. As CityBeat highlighted, this programming leads to reduced disciplinary actions, increased self-esteem and self-respect, improved emotional control and a significantly reduced rate of recidivism. So it was seen as a huge win when arts programs were brought back.

KPBS’ Midday Edition welcomed three guests to the show to discuss the reintroduction of creative instruction provided by seven arts groups in California prisons. Laura Pecenco of Project PAINT, David Beck Brown, former arts facilitator at Donovan Correctional Facility and Donovan’s community resources manager Robert Brown stopped in to talk about these programs and benefits for prisoners both behind bars and after release. Some great, insightful points are made in the interview. Plus, cold hard facts. Can’t argue with those.

You’re reading the Culture Report, http://voiceofsandiego.org/Voice of San Diego’s weekly collection of the region’s cultural news.

20140305

Editorial




Au-delà d'une analyse filmographique nécessaire de l'oeuvre de Robin Campillo (scénario, images, direction des acteurs, montages,...), et d'un avis sur son film - primé à la dernière Mostra de Venise, 2013 - qui dépasse le cadre de cet éditorial, le problème posé plus globalement par son film - Eastern Boys - est celui de la réalité et du fantasme de l'autre conçu de l'intérieur même de l'Europe, immigration et problèmes d'intégration intraeuropéens et extraeuropéens aidants. Comment l'Europe, dans son passé auto-centrée et exclusive de l'étranger lointain et proche par l'ex-colonisation (Afrique, Asie), se trouve-t-elle désormais, ou plutôt, se sent-elle aussi confrontée aujourd'hui à l'exclusion des immigrations internes, et partagée entre Europe de l'Ouest et Europe de l'Est (Roumanie, mais aussi Serbie, et bientôt Ukraine, Russie) ?

En prenant le prisme le plus large possible, la question est, bien sûr, de savoir comment et à partir de quel imaginaire s'organisent de telles césures (Nord-Sud, Est-Ouest, Europe-hors Europe,...) et au profit de qui ou de quoi fonctionnent-elles ?

Il reste que Campillo prend un prisme spécifique. Le film cité ici, et qui nous sert à poser le problème de la culture européenne, pris entre enquête locale (la Gare du Nord), jeu de domination sexuel (Marek et Muller), romance (les mêmes pris dans un rapport sexuel qui se complexifie) et thriller (comment s'extraire d'une bande solidaire à l'étranger et trouver de l'aide autochtone), a le mérite de sceller en une même articulation les problèmes cités : le rapport Ouest-Est, le rapport sexuel, la diversité des langues et les moeurs, tout en lui donnant la forme générale du SDF, et de sa prise en charge par les règlements de police ou de sa non prise en charge par la population locale.

La Gare du Nord (Paris) occupe ici une place stratégique pour mettre au jour les enjeux, entre réalités, préjugés et manichéismes. Les gares sont effectivement le lieu de la plus grande distribution des fantasmes vécus de l'étranger (passage, transfert, déplacement, fonction du "non-lieu", image d'invasion,...), de celui que l'on voit nécessairement, qui débarque et pose ses valises là où on ne l'attend pas du tout, là où il peut faire la manche ou le tapin parce qu'il le doit pour survivre, où s'organisent des bandes de survie, et où les autochtones se livrent à un ballet d'évitement et de contournement tout à fait propre à susciter des images que la caméra de Campillo reconstruit avec art. Mais c'est aussi le lieu de la rencontre possible, violente ou douce, entre des mondes qui habituellement se juxtaposent plutôt.

C'est d'ailleurs ce jeu de rencontre que le film travaille (indifférence, accueil, surprise, capture, refoulement,...). Il en propose différentes formes métonymiques successives (la gare et l'arrivée du jeune immigré, l'appartement bourgeois et une dévastation dont le personnage est l'otage, le changement de décor pour accueillir l'autre, le retournement de la situation et la prise du centre d'hébergement), en une série de figures cinématographiques de lieux de rencontres possibles en Europe (donc du plus large au plus intime, et du plus intime au plus légal : la gare, l'appartement, le centre d'hébergement), avec effets contraires. Ainsi en va-t-il, à chaque fois sur le même mode, de la situation dans la gare, puis de l'arrivée surprise chez le personnage recevant Marek (alias Rouslan, interpété par Kirill Emelyanov), Muller (interprété par Olivier Rabourdin), quadragénaire bien installé et menant une existence rangée, qui voit son appartement perturbé par des invités qu'il n'attendait pas ; enfin, de la dévastation inversée du centre d'hébergement. Comme en un jeu d'emboîtement : chacun se déplace soudain dans le monde de l'autre, en une démultiplication infinie (la gare, l'appartement, la ville, puis l'inversion : le centre d'hébergement,...).

Au coeur de chacun de ces lieux, la rencontre entre des corps étrangers, des moeurs perturbées et des mises en oeuvres dont on ne racontera pas les dynamiques (ceinturées par un récit efficace), entre des mondes qui s'ignorent mais si proches qu'ils ne peuvent pas ne pas se regarder au moins fortuitement, se décline en mode de consommation d'abord (ici la consommation sexuelle de l'autre avec exercice de domination puis rééquilibrage ou consommation électronique (IPhone)), avant de se structurer en mode de confiance réciproque puis de reconnaissance (on ne racontera pas la fin du film, qui ne s'ordonne heureusement pas à une rédemption, mais plutôt à un type de rapport mutuel).

C'est bien de la question européenne qu'il s'agit (même si on pourrait étendre le propos bien au-delà d'elle), d'une pensée de l'articulation des différences surmontant les séparations, et précisément par des activités communes. Celle de la culture européenne que nous avons tant de mal à concevoir comme une culture à construire dans la diversité, et que nous persistons à enfermer dans des identités closes sur elles-mêmes.







20140304

Identités

A nouveau sur les fictions identitaires
Christian Ruby
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A propos de 4 ouvrages :

Vincent Descombes, Les embarras de l'identité, Paris, Gallimard, 2014. 
Pierre Macherey, Identités, Grenoble, de l'Incidence, 2014. 
Michel Augier, La condition cosmopolite, Paris, La Découverte, 2014. 
Alain Finkielkraut, L'identité malheureuse, Paris, Stock, 2014.
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Appel für weniger Identität und mehr Solidaritäts-Aktion fûr Zuwanderung und Flüchtlinge. Vor der am Juni beginnenden neuen Euro-Parlament wollen wir mit einem ungewöhnlichen Aufruf zur Zuwanderungspolitik gewanden. Damit Europa ein gutes Vorbild bleibt, und die Zuwanderung in Gesellschaft gelingt, rufen wir alle diejenigen, die in Gesellschaft und Politik Verantwortung übernehmen, zu einer über Identität Debatte auf.

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To begin with, I should say that I have never cared a great deal for reflections on identity. I do not see how identity can put steam back into the engine of European integration. It is also a notion which is difficult to define and can be one of many things: the demos, which some would say is its purest form; the feeling of belonging to a group, a community of shared values; the link which some make between identity and positive output from the EU; the classic distinction made in political science between those included or excluded from a group, ingroups and outgroups (group designations are an essential guideline for understanding political history). I will start here by going over a few notions whilst highlighting the opposition between Europe and the Nation. Over the last fifty years, there has been a dialectic and conflicting relationship between the two. Nowadays, just when people are talking about enlargement and globalisation, the question of the Nation has come back into the spotlight in debates. Secondly, I would suggest that the 85-95 period, when European integration accelerated, was not simply a functional - that is an institutional and economic - affair. To finish, I will conclude on the project of a European society, which is currently being discussed (Speech made by Jacques Delors (Founding President of Notre Europe), on Internet : http://www.notre-europe.eu/media/etud48_01.pdf?pdf=ok)

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Les uns et les autres se posent peut-être la question : mon pays est-il encore mon pays (La France est-elle encore la France, etc.) ? Les changements de valeurs ne dissolvent-ils pas les valeurs ? Toutes questions dont le ressort est l'identité ou l'identique (A = A), sa formation, sa déformation, son annulation.

Le thème identitaire, on le sait, n'en est pas à son premier accès public. Il revient en revanche, dans le débat, de nos jours, ceinturé par des inquiétudes vite dramatisées, par des craintes d'invasion et des fantasmes d'ennemis renouvelés, comme le montre l'ouvrage d'Alain Finkielkraut. Mais, celui qui revendique son identité, ou une identité, sait-il vraiment ce qu'il dit ou ce qu'il veut ? Certes, cela n'a de sens que s'il affirme simultanément sa crainte du changement ou s'il refuse d'être la proie d'un quelconque changement. La vulgate identitaire ne peut procéder autrement, elle doit en passer par là. Faute de quoi, elle ne peut tenir très longtemps.

Mais justement, comment a-t-on posé le problème de l'identité en Europe, pourquoi et à quelle échelle ? Car ce problème peut aussi bien se concevoir à l'échelle de l'individu, du groupe, qu'à l'échelle de la nation.

Vicent Descombes tente de mettre au jour l'idiome de l'identité. Dans ce dessein il faut en passer par les Grecs, et la volonté de poser un monde immuable, un cosmos, expressément défini par son identité et son immuabilité (formule transcendante de l'organisation du monde naturel et humain). Néanmoins, les Grecs avaient d'autres atouts dans leur jeu : la constitution d'une cité, selon Aristote, ne définit pas d'abord une identité - même si elle est loin d'en être exclue - mais la manière de muer un agrégat de voisins en une communauté dont l'objectif réside dans la capacité à réaliser une conception partagée du bien commun, impliquant la décision des citoyens, et leur capacité à faire entériner cette conception par les voisins.

Mais on peut prendre le problème à l'envers. A partir des "défauts" d'identité. Qu'appelons-nous, en effet, une "crise d'identité" ? Vincent Descombes, encore, montre comment le psychanalyste Erik Erickson a élaboré ce concept à partir du soin donné aux jeunes vétérans de la Seconde Guerre mondiale. Cette crise d'identité correspond à un conflit entre l'idée que ces jeunes soldats s'étaient faite d'eux-mêmes et les attentes de la société à leur égard. Entre les deux, il y avait choc, puisque les attentes de la société leur semblaient soudain exorbitantes. Ce conflit est d'autant plus accentué que la société moderne revendique les identités, du point de vue de la police : depuis la carte d'identité jusqu'à la nomination. Alors que chacun croit pouvoir se forger une identité profonde, différente de l'identité légale. Ce double processus de constitution des identités a été repensé par la sociologie interactionniste, lorsqu'elle a cru pouvoir définir l'identité personnelle comme le résultat d'une négociation entre l'identité objective et l'identité subjective. Bref, on ne sort du cadre assigné de l'identité, sur lequel Pierre Macherey insiste à juste titre pour le démonter.

Or, ce cadre a, de surcroît, une efficacité politique. Michel Augier y revient longuement. La frontière qui délimite deux groupes (sociaux ou nationaux) est moins une ligne de démarcation que l'espace de passage par lequel la communauté politique s'institue, parce qu'elle y fixe la place de l'ennemi. L'étranger est bien cet autre qui "me" permet de faire exister "mon" identité, en la clôturant sur elle-même, par rejet et exclusion. Il faudra revenir d'ailleurs sur cette fonction de l'ennemi, grâce à l'ouvrage récent d'Umberto Eco (Construire l'ennemi, Paris, Grasset, 2014).

Une autre question est de savoir comment s'opère cette affiliation à une identité, par exemple, nationale ? Il est clair, pour en rester à la question nationale, que cette notion d'identité rentre dans le cadre des développements des nationalismes. Le nationalisme est solidaire d'une conception de l'individu qui adhère délibérément à un programme idéologique national. Mais ce point est largement établi, notamment depuis les travaux de Benedict Anderson (L'imaginaire national, 1983, Paris, La Découverte, 1996) et de Ernest Gellner. Si le projet idéologique du nationalisme provient d'une élite qui le rend adéquat à une situation sociale de tension, son degré de réussite dépend cependant de sa capacité coercitive. On sait, grâce à Victor Klemperer (Lti, la langue du III° Reich, 1947, Paris, Pocket, 2003), que la langue peut y être assimilée à la nation, par imposition d'une certaine idée de la "pureté". On sait non moins que l'on peut fabriquer une langue presque ex nihilo, à cette fin.

A l'inverse, par ailleurs, les dites crises d'identité, au sein d'une cité, relèvent d'une incapacité à prendre en charge les situations nouvelles, surtout lorsqu'elles se heurtent à des dynamiques qui défont les assignations identitaires de front.





20140303

Transparence

Transparency international und Charta der Vielfalt
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Transparency International est une organisation non gouvernementale internationale d'origine allemande ayant pour principale vocation la lutte contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales mondiaux.

En 2013, la France a considérablement renforcé sa législation en matière de transparence de la vie publique. Pour Transparency International France, la sincérité des actions entreprises ne pourra néanmoins être reconnue que si ces nouvelles règles sont respectées par l’ensemble des responsables publics. La transparence de la vie publique doit ainsi s’affirmer comme une priorité sur l’ensemble du territoire national. Comme à chaque élection depuis 2007, Transparency International France a donc demandé aux candidats, têtes de listes dans les 39 communes de plus de 100 000 habitants[1], de se prononcer sur 5 propositions de nature à promouvoir l’intégrité et la transparence au niveau local :

Transparence du patrimoine des élu(e)s 


Fin au cumul des mandats dès 2014 ! 


Prévenir les conflits d’intérêts dans l’attribution des marchés publics et subventions 


Collégialité des décisions d’urbanisme 


Formation des élu(e)s à la déontologie

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Transparency International is committed to advancing accountability, integrity and transparency. In our own operations, too, we aim to be an example of good governance, ethical practice and openness to greater transparency. In the early 1990s, corruption was a taboo topic. Many companies regularly wrote off bribes as business expenses in their tax filings, the graft of some longstanding heads of state was legendary, and many international agencies were resigned to the fact that corruption would sap funding from many development projects around the world. There was no global convention aimed at curbing corruption, and no way to measure corruption at the global scale. Having seen corruption’s impact during his work in East Africa, retired World Bank official Peter Eigen, together with nine allies, set up a small organisation to take on the taboo: Transparency International was established with a Secretariat in Berlin, the recently restored capital of a reunified Germany.

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Transparency International Deutschland e.V. (kurz: "Transparency Deutschland", und jetzt International) arbeitet gemeinnützig und ist politisch unabhängig. Unternehmen haben die Möglichkeit korporatives Mitglied bei Transparency Deutschland zu werden.

Transparency Deutschland definiert Korruption als Missbrauch von anvertrauter Macht zum privaten Nutzen oder Vorteil. Eine effektive und nachhaltige Bekämpfung und Eindämmung der Korruption ist nur möglich, wenn Staat, Wirtschaft und Zivilgesellschaft zusammenarbeiten und Koalitionen bilden. Ziel ist es, das öffentliche Bewusstsein über die schädlichen Folgen der Korruption zu schärfen und nationale und internationale Integritätssysteme zu stärken.

Durch die Unterzeichnung einer Selbstverpflichtungserklärung verpflichten sich die korporativen Mitglieder zu hohen ethischen Standards im Geschäftsverkehr. Sie erklären, dass sie Korruption in jeder Form ablehnen und sie im eigenen Bereich weder anwenden noch dulden, dass sie ihre Beschäftigten für die Gefahren von Korruption sensibilisieren und schulen, und dass sie sich in den jeweiligen Interessenverbänden aktiv für Korruptionsbekämpfung einsetzen.
 
Internet


www.transparency.de

Adresse
Transparency International Deutschland e.V.

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Tel: +49-30-549898-0

Fax: +49-30-549898-22

E-Mail: office(at)transparency.de



Im Gründungsjahr 2009 haben wir mit CSR Jobs eine Plattform ins Netz gestellt, die Berufstätigen und Studenten Jobs und Ausbildungen im Bereich CSR und Nachhaltigkeit vorstellen sollte. Das posititive Echo hat uns dazu motiviert, das Portal auszubauen und den Schwerpunkt zu verändern: CSR Jobs ist das erste deutschsprachige Internetportal, das Bewerberinnen und Bewerbern das soziale und gesellschaftliche Handeln sowie das Personalmanagement potenzieller Arbeitgeber kompakt und aktuell darstellt.

Wir sind überzeugt davon, dass Arbeitgeber zukünftig auch nach ihrem sozialen und gesellschaftlichen Handeln, ihrer Verantwortung für die Umwelt, ihrem Personalmanagement und nachhaltigen Wirtschaften ausgewählt werden. Wir informieren über das Engagement der Arbeitgeber in diesen Bereichen. Wir zeigen, in welchen nationalen und internationalen Initiativen sie sich engagieren. Welche Inhalte diese Initiativen haben und was sie in unserer Gesellschaft voranbringen wollen. Unser Ziel ist einfach: Arbeitgeber, die in diesen Bereichen hervorragend arbeiten, sollen zukünftig auch hervorragende Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter für sich gewinnen können. Diese gesellschaftliche Entwicklung wollen wir mitgestalten und vorantreiben.

Die „Charta der Vielfalt” ist eine Unternehmensinitiative zur Förderung von Vielfalt in Unternehmen, die 2006 etabliert wurde. Ihr gehören ca. 1.100 Unterzeichner an. 67% sind Unternehmen, 17 % kommen aus dem öffentlichen Sektor und 16% sind Vereine, Verbände und Stiftungen. Die Beauftragte der Bundesregierung für Migration, Flüchtlinge und Integration, Staatsministerin Prof. Dr. Maria Böhmer, befürwortet und unterstützt die Initiative. Bundeskanzlerin Dr. Angela Merkel ist Schirmherrin.

Die Initiative will die Anerkennung, Wertschätzung und Einbeziehung von Vielfalt in der Unternehmenskultur in Deutschland voranbringen. Organisationen sollen ein Arbeitsumfeld schaffen, das frei von Vorurteilen ist. Alle Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter sollen Wertschätzung erfahren – unabhängig von Geschlecht, Nationalität, ethnischer Herkunft, Religion oder Weltanschauung, Behinderung, Alter, sexueller Orientierung und Identität.

Die Unterzeichnung der Charta der Vielfalt ist eine freiwillige Selbstverpflichtung.


20140302

Julia Kristeva

La Croix : 17-05-2013
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Je comprends l’euroscepticisme. L’Union européenne déçoit quand elle ne fait pas peur. La crise économique s’abat sur les plus faibles. Beaucoup d’étudiants et d’amis grecs me font part de leurs angoisses. Je crois cependant qu’il n’y a pas de meilleure solution que l’Union européenne. Les propositions alternatives, venues des extrêmes de droite et de gauche, conduisent à une régression économique, culturelle et personnelle qui n’est pas acceptable. Je n’éprouve aucune lassitude même vis-à-vis des fameux «bureaucrates du Bruxelles». J’ai des critiques, des impatiences, des colères parfois, mais qui me conduisent à chercher des solutions.

Car l’Europe dispose d’une bouée de sauvetage dans la tempête qu’elle traverse, c’est sa culture. Et un des atouts de la culture de l’Europe, c’est notre conception de l’identité. Dans le monde globalisé, on parle beaucoup de diversité culturelle, mais en réalité chacun met en avant sa propre identité et attaque celle de l’autre. Je suis «gay», «juif», «allemand», «chrétien», «arabe», «femme»… Tout le monde fait culte de son identité.

L’espace européen est le seul endroit au monde où l’identité n’est pas un culte, mais une interrogation. Qui suis-je, s’il y a de l’autre? Que puis-je faire à l’écoute de l’autre? Ces interrogations s’enracinent dans les cultures grecque, juive et chrétienne. En Grèce, avec la philosophie platonicienne, chaque idée, chaque valeur se construit dans un dialogue permanent.

Dans le judaïsme, Dieu se présente à Moïse en disant: «Je suis celui qui est.» Il ne donne pas de définition, mais ouvre la nécessité d’entendre en se mettant en question et par la recherche d’interprétations infinies. L’identité chrétienne se présente comme un voyage, un incessant pèlerinage en soi-même et vers autrui ; pensons à cette phrase d’Augustin: «In via, in patria», «Une seule patrie, le voyage», et à l’invitation à l’amour comme souci, soins, secours. Je fais le pari que cette vision survit aux inquisitions, aux pogroms, au colonialisme, à l’intégrisme. La sécularisation qui s’en détache se doit de la connaître, de l’interroger et de l’approfondir. Et c’est parce que nous avons commencé à faire, plus qu’ailleurs, l’analyse de nos crimes racistes, antisémites et xénophobes, que nous avons la chance d’aborder les impasses du multiculturisme et les dérives du gangstéro-fondamentalisme qui menacent la démocratie. Il n’y a pas d’autre issue, d’autre modèle pour le futur de la globalisation, que cette vision de l’identité et des valeurs comme quête permanente. C’est pourquoi je plaide pour un rapprochement lucide entre l’humanisme chrétien et l’humanisme moderne qui en est issu, avec des ruptures et des refondations. Et je n’oublie pas la greffe musulmane dont nous connaissons encore mal la complexité.

Sommes-nous capables d’apprivoiser et de consolider cette culture européenne? Il me semble que les intellectuels européens ne se mobilisent pas suffisamment pour l’Europe. Nous avons su le faire pour des enjeux extérieurs, du Vietnam à la Palestine, mais nous ne nous engageons pas assez pour analyser et refonder la culture européenne. La création d’une «Académie de la culture européenne», rassemblant des intellectuels européens, pourrait permettre de travailler cette question en profondeur: «Existe-il une culture européenne? Quelles sont ses composantes traditionnelles? Ses métamorphoses?»

Développons aussi les parrainages, les jumelages, le multilinguisme qui n’est pas encore suffisamment soutenu ! Il faudrait commencer avec les enfants et créer, dès la maternelle, des classes de multilinguisme portant un projet européen. Au niveau de l’édition, on pourrait envisager un Prix du livre européen, attribué chaque année, qui serait traduit dans toutes les langues européennes. De même, un film? une exposition? Ce serait une manière d’adhérer à cette unicité européenne, faite de différences et d’interrogations.

Un grand changement est à l’œuvre : le citoyen européen à mentalité kaléidoscopique est en train de naître. Je le vois chez nos étudiants qui parlent plusieurs langues, étudient et travaillent d’un pays à l’autre… Essayer de s’exprimer dans une pluralité de langue ne produit pas seulement une nouvelle espèce d’humanité performante et hyperconnectée. J’en ressens aussi bien la fragilité que les angoisses. Cette capacité linguistique et cette mobilité créent des personnalités souples, ouvertes et créatrices : un trait distinctif de notre civilisation que l’on ne voit pas aux États-Unis ou en Chine. Je crains que nous n’en soyons ni assez conscients ni assez fiers, pour accueillir et favoriser son originalité et ses promesses, porteuses d’une mémoire incomparable et d’espoirs inouïs.

20140301

Politique Culturelle

Créons une Académie des Cultures Européennes, ferment d'une fédération politique.
Julia Kristeva.
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Quel rôle la culture peut-elle jouer en Europe ?

Une nouvelle surprenante est venue de la place Maïdan : ils aiment l’Europe ! Utopique espoir mercantile contre le despotisme des oligarques corrompus ? Ou fervente appartenance aux « valeurs européennes » ? Lesquelles ?

Aujourd’hui experte en célébrations patrimoniales, l’Europe n’avait pas inscrit la culture dans le traité de Rome. Et les techniciens de l’UE ne semblent pas s’apercevoir qu’une culture européenne existe, bouquet des cultures et des langues nationales, mais aussi transversale à cette pluralité. Elle n’est pas seulement un sinistre reliquat de l’Inquisition, du colonialisme et de la Shoah. Une histoire de luttes émancipatrices et de résistances nous précède, tel un horizon fédérateur dans lequel se reconnaissent – avec une fierté aussi prudente que blessée – aussi bien le chômeur grec, portugais et italien que le plombier polonais, la blogueuse allemande et le twitteur français. Et les insurgés de Kiev. Indignés par l’abîme qui se creuse entre les contraintes économiques et financières d’un côté et le consentement populaire de l’autre, ils n’ont pas remis en question leur appartenance à la culture européenne, ils « se sentent européens ».

Pour écarter le rejet du politique, quand ce n’est pas la régression suicidaire au nationalisme autistique, la nécessité s’impose d’envisager une profonde mutation du politique. Elle n’est possible qu’à partir de cette vitalité historique qui n’est autre que la mémoire culturelle de notre continent.

Quelle identité ?

Serait-ce parce que l’Europe a succombé à la barbarie jusqu’au crime, mais qu’elle en fait l’analyse mieux que bien d’autres, NOUS sommes à l’heure où il est possible d’assumer le patrimoine européen en le repensant comme un antidote aux crispations identitaires : les nôtres et celles de tous bords.

L’identité mise en question dérive souvent en haine de soi : autodestruction dans laquelle les Français et les Européens aiment à se complaire. Mais cette interrogation permanente peut déboucher aussi sur une identité plurielle.

L’Europe est désormais une entité politique qui parle autant de langues sinon plus qu’elle ne comporte de pays. Le multilinguisme est en train de devenir la langue des Européens : les étudiants qui traversent les frontières avec les bourses Erasmus en sont l’exemple vivant et prometteur. Une nouvelle espèce émerge peu à peu : le citoyen polyglotte d’une Europe plurinationale.

Dépression nationale

Les nations européennes, déprimées comme les individus peuvent l’être, attendent l’Europe, et l’Europe a besoin des cultures nationales valorisées, pour réaliser dans le monde cette diversité culturelle dont nous avons donné le mandat à l’Unesco. La spécificité culturelle des nations est le seul antidote au mal de la banalité, cette nouvelle version de la banalité du mal.

L’humanisme n’est pas une nouvelle religion

L’humanisme est un féminisme ; il est un souci constant pour l’éveil de l’expérience intérieure avec et malgré l’hyperconnexion, pour l’interaction avec la vulnérabilité, pour l’accompagnement de la mortalité ; il propose une morale qui nécessite une réévaluation respectueuse de l’héritage religieux et spirituel.

Constituée depuis deux siècles comme la pointe avancée de la sécularisation, l’Europe humaniste est appelée aujourd’hui à élaborer des passerelles entre les trois monothéismes, et avec les autres religions. Pour ce faire, la tolérance et la fraternité sont nécessaires mais ne suffisent pas. L’humanisme n’est pas l’auberge espagnole de toutes les croyances. À la lumière de la philosophie et des sciences humaines issues de la sécularisation, la laïcité républicaine invite croyants et non-croyants à considérer que si « personne n’est propriétaire de la vérité », il incombe à tous de réévaluer leurs propres idéaux et de dépasser les dogmes meurtriers. Plus encore que les politiques, les intellectuels européens, les artistes et les écrivains portent une lourde responsabilité dans le malaise européen, quand ils sous-estiment ou oublient cette refonte.

Suis-je optimiste, trop optimiste ? Je me définirais plutôt comme une pessimiste énergique. Et je propose un premier pas : mettons en évidence les caractères, l’histoire, les difficultés et les potentialités de la culture européenne, en créant une Académie des cultures européennes. Elle sera le tremplin et le précurseur de la véritable fédération politique.

20140204

Editorial

This global pledge was organized by an independent international group of authors - Juli Zeh, Ilija Trojanow, Eva Menasse, Janne Teller, Priya Basil, Isabel Cole, and Josef Haslinger. On Dec 10 it is published in 30 news papers all around the world: In recent months, the extent of mass surveillance has become common knowledge. With a few clicks of the mouse the state can access your mobile device, your e-mail, your social networking and Internet searches. It can follow your political leanings and activities and, in partnership with Internet corporations, it collects and stores your data, and thus can predict your consumption and behaviour. The basic pillar of democracy is the inviolable integrity of the individual. Human integrity extends beyond the physical body. In their thoughts and in their personal environments and communications, all humans have the right to remain unobserved and unmolested. This fundamental human right has been rendered null and void through abuse of technological developments by states and corporations for mass surveillance purposes. A person under surveillance is no longer free; a society under surveillance is no longer a democracy. To maintain any validity, our democratic rights must apply in virtual as in real space.

* Surveillance violates the private sphere and compromises freedom of thought and opinion.

* Mass surveillance treats every citizen as a potential suspect. It overturns one of our historical triumphs, the presumption of innocence.

* Surveillance makes the individual transparent, while the state and the corporation operate in secret. As we have seen, this power is being systemically abused.

* Surveillance is theft. This data is not public property: it belongs to us. When it is used to predict our behaviour, we are robbed of something else: the principle of free will crucial to democratic liberty.