20110202

Architecture et Sciences

ITW de François Roche  par Nicolas Hannequin
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En janvier 2010, le Laboratoire (Paris) dévoilait le deuxième volet de la recherche urbaine I've Heard About commencée sept ans plus tôt par l'architecte François Roche. Construite comme un protocole social et territorial « en train de se faire », cette recherche découlait déjà de la collaboration de son agence R&Sie avec de nombreux chercheurs, ingénieurs et mathématiciens. Le deuxième opus, Une Architecture des Humeurs, révèle plus encore la singularité avec laquelle l'architecte introduit la recherche scientifique dans son propre travail. Une conception quelque peu « pataphysique » dans laquelle la science lui permet d'articuler la dimension plausible de ses recherches, de les valider, fussent-elles construites sur des hypothèses éminemment spéculatives. Nous avons voulu en savoir plus en interrogeant François Roche.



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In january 2010, the second part of the I've Heard About urban research was unveiled at Le Laboratoire (Paris). Initiaded seven years earlier, the social and territorial « on going » protocol had already been presented as the result of an active collaboration between his studio R&Sie and many ingeneers, mathematicians and scientifics. The sequel Une Architecture des Humeurs reveals even more the architect's singular way of introducing scientific experiments into his own body of work. Science is apprehended in a rather « pataphysical » way and allows him to articulate and validate the plausible dimension of his projects even if these are founded on eminently speculative grounds. We met François Roche in order to know more.
 
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Beeindruckt hat uns die letzte Exposition von F. Roche. Der Architekt hat eine neue Methodik angepasst, um die Architektur zu ändern. Er hatte keine Angst vor der Wut der Zuschauer. Er weiss dass seine neue Methodik ist nicht nur wichtig, sondern auch dringend notwendig. In einem ersten Schritt werden daher im Moment Humors befragt. Nur wenn die richtig angesetzt werden, können auch die Mittel dort investiert werden. Auch Entscheidungen über den Bau, ist diese « work in progress ». In diesem Exposition, man langweilt sich wircklich keine Sekunde. Die Menschen dort zu beobachten und mit ihnen zu interagieren ist spannender. 

 
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Ocak 2010'da Laboratoire (Paris) I've Heard adli  mimar François Roche tarafindan dusunulmus sehirsel arastirmalari yayimliyordu. Roche'un calismalari mimarligin bilimselikle olan iliskisinin altini tekrar cizerken, mimarligin ayni zamanda spekulasyon ve baska boyutlara erisebilceginin altini ciziyor. Francois Roche'a daha fazla soru sorarak bu konuyu derinlestirmek istedik. Iste gorusleri
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Nel gennaio 2010, il Laboratorio (Parigi) ha presentato la seconda parte della ricerca urbana I’ve Heard About iniziata sette anni prima dall'architetto François Roche. Costruito come un protocollo sociale e territoriale “in costruzione”, questa ricerca veniva già dalla collaborazione con l’agenzia R&Sie, lacui dispone di molti ricercatori, ingegneri e matematici. Il secondo album, Une Architecture des Humeurs, rivela ancora di più l'unicità con quale l'architetto introduce la ricerca scientifica nel suo lavoro. Un concetto un po '"patafisico" in cui la scienza gli permette di modificare la dimensione della sue ricerche, di validarle, anche se costruite su ipotesi molto speculative. Volevamo saperne di più dunque habbiamo contattato Francis Roche.

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Nicolas Hannequin (NH) : La pratique de votre agence semble rompre avec l'héritage positiviste du XIX° siècle, qui façonna l'architecture moderne en la confinant à la seule gestion scientifique des hommes et des choses. La reproduction du canard de Vaucanson à côté de l'un des dessins d'Une Architecture des Humeurs apparaît, à l'inverse, comme une invitation à repenser la science comme un vecteur de réalité. Comment envisagez-vous ce redéploiement des relations entre Science et Architecture ?

François Roche (FR) : Il importe avant tout de reconnaitre à quel point la science devient protéiforme et s’écarte de cet objectif de connaissance qui prétendit longtemps expliquer le monde à partir de quelques principes newtoniens, ou l’analyse du phénomène se confondait à la fois avec la genèse et la raison d’être, dans un phantasme religieux. Les travaux scientifiques du XX° siècle dessinent, au contraire, une science moins prévisible, dans laquelle les savoirs ne s'emboitent plus méthodiquement les uns dans les autres et révèlent de nombreux trous noirs qu’il convient aujourd’hui d'explorer.
Aussi, notre travail s’efforce-t-il de sortir d’une démarche cartésienne qui tenterait de ceinturer la réalité en codifiant, en gélifiant les causes et les dépendances, dans une fuite convergente et unitaire.
Il s'agit, à l’inverse, d’en accepter les incomplétudes et nous nous efforçons, dans le sillage de Leibniz, d'articuler des zones de connaissances précises avec d'autres zones moins cartographiables. La relation existant, par exemple, entre la photosynthèse et la croissance structurelle d’un arbre peut difficilement être dépliée comme un savoir linéaire. Si nous pouvons imiter sa géométrie ou reproduire artificiellement le phénomène, il demeure encore impossible de retrouver les mécanismes récursifs et incrémentaux de son développement, de sa vitalité. Il y a donc un transfert à l’œuvre dans la nature ; une pulsion de vie qui n’est pas scientifiquement préhensible et devant laquelle nous restons fascinés. Reconnaitre la dimension vitaliste dans la pensée de Leibniz, c’est accepter de s’affronter à des forces plus grandes que celles que nous tentons de dominer. C’est justement cette zone conflictuelle qui nous intéresse, son malentendu intrinsèque, sa schizophrénie.
Des démarches scientifiques, telles que la logique floue de Lotfi Zadeh en 1965, ont été un moteur et un vecteur de recherche pour notre expérience sur « une architecture des humeurs », en 2010. Quelles sont les logiques d’appartenance, de coexistence, de distance, de miscibilité qui existent dans un groupe humain et peut-on en appréhender un avec des méthodes analytiques, de géométrie analytique, comme l’Analysis Situ d'Euler ou ce qui est devenu par la suite la topologie. Ces protocoles émergeants permettant de se confronter et d’émettre des situations urbaines complexes ne sont pas de pures divagations, ils tiennent principalement au regard que nous portions sur la façon dont la périphérie de Mexico croît, telle une vaste zone de négociations locales et de tolérance administrative, comme un formidable contrepoint à l'approche descendante, dite du Top-Down à partir de laquelle se constituent les villes occidentales.
Notre recherche I've Heard About tentait déjà en 2005 de déjouer cette addiction française pour le master-planning, de redéfinir la ville à partir de ce qu’elle est véritablement : un espace d’échange, de conflit et de négociation. Elle visait à retrouver un peu du potentiel de cet agencement des multitudes sur le territoire des Slums de Mexico, où le toit des uns devient la terrasse des autres, où rien n’est préalablement écrit, et la propriété échappe à la simple définition verticale. Plus que d’architecture, il s’agit d’un mode de transaction, construit sur de l'incertitude ou l’addition successive de matériaux pauvres et élémentaires, qui engendre une forme urbaine extrêmement rare et sophistiquée. Il faut extraire de ces situations la possibilité d'inventer de nouvelles villes dans lesquelles la multitude des énergies parviendrait à s'auto-organiser.

NH : L'approche ascendante que vous préconisez permettrait en effet d’en finir avec le modèle panoptique sur lequel nos villes se construisent depuis le XIX° siècle. Dessinées à l'image des prisons ou des hôpitaux psychiatriques, comme nous ne le rappelle Michel Foucault, la cité contemporaine se définit aussi par sa capacité à surveiller. Dans quelle mesure, votre proposition de conférer à la multitude la responsabilité de sa propre organisation s’oppose-t-elle au soupçon criminel qu’on lui prête habituellement ?

FR : Dénier le potentiel d'une telle morphologie négociable sous prétexte qu’elle induirait des activités criminelles, c’est révéler en creux les rapports de résistance effectifs qu'elle engendre. Ce sont des fantasmes et des mécanismes de disqualification qui n'ont pour objectif que d’invalider ces zones de négation en les assimilant à des refuges mafieux, oubliant que la mafia institutionnelle existe tout autant. De fait, une ville qui n'est pas préhensible par la carte préalablement à sa constitution est policièrement beaucoup plus difficile à maîtriser. La casbah d’Alger en offre une illustration parfaite, dans Pepe Le Moko ou plus tragiquement lors de la guerre d’Algérie. Or, il me semble primordial d’imaginer des villes dans lesquelles il serait à nouveau possible de se cacher et qui secréteraient à nouveau des différences, des opacités, des refuges comme l’était le corps méandreux du Paris moyenâgeux, définitivement militarisé par Haussmann, et qui paradoxalement deviennent les vecteurs de production toxique.

NH : Dans son souci d’inventer des formes urbaines engendrées par la multitude, votre agence élabore depuis longtemps, scénarii et outils permettant de lier les « Humeurs » des habitants à la fabrication effective de leur ville. Agrégation protéiforme, celle-ci serait alors la résultante de nos « malentendus ». Comment la science, et plus particulièrement la biologie, vous permet-elle de construire et d'articuler ces transactions ?

FR : Imaginez qu’Une Architecture des Humeurs consistait avant tout à infiltrer ces zones d’aliénation dans lesquelles le post-capitalisme s'est engouffré, en vendant des fictions plus que des produits, des subjectivités et des modes sécuritaires, des réseaux sociaux, de la transparence informationnelle, du bien être et de la jouissance encadrée, prévisible, monnayable. La paranoïa est aujourd'hui devenue un des vecteurs de consommation. Comment, dans ce cas, ne pas prêter attention à la manière dont ces subjectivités produisent notre réalité ainsi que des lieux de vie qui les conditionnent et les claquemurent. Travailler sur la peur, la rendre visible, permet de rendre compte de ce qui constitue notre contemporanéité et révèle la manière dont notre libre-arbitre est détourné et confisqué. Notre perception du monde étant éminemment affective, on ne saurait négliger l'importance du rôle de réaction « pulsive », impulsive, voir chimique qui conditionne notre relation à l'autre, aux autres et à leur environnement respectif. C’est aussi ce que nous avons étudié dans le cadre de cette recherche, où la part dite « reptilienne » de notre cerveau, nous imprime, nous inocule sa chimie ; de souffrance, de mélancolie, d'urgence, de plaisir dans la poursuite neurobiologique des tempéraments d’Hippocrate, comme autant d’indice, d’indicateur pour saisir cette relation qui nous échappe, et générer une architecture.
Il nous importe donc d'élaborer une morphologie habitable capable de prendre en compte aussi bien ces réactions chimiques que ce que nous déployons habituellement par le langage dans l'espace publique pour émettre nos propres désirs. Résultants schizophrènes de cette association, les « Malentendus » - ou comment deux paramètres contraires et contradictoires peuvent engendrer une forme résultante non linéaire, faite d’agencement plus que de plan d'urbanisme. Il s’agirait alors de construire un protocole capable de faire émerger une géométrie à partir de nos pulsions et de nos répulsions, à la fois désir avoué, avouable et désir caché, enfoui, chimique, dans la poursuite du corps acéphale cher à Antonin Artaud.

NH : En 2005, I've heard About se concluait par une vidéo d’anticipation dans laquelle votre avatar vieilli et amer nous rappelle que le désir de désaliénation sur lequel se fonde votre travail reste bien souvent de nature idéologique. En systématisant l’utilisation de robots, dans vos projets les plus récents, vous semblez dessiner les linéaments d'une nouvelle forme de « machinisme » capable de réaliser ce fantasme de liberté. Quel statut conférez-vous à ces machines ?

FR : On ne passe pas de l'échelle d’une maison à celle de l’urbain sans qu'elle soit guidée par un délire criminogène, manipulé par des impostures. Le crime ne vient pas des criminels qui seraient tentés d'occuper des lieux, mais plutôt de notre incapacité à en comprendre la complexité, en favorisant les réductionnismes que l’on opère pour la dessiner.
Aussi élaborons-nous des stratégies étranges dans lesquelles des protocoles machinistes nous permettent de multiplier les scénarii et d'éviter leur prévisibilité. Mais ne vous y trompez pas, nos machines ne sont pas un épigone de plus de la cybernétique, elles sont désirables et désirantes, érotiques et célibataires, opératives et fictionnelles.
Longtemps dédiée à un système dédié à l'exploitation et à l’accélération des modes de productions, la machine peut aujourd’hui être appréhendée comme un vecteur de mutations, à la fois dans leur physicalité et dans leur narration, leur subjectivité. Je pense notamment à notre proposition d'introduire une machine dans la cour du FRAC Centre, destinée à agréger des éléments de verre pour coloniser, pour vitrifier progressivement le bâtiment, et plus tard la ville. Engagé dans un processus dont on ne pouvait connaitre la fin, il aurait lentement digéré ce dernier afin d’en constituer les extensions labyrinthiques, avec permission de s’y perdre. Il s'agissait alors d’envisager la machine sur un mode hétérotopique et de négocier à la fois avec ce qu'elle produit et avec ce qu’elle prétend être. Bien que le robot reposait sur un protocole opératif, de scripts mathématiques, de comportements programmés, mais avec des latitudes aléatoires, la forme finale de sa production demeurait ambigüe et floue, faisant signe vers le mathématicien Lewis Carroll et son Alice...








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