20100404

Shanghai miroir de l'Europe.

Josette Delluc
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La présence de 44 pays européens venus séparément édifier un pavillon, le plus remarquable possible pour l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai, invite à rappeler les liens entretenus dans le passé avec la Chine et plus précisément avec son port principal. L'histoire entre Shanghai et l'Europe se déroule en plusieurs temps.

44 Avrupa ülkesinin 2010 Evrensel Şangai sergisi için inşa ettiği köşk, Çin'in tarihinde en büyük limanı olan Şangai limanı nın aktivileri ve çeşitli iilşkilerini hatırlatmakta. Şangai ve Avrupa'nın tarihetki ilişkileri etap etap kuruldu. 
 
The presence of 44 European countries, each erecting the most impressive pavilion as possible for the Universal Exposition of 2010 in Shanghai, is a strong reminder of the historical ties that link China to Europe, specifically Shanghai’s sea-port.  The history between Shanghai and Europe unfolds in multiple stages.

Die Chinesen haben bei der Weltausstellung in Shanghai alle Rekorde gebrochen. 70 Millionen Besucher war die Zielvorgabe bei der Eröffnung im Mai. Jetzt kurz vor Schluss ist klar, dass sie dieses Ziel sogar noch übertroffen haben. War die Expo also in jeder Hinsicht ein voller Erfolg?

La présence de 44 pays européens venus séparément édifier un pavillon, le plus remarquable possible pour l’Exposition universelle de 2010 à Shanghai, invite à rappeler les liens entretenus dans le passé avec la Chine et plus précisément avec son port principal. L'histoire entre Shanghai et l'Europe se déroule en plusieurs temps.

Shanghai-Europe: un rapport Amour/Haine aux XIX et XXe siècles.

Ce fut le temps d'avant: une préhistoire. Le temps de l'empire romain au cours duquel le luxe européen adopte les richesses chinoises, la soie et les épices sont transportées à travers le continent. Puis la voie terrestre étant empêchée après 1453 ce sont les nouvelles techniques de navigation qui permettent aux bateaux de poursuivre les liaisons et de livrer de plus grandes quantités. A cette époque, Shanghai ne participe pas au commerce, c'est un village qui devient une place forte en 1554 pour se protéger des pirates japonais. Parallèlement, les liens entre Extrême Orient et Occident sont entretenus par diplomates et missionnaires. En 2010 en Europe, de nombreuses manifestations, dont un colloque de l'UNESCO à Paris, commémorent la personnalité de Matteo Ricci 1552-1610. Jésuite, il transmit à la Chine notre culture latine et nos connaissances en mathématique, il apprit le chinois pour pénétrer la brillante civilisation de ce pays. Ce type d'échange fut le sujet de l'exposition organisée par Le Louvre[1] : « Les batailles de l'empereur de Chine. Quand l'empereur Quianlong adressait ses commandes d'estampes à Louis XV ». Les gravures représentant les conquêtes en Asie centrale de 1755 à 1759 et illustrant les poèmes de l'empereur, avaient été réalisées en France d'après les dessins préparatoires exécutés en Chine par 4 missionnaires, elles furent ensuite envoyées à l'empereur accompagnées, selon sa demande, de leur plaque de cuivre. Le procédé de la taille douce a ainsi été donné à la Chine qui nous avait enseigné la gravure sur bois.
Au début du XIXe siècle la Chine était une puissance potentielle et une vraie partenaire, « forte de sa grande maîtrise technique et de ses systèmes de commercialisation complexes » [2] explique l'historien anglais Christopher. Alan Bayly. Il démontre que les produits de qualité : tissus, porcelaines, laques tellement appréciés des occidentaux favorisent une forte activité artistique et artisanale. Mais ajoute-t-il, la Chine ne peut mettre à profit l'accumulation de capitaux liés à ces exportations, elle est freinée par d'énormes charges : l'immensité de son territoire, sa surpopulation et elle doit faire face à des affrontements ethniques religieux et politiques. Au contraire, en Europe, la capacité d'investissement et le charbon plus facilement accessible donnent naissance à la Révolution industrielle. Puis, l'industrialisation rendant nécessaire la recherche de débouchés, l'abondante population chinoise devient vite un marché convoité. Pierre Renouvin, précurseur dans l'étude de l'histoire des relations internationales, entamait déjà son ouvrage « La Question d'Extrême Orient » [3] en précisant que le fait démographique était fondamental et déclencheur de la décision d'exercer un impérialisme économique en Chine. C'est en lançant « la guerre de l'opium », en 1841-1842, contre la Chine qui interdisait ce produit venu d’Inde et vendu par les colons britanniques, que la Grande-Bretagne obtient des avantages et élargit à l'Asie le champs des rivalités entre les pays européens. Concurrentes, la France et la Grande-Bretagne parviennent au milieu du XIXe siècle à combattre ensemble, dans un premier temps contre, puis en faveur, de l'État chinois, leur union leur permet de limiter les prétentions russes sur le littoral qui les intéresse. Les États-Unis ont aussi imposé leur présence pour participer à l'activité commerciale. 
Commence le temps du contrôle du commerce chinois par les Européens et celui de l'éclosion de Shanghai.
Vaincue en 1842 la Chine a signé le traité de Nankin qui, ouvre 5 ports aux étrangers, puis des concessions seront installées. C'est pour Shanghai petit port de pêche l'occasion de se métamorphoser en un grand centre industriel et financier. Il bénéficie d'un site favorable sur la rive gauche de la rivière Huangpu très large et profonde, la marée y est encore fortement ressentie. Sa situation dans le delta du Yangzi (Fleuve bleu) est encore plus remarquable, elle permet de pénétrer à 1700 kilomètres à l'intérieur de la Chine et offre un extraordinaire hinterland produisant thé et soie. Enfin Shanghai se situe au milieu de la façade maritime chinoise et peut assurer les flux aussi bien vers le nord que vers le sud du pays et de l'Asie. C'est ainsi qu'en 1937 il est devenu le huitième port mondial, l'industrie y est développée, les banques y sont nombreuses et il est un centre intellectuel de poids, fondé sur les universités et les maisons d'éditions, souvent étrangères. La population a augmenté et compte un million de personnes dès le début du XXe siècle, parmi lesquelles 7000 étrangers. La société elle même est modifiée puisqu'une nouvelle bourgeoisie chinoise participe à la modernisation et un prolétariat nombreux est généré par l'industrie. C'est ainsi que transformée par l'étranger et en particulier par l'Europe, la ville va contribuer à l'évolution politique du pays : en 1921 le Parti Communiste Chinois y est crée, et la force du mouvement ouvrier y donne lieu à une brutale répression par Tchang Kaï Chek en 1927. D'une manière générale et en se plaçant à l'échelle nationale, il est possible d'affirmer que la présence des occidentaux installés sur le littoral chinois, dont ils contrôlent le commerce prospère, nourrit les mécontentements face à la pauvreté et favorise par réaction la montée du nationalisme, ce qui participe à la victoire de Sun Yat Sen en 1911 puis celle du maoïsme en 1949.

Trente ans de séparation entre l'Europe et Shanghai.

L'occupation japonaise avait mis fin au système des concessions et en 1949 le nouveau régime bannit les firmes étrangères; le communisme veut sanctionner cette ville pour en effacer le passé capitaliste et le souvenir d'une population interlope incarnée par l'aventurière Shanghai Lily jouée par Marlène Dietrich [4]. Mais le port de Shanghai est indispensable au trafic intérieur et au devenir de la République Populaire de Chine. Son activité pendant la période maoïste ne croîtra pas mais ne sera pas réduite non plus. Simplement pour «assainir» cette plateforme commerciale, le secteur financier y est supprimé et l'industrie développée.
Rapidement vient le temps du retour de l'Europe.
            L'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978 et sa volonté de réforme ouvre une ère nouvelle pour la Chine et pour Shanghai. Pour permettre le développement économique celui-ci choisit l'ouverture au capitalisme étranger. Cette décision bénéficie d'un contexte favorable, elle est concomitante à la période d'accélération de la mondialisation. La position géographique de Shanghai, son histoire liée aux Occidentaux et la décision politique de renforcer l'activité au centre du littoral chinois pour contrebalancer la région de Canton dynamisée par la proximité de Hongkong, propulsent Shanghai au rang de capitale économique et pôle commercial et financier de taille mondiale. Cependant, l'aménagement des infrastructures avait pris du retard et le centre de Shanghai datait en grande partie du XIXe. En dehors des ruelles et venelles de la vieille ville, le plan a été structuré par les concessions étrangères le long d'axes Est-Ouest perpendiculaires au Bund en bordure du fleuve. Cet ensemble urbain constitue ce qui est appelé un «musée de toutes les architectures» avec une influence européenne dominante [5]. Certes des villes satellites avaient été construites à partir de 1959 pour répondre au problème de l'entassement, mais il s'agissait de réorganiser l'ensemble de l'espace urbanisé et d'améliorer les transports. Il fallait décongestionner le centre en aménageant des quartiers d'affaires et d'habitat près de l'aéroport, et de réhabiliter les vieux quartiers.
Le premier schéma directeur est adopté en 1986, il est conçu, ainsi que les suivants, avec la participation de conseillers européens parmi lesquels l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région Ile de France. Et comme le consortium allemand formé par Thyssen, Krupp et Siemens réalise le train à grande vitesse qui conduit de l'aéroport au centre, nous notons que l'Europe est de retour à Shanghai pour contribuer à sa transformation. Même si en France on s'émeut de l'échec des projets d'architectes comme ceux de Paul Chemetov ou de Dominique Perrault, au profit de Japonais et Américains qui joignaient les investissements aux plans, du moins Jean Marie Charpentier a-t-il construit un centre d'exposition à Pudong et l'opéra dont le rideau de scène est conçu par Olivier Debré et Paul Andreu a participé aux travaux du nouvel aéroport puis réalisé l'Oriental Art Center dédié à la musique.

Voici le temps de l'inversion: l'Europe est conviée à l'apothéose de Shanghai.

 Shanghai, tête de pont, du dynamisme de la Chine membre de l'Organisation Mondiale du Commerce depuis 1995, ne ressemble plus à la ville des concessions et entrepôts qui étaient au service de la fortune étrangère, elle est dorénavant la vitrine de la puissance chinoise qui n'a cessé de croître. Shanghai capte un tiers des investissements directs reçus par la Chine, c'est le plus grand port du monde [6], une mégapole dont les deux parties : Puxi : la ville originelle et Pudong : le nouveau centre d'affaires sur la rive est du Pu, sont reliées par deux ponts géants et deux tunnels. De même que en 1851 la Grande Bretagne entrainait l'économie de l'Europe et Londres créait la première Exposition internationale, de même, aujourd'hui la croissance record chinoise permet à Shanghai d'accueillir l'Exposition universelle de 2010. La préparation de cet événement devait lui permettre de poursuivre les travaux d'aménagements urbains pour, en particulier, améliorer les transports. Il semble cependant qu'à cette occasion et contrairement à ce qui avait été prévu dans le premier schéma directeur, les quartiers anciens ont été mis à mal et les expulsions nombreuses, comme dans le vieux Paris sous les transformations de Haussmann.
C’est justement le thème de la ville et son environnement qui a été retenu pour l'Exposition[7], il concerne tous les pays et exprime un des grands problèmes de la Chine. C'est souvent par la coercition que l’État répond au phénomène récent de l'exode rural qui risque d'aggraver le déséquilibre spatial de la population, de plus, l'étalement urbain réduit l'espace arable déjà insuffisant. Chaque grande ville à l'image de Shanghai, est obligée de gérer la pression démographique. D'autre part, ne sont pas résolus les problèmes de pollution de l'air ou de l'eau, causés par les particules émises par les vieilles centrales au charbon et les déchets des usines rejetés dans les fleuves comme à Shanghai[8]. « Meilleure ville, meilleure vie », ainsi est formulée, positivement, la question de l'urbanisation. Sachant que la notion de ville est l'une des plus difficile à définir, 5 sous-thèmes traités dans des pavillons et au cours de spectacles ou forums doivent permettre d'expliciter le sujet : « Mélange de cultures dans la ville ». « Prospérité économique de la ville ». « Innovation scientifique et technologique dans la ville ». « Le remodelage des communautés dans la ville ». « L'interaction entre la ville et la campagne ». Pour préciser, les organisateurs formulent un certain nombre de questions. « Quel type de ville rend la vie meilleure ? » « Quel type de vie rend la ville meilleure ? » « Quel type de développement urbain rend notre planète meilleure ? » Soit un questionnement qui concerne plus de 50% de la population de la Terre.

Shanghai ou le temps du « copier-coller »

La fin du parcours de l'exposition du Centre Pompidou : « Dreamlands [9] » est intitulée : « Copier-Coller » pour nous alerter sur le fait qu'en Chine au cours des 30 années d'ouverture économique et de dynamisme urbain, la créativité des constructeurs et aménageurs laisse place, parfois, à une médiocre reproduction de l'architecture européenne la plus banale, modélisée et standardisée. Certes l'Europe avait souvent montré le mauvais exemple : ainsi la France à l'initiative du baron Alphonse Delort de Gléon « représentant de la nation française au Caire » a reconstitué à l'identique une « rue du Caire » [10] pour l'Exposition parisienne de 1889. Ici toutefois l'édification était éphémère et l'objectif d'ordre didactique, de plus le député étant collectionneur, des éléments authentiques et qui ont rejoint maintenant les collections du Louvre, y avaient été intégrés [11]. Inversement à Shanghai ce sont des cités satellites, c'est à dire des lieux résidentiels durables qui pastichent les villes européennes. Anting est une ville de style allemand, se référant à Weimar, érigée par le fils d'Albert Speer, nous dit-on, elle inclut une usine Wolkswagen et devrait abriter 30 000 personnes. Sonjiang imite l'Angleterre des Tudors avec cottages et labyrinthe. Pujiang devrait compter 100 000 habitants le long des canaux de type vénitien. De même sont déjà établies une cité espagnole, une suédoise, une néerlandais et aussi une ville canadienne. Un triste bilan semble-t-il car non seulement la pauvreté de la réalité architecturale est navrante, mais en plus, leur prix élevé rend ces habitations inaccessibles à la majorité de la population. Pour l'instant le résultat est sans doute loin des objectifs qui fixaient à 500 000 le nombre des personnes qui devaient s'installer dans ces nouveaux centres.

Quelle est la réalité du modèle européen face à Shanghai aujourd'hui?

Du moins l’Europe peut-elle être touchée du fait que son modèle urbain fascine toujours. Shanghai fidèle à son passé aspire au mode de vie européen, sans doute marque, pour elle, de bon goût, d'élégance et de confort. Cependant le rapport Shanghai-Europe a bien changé, l'Europe autrefois dominante est maintenant dépendante de la Chine, nouvelle locomotive du commerce mondial. La voici invitée à fêter la réussite du premier port du monde qui n'est ni en occident, ni sous son contrôle. Le renversement est saisissant, la fantastique réussite asiatique contraste avec la perte de l'hégémonie européenne. Alors, nous pouvons nous demander pourquoi l’Europe se présente-t-elle à Shanghai désunie ? N'apparaît-elle pas encore plus affaiblie? N'était-ce pas l'occasion d'afficher la réalité de notre association régionale ? Au contraire l'Union Européenne partage le pavillon belge, ce qui offre l'avantage pour Bruxelles de confirmer sa place de capitale européenne mais ne permet pas d'exposer la représentation de l'Europe en majesté. Inversement, nous remarquons que la Chine, État centralisateur, plus que réservé sur la pluralité et l'expression des minorités, accueille dans son pavillon, à côté de l'espace national, ses 31 provinces et régions qui y présentent leurs richesses et traditions. Pourquoi l'Europe ne pouvait-elle se produire ainsi, en un ensemble formé de la diversité des Vingt-sept. Un tel dispositif plus économique, aurait contribué à montrer les particularismes de nos institutions et de notre entité culturelle, et à défendre notre économie et nos valeurs politiques.
Pour mettre en scène notre participation à Shanghai nous sommes en droit de rêver non d'un « musée imaginaire » comme André Malraux, mais d'une « exposition imaginaire » dans un pavillon européen, unique, un véritable espace communautaire où auraient pu s'allier, la haute technologie et l'art pour une Europe participant collectivement à cette « Fête du progrès »qui est à la fois « Foire à la nouveauté » et « Salon des Beaux-Arts » [12].
Pour présenter l'urbanisme européen, en dehors des colonies romaines ou de l'influence de la Renaissance italienne, il aurait été intéressant de rappeler que, spontanément, les Européens ont fréquemment travaillé ensemble sur ce phénomène. En ce qui concerne le XXe siècle, rappelons que dans l'entre-deux-guerres en Allemagne, élèves et professeurs de l'école du Bauhaus étaient issus de nationalités diverses, tous cherchaient à parfaire l'habitat. Venu de Suisse pour l'un et de Hongrie pour l'autre, Johannes Itten et Laszlo Moholy Nagy travaillaient sur les couleurs et la matière, pour accompagner le travail des architectes tel Walter Gropius. De même les Congrès Internationaux d'Architecture Moderne (CIAM) organisés entre 1928 et 1959 par Le Corbusier et ses amis, pour contribuer à la modernité, réunissaient des bâtisseurs d'origine géographique différente: Italie, Allemagne, Suisse, Espagne, Finlande. Leur travail commun avait comme objectif l'amélioration de la vie quotidienne, leurs propositions « fonctionnelles » ont constitué le fondement de l'urbanisme moderne [13]. Ce travail laissait envisager d'extraordinaires avancées, mais sans doute incomplètes et insuffisamment appliquées ces réflexions n'ont pas résolu tous les problèmes urbains et encore moins prévenu les évolutions. C'est pourquoi, en 2010, le choix de la ville comme axe directif de l'exposition de Shanghai est tout à fait recevable. Ce thème mobilise élus, population, philosophes, sociologues, architectes, économistes, ingénieurs, artistes et renvoie à une question restée centrale en Amérique en Asie ou en Europe. Quant aux architectes, les concours étant internationaux ils sont souvent appelés à travailler hors de chez eux, ainsi Renzo Piano et Gianfranco Franchini, italiens, étaient associés au britannique: Richard Rogers pour concevoir le Musée National d'Art Moderne à Paris. Dans les années 1980 Ricardo Boffill fut sollicité à l'extérieur de sa Catalogne natale, principalement en France tant à Paris en Ile de France ou à Montpellier. Et après la réunification de l'Allemagne, pour réaménager Berlin et réunir les 2 parties de la ville qui redevenait capitale, les nombreux travaux furent confiés à des dizaines d' architectes, allemands et étrangers, notons en plus de Renzo Piano ou Richards Rogers déjà cités, Aldo Rossi ou Jean Nouvel. Ces quelques exemples autorisent à évoquer l'existence d'une architecture européenne (à laquelle participe toutefois Japonais ou Américains). Cet ensemble culturel et architectural européen existe bel et bien il aurait dû être montré et serait entré en résonance à Shanghai, avec une partie de la ville.
Référons nous par ailleurs, à l'exposition du Centre Pompidou : « La ville-art architecture en Europe 1870-1993 » [14] qui s'attachait à retracer de manière chronologique les grands étapes d'une histoire parallèle sur l'ensemble du continent. Adopter le même schéma, pour ordonner notre pavillon idéal aurait l'avantage de présenter avec clarté une triple évolution, celle du destin commun des espaces urbains et des besoins des populations, celle des faits politiques, sociaux, et des idées, et en dernier lieu, la succession des grands courants artistiques. Comme le milieu urbain est une source classique d'inspiration, il n'aurait pas été difficile de regrouper des œuvres diverses traitant ce sujet. Les peintres ont parfois contribué à enrichir un mythe: celui de la tour de Babel fut souvent repris après Breughel. D'autres artistes préfèrent se propulser dans le futur, Métropolis fut plusieurs fois déclinée à la suite de Paul Citroën en 1923 et de Fritz Lang en 1927. Les Expressionnistes allemands en peignant les ruines ont dénoncé la guerre, les Futuristes italiens séduits par la technique et la vitesse représentaient la dynamique dans un monde industriel et urbanisé. Fernand Léger s'attachait à dessiner les constructions colorées sans oublier la figure humaine.
La dimension sociale du travail de Frans Masereel : « La ville » [15], et la puissance dramatique de ses gravures sur bois contraste avec l'imaginaire antique exprimé dans les peintures de Giorgio di Chirico, ou l'univers architectural de l'Hourloupe de Jean Dubuffet.
La photographie est au plus proche de la réalité, Charles Marville constitue un trésor de documents d'archives sur Paris ses monuments puis ses transformations sous le Second Empire. Après lui, les clichés d'Eugène Atget enregistrent les façades du centre de la ville et la pauvreté des banlieues, de même que la représentation des petits métiers des rues. Brassaï, hongrois de Paris photographie la capitale « la nuit »[16] comme le jour, l’élite intellectuelle et artistique comme les prostituées, et s'attache à l'expression populaire du graffiti.
En effet, si la ville est une source d'inspiration elle est aussi un milieu riche en matériaux de création: les lacérations d'affiches de Raymond Hains, Jacques Villeglé ou Mimmo Rotella sont issues directement des murs livrés à l'information et la publicité. De même la ville est un support à la création, et Ernest Pignon Ernest a fondé l'esprit et la réussite de son travail sur ce principe. Elle peut aussi être transformée par des interventions, lorsque Daniel Buren appose ses rayures sur des monuments ou que Christo procède à ses emballages. Le vidéaste Pierre Huyghe concilie réalisme et imaginaire pour exprimer la ville d'aujourd'hui.
Cette énumération bien que incomplète confirme qu'un grand nombre d'artistes européens ont consacré une partie ou l'essentiel de leur travail à la ville, pourtant nous notons l'absence de volonté d'exprimer ainsi, l'Europe à Shanghai.     
Remarquons par ailleurs que l'Europe impérialiste et triomphante a conçu l'idée d'Asie, mais que aujourd'hui lorsque l'Asie émerge et se construit, l'Europe semble en panne.
L'idée d'Europe est ancienne, elle fut exprimée, dès l'Antiquité, sous forme de récit mythologique. Son espace géographique, excepté la question de sa frontière orientale, est bien délimité et comme il est non contraignant, il permet une circulation intérieure, la prise de conscience d'un territoire et l'établissement de relations commerciales et culturelles. Dans cette aire les échanges nombreux furent cependant rompus par des guerres, et ce sont, justement, les deux derniers grands conflits qui se déroulèrent sur le territoire de l'Europe au XXe siècle qui fournirent les arguments définitifs pour créer une association régionale. Après la barbarie les Européens étaient poussés à la raison et signaient dès le début des années cinquante les premiers traités qui devaient organiser un avenir pacifique et commun. De l'idée d'Europe aux institutions européennes, l'Europe s'est pensée et formée elle même. Mais au delà, dans sa période expansionniste, alors quelle domine et colonise, elle entreprend de créer aussi et d'imposer son concept d'Asie.
En ce qui concerne le terme d'Asie il « est forgé par les Assyriens au cours du deuxième millénaire avant notre ère pour désigner la vaste Terra Incognita qui s'étendait à l'est de leur empire. Le terme lui même révélé par les Grecs proviendrait du verbe Akkadien « asa » qui signifierait sortir, surgir en référence au soleil, l'Asie étant pour eux la direction d'où le soleil se lève » rappelle Christophe Marion [17] en précisant que Thucydide dans « La guerre du Péloponèse » désigne par Asie l'est de la Méditerranée et que les conquêtes d'Alexandre Le Grand, inaugurent un rapprochement entre Orient et Occident.
Cependant si il est avéré que le nom Asie est ancien, il en va autrement pour l'idée d'Asie, Christophe Marion comme Hugues Tertrais[18]citent tous deux le géographe Pierre Gourou dont l'ouvrage «l'Asie» a fait référence et qui pourtant affirmait «l'Asie n'existe pas». Lorsqu'elle surgit mentionnait Edward Saïd [19], l'Asie fait partie d'« un Orient crée par l'Occident ». L'idée d'Asie est conçue à la fois dans la continuité de la définition géographique d'un continent et dans la rupture qui devait signifier la détermination entre l’Est et l’Ouest. Par ailleurs il est certain que l'idée d'Asie est née en Occident d'une analyse manichéenne et partisane. Au XIXe siècle, la comparaison entre les deux espaces, établie par les Européens leur était unilatéralement favorable car elle était fondée sur leurs propres normes. Les grandes puissances industrialisées qui avaient entrepris de coloniser le monde étaient fières de leur domination militaire, elles regardaient les territoires conquis selon des critères préétablis et refusaient d'accepter des valeurs et cultures différentes de leurs principes. En vertu de cet ethnocentrisme européen l’Asie est jugée comme en retard. Ainsi l'idée d'Asie correspond à la vision de l'Europe qui perçoit négativement, les empires multi-ethniques et l'économie encore agricole d'Extrême-Orient opposés aux États-Nations, souvent démocratiques et au développement capitaliste et urbain du monde occidental [20]. L'idée d'Asie issue de l'Occident reposait sur une erreur intellectuelle; conçue artificiellement, elle ne correspondait à aucune réalité, d'une part le discours était dévalorisant et d'autre part l'Europe inventait un ensemble régional face au sien, alors que, au contraire, comme le disait Pierre Gourou l'Asie n'existait pas.
Nous pouvons noter une évolution récente en constatant que des réseaux de flux rapprochent les grands pôles d'Extrême-Orient. Un embryon d'organisation existait depuis 1967 l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) avait été créée, elle rassemblait, dans le contexte des tensions de la bipolarisation, les États capitalistes alliés aux États-Unis : Indonésie, Malaisie, Les Philippines, Singapour, Thaïlande puis le Brunei en 1984. L’origine de cet ensemble était d'ordre politique, et c'est la nouvelle donne internationale qui permettra sa mutation. Hugues Tertrais dans son article «Fin de la guerre au Viet Nam et construction en Asie» explique que ce « moment clé pour l' Asie » va créer de nouveaux rapports entre États-Unis et URSS, transformer les relations internationales et ouvrir la possibilité d'un projet de construction régionale unique en Asie. L'ASEAN progressivement s'élargit aux petits pays: le Viet-Nam, en 1995, le Laos en 1997, de même que le Myanmar et le Cambodge en 1999. Une entente commerciale et culturelle est formée entre ces10 pays, auxquels s'associent la Corée du sud, la Chine et le Japon, dans l’ASEAN PLUS THREE (APT). Cette association peut-elle être l'organe qui mène à une union asiatique ? La question de la hiérarchie est posée, car l'Inde, la Chine et le Japon peuvent revendiquer le titre de puissance régionale, chacune avec sa spécificité est tentée d'exercer un leadership. Hugues Tertrais conscient de cet équilibre délicat indique que l'Asie reste à construire et conclut qu'il lui faut créer sa propre structure « sans doute en dehors des modèles connus », ajoutons que l'Europe avait en son temps été capable d'inventer pour s'organiser et créer son modèle. Nous notons que les projets des pays de l'APT ont d'abord une portée régionale : développement du bassin du Mékong, promotion du tourisme, mais leur but est aussi de renforcer leur voix dans le concert international, par exemple au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, pour contrebalancer l'influence de l'Alena [21] et de l'Union Européenne.

L'Europe et l'Asie aujourd'hui, 2 ensembles concurrents.

Dans le dernier chapitre de l'histoire entre l'Asie et l'Europe, nous constatons que l'Asie, une idée conçue autrefois par l'Europe, proclame, aujourd'hui, son existence pour échapper à l'emprise occidentale et construire son propre modèle. Tournée vers le futur, l'Asie émerge et se fixe des objectifs ambitieux à l'échelle régionale et internationale, maintenant sur notre grand continent coexistent deux entités. Dans le grand ensemble oriental, Shanghai, cette « tête du Dragon », est le pôle essentiel de l'organisation économique, et un centre de culture grâce à son passé et au grand nombre de ses musées [22]. Au contraire de l'Asie qui se propulse vers l'avenir, l'Europe adopte une attitude régressive et se comporte comme au XIXe siècle. D'une part à Shanghai chaque pays européen se présente comme un État-Nation et paraît vouloir se mesurer à ses voisins dans un esprit de rivalité. D'autre part, en différant les prises de décisions, notre union ne peut franchir l'étape nouvelle menant à une intégration économique et financière qui pourrait lui permettre de renforcer sa structure. Elle n'affirme même pas son unité culturelle qui est source inspiratrice de nombreux créateurs et architectes chinois.                                                                                                                                                               
Elle devrait faire preuve de vigilance, avertit Nicolas Baverez en indiquant que dans le contexte de quadruple crise: financière, bancaire, économique et politique, l'absence de réponse, de la part de cette Europe paralysée par ses contradictions, peut la mener à être « renflouée par les États-Unis et l'Asie, ce qu'elle paierait d'un statut de protectorat économique. Après avoir inventé le capitalisme et dominé 70% des populations et des terres émergées, l'Europe verrait sa souveraineté ruinée non par les totalitarismes qu'elle a enfantés, et dont elle a triomphé grâce à l'aide décisive des États-Unis, mais par son impuissance à relever le défi de l'universalisation du capitalisme. Voilà pourquoi il est urgent que les Européens redécouvrent que l'Europe est leur bien commun et la clé de leur avenir dans la mondialisation » [23] Nicolas Baverez est généralement considéré comme pessimiste, mais actuellement il n'est pas seul à alerter, Hubert Védrine [24] semble lui donner raison car inquiet de l'immobilisme de l'Europe face aux autres pôles mondiaux, il redoute lui aussi sa chute et face à ce risque, emploie le même terme de «protectorat».
En 2010, la ville de Shanghai dans son épanouissement, est le témoin de l'essoufflement de l'Europe, elle renvoie toutefois, l'image de la vivacité de son influence culturelle, encore préservée. Ainsi remarquons-nous que, au long de leurs relations, Shanghai a reflété avec exactitude l'état de l'Europe et sa position dans le monde. En ce sens nous pouvons conclure que Shanghai est le miroir de l'Europe depuis l'apogée jusqu'au déclin, ou espérons, déclin relatif.                                                                                         
                                                                                                                                             



[1]    Les batailles de l'empereur de Chine. Le Louvre : Fonds Rotchschild. Paris. Février 2009 à mai 2009.
[2]    Christopher. Alan BAYLY: La naissance du monde moderne (1780-1914) Les Éditions de l'Atelier. Paris. 2006.
[3]    Pierre Renouvin: La question d'Extrême-Orient. 1840-1940.  Hachette. Paris. 1946.
[4]    Josef Sternberg: Shanghai Express. 1932
[5]    Jean-Pierre Larivière, Pierre Sigwalt: la Chine. Masson /Armand Colin. Collection U. Paris. 1996       
[6]    Pour son trafic en volume.
[7]    Accueil Site Officiel de l'Expo de Shanghai 2010: www.expo.cn
[8]    Des chercheurs des universités de Yale et Columbia mesurent la proximité entre la situation des pays et les objectifs environnementaux définis à l'échelle internationale placent la Chine au 160e rang mondial. Grégoire Allix:  La France au 7e rang mondial pour l'environnement.  Le Monde. Dimanche30. Lundi 31 mai 2010
[9]    Dreamlands. Centre Pompidou. Musée National d'Art Moderne. Paris . 5 mai-9 août 2010.
[10]  Ceci fut rappelé lors de l'exposition: Exotiques- Expositions. Les expositions universelles et les cultures extra européennes. France, 1855-1937.Archives nationales, Hôtel de Soubise. 31 mars-28 juin 2010.
[11]  Nous ne traitons pas ici du problème moral , mais n'oublions pas les hommes «exposés» aussi, réifiés, sacrifiés au spectacle!
[12]  Pascal Ory: L'expo universelle. 1889. la mémoire des siècles. Éditions Complexe. Bruxelles 1989.
[13]  La Charte d'Athènes:ainsi est appelé le texte final du IVe CIAM tenu à Athènes en 1933 et traitant de la ville fonctionnelle. Les principes adoptés sont souvent repris lors de la reconstruction en Europe après la guerre.
[14]  La ville, art et architecture en Europe 1870-1993. Musée National d'art Moderne. Centre Pompidou. Février- mai 1994. Paris
[15]  Frans Masereel 1889-1972 La ville, 100 bois gravés, préfacé par Stefan Zweig, paru en 1925. Réédité avec le soutien du Centre National du Livre. Cent Pages. Avril 2008.
[16]  Brassai Paris la nuit. Flammarion, Paris, 1932.
[17]  Christophe Marion: les relations économiques entre Union Européenne et Asie Orientale. Thèse  2007.Université Paris 8: Vincennes Saint Denis. UFR Institut des Études Européennes.
[18]  Hugues Tertrais,: Fin de la guerre au Viet Nam et construction de l'Asie. Institut Pierre Renouvin. Bulletin n°29 avril 2009.
[19]  Edward Saïd: L'Orientalisme. L'Orient crée par l'Occident. Seuil, Paris, 1997.
[20]  Wang Hui : Une nouvelle vision de l'histoire mondiale, les Asiatiques réinventent l'Asie. Le Monde Diplomatique. Février 2005.
[21]  Alena: Accord de Libre Echange Nord Américain entre États-Unis, Canada et Mexique entré en vigueur  le 1er janvier 1994.
[22]  Le Musée de Shanghai conserve une très riche collection de l'art traditionnel chinois: bronzes, sculptures, céramiques, textes anciens. Il existe de nombreux autres musées par exemple: le musée des Tissus, celui de L'Imprimerie: qui expose l'invention chinoise et le rôle de la ville dans son développement et sa diffusion; de même qu'un grand Centre d'Art Contemporain. 
[23]  Nicolas Baverez,Europe désunie, Europe dominée. Le Monde Économie. 8 juin 2010.
[24]  Hubert Védrine, France-Allemagne, le malaise. Le Monde. 29 juin 2010.