20100305

« Il y n’a pas d’artiste contemporain en Tunisie ! »

Anette O. Boissier
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Il ne suffit évidemment pas d’examiner ce que les Européens construisent à l’intérieur des frontières de l’UE notamment, il importe surtout d’analyser les rapports qu’ils instaurent avec les « autres » (pays, cultures, gouvernements). Voici, au travers d’un cas, un exemple de comportement qui nous interroge sur nous-mêmes. Ce texte fut présenté lors de la rencontre de l’ATEP (Association Tunisienne d’Esthétique et de Poïétique) organisée par Rachida Triki : Les paradoxes du contemporain dans l’art (29-30 janvier 2010). Il est ici repris en l’état. Il porte sur « Les conditions de l’échange entre les scènes artistiques locales
et la scène internationale de l’art contemporain ». C.R.

Es geht mal wieder um die Beziehungen zwischen Europa und die Anderen. Es geht nicht nur um Kunst. Eher um Misstrauen und Wettebewerbsfähigkeit. Nicht um Vertrauen. Es sei tragisch und unerträglich ! Das Wort einer europeanicher Kritiker – es gibt keine Zeitgenössische Kunst in Nord-Africa – holt einen allerdings unsanft in die Realität zurück : der Kampf zwischen Europa und neben Länder. Diese Beitrag soll die verschiedenen Internationalen Beziehungen aus verschiedenen Blickwinkeln beleuchten. Ein Plädoyer für Dialog gegen Menschenverachten. Das Potenzial dazu hat er.

No basta evidentemente de examinar lo que los Europeos contruyeron al interior de las fronteras de UE en particular, lo que importa en su mayoria es analisar las relaciones que establezcan con los {{demas}} (paises, culturas, gobiernos). Aqui, a traves de un caso, un ejemplo de comportamiento nos interoge de nosotros incluso. Este texto fue presentado durante el encuentro del ATEP (Asociacion Tunez de la estetica y poetica) organizada por Rachida Triki : Las paradojas del contemporeano en el arte (29-30 de Enero 2010). Aqui, fue retomado en su estado se refiere {{a las condiciones de cambio entre las escenas artisticas locales y la escena internacional del arte contemporeano}}.



It is obviously not enough to only take into account what the Europeans are building within the borders of the European Union, it is above all important to analyze the relationships they establish with the "others" (countries, cultures, governments). Here, through a particular case, we can see an example of behavior that makes us question ourselves. This text was presented at the meeting of the TAAP (Tunisian Association of Aesthetics and Poiesis) organized by Rachida Triki: The paradoxes of contemporary art (January 29-30 2010). It is included here in the state. It focuses on "The terms of exchange between local art scenes and the international stage of modern art”. 

Avrupa'yı irdelemenin en iyi yöntemlerinden biri  kuşkusuz Avruaplıların AB çerçevesinde inşa ettiiklerinden daha çok Avrupa'nın "öteki" ile (yani ülkeler, devletler, ve iktidarlala)  kurduğu ilişkileri incelemektir. Raşida Triki'nin ATEP ( Association Tunisienne d'Esthétique et de Poïétique ) kurumuna sunduğu metin bu gerçeği anlamak açısından önemli bir örnek. Metnin başlığı : Çağdaş sanataki çelişkiler. Metin çağdaş sanatın yerel düzeyde yapılan sanat sahnelerin uluslarası sahnelerle yaptığı alışverişleri inceleyen bir metin.


Ces dernières années, plusieurs commissaires internationaux ont prospecté en Tunisie. Ils ont invariablement diffusé l’idée, par leurs actes ou leurs paroles, qu’il n’y a pas d’artiste contemporain dans ce pays. Pourtant le label « art contemporain » est utilisé par certains artistes afin de définir leurs œuvres. Je voudrais donc essayer de décrire dans cette communication les conditions qui mènent les acteurs internationaux à tenir ces propos.

Constat d’une dynamique de l’art contemporain en Tunisie

Pour commencer, j’aimerais faire le constat de la présence en Tunisie de ce label qu’est l’art contemporain grâce à une observation de terrain :
Au début de mes enquêtes en 2002, les artistes que j’interviewais évoquaient régulièrement le problème de l’accès aux manifestations à l’étranger. Il était alors question de manifestations « internationales » au sens politique du terme « renvoyant aux interactions entre États » (Badie & Smouts, 1992 : 69). Par exemple : la Biennale du Caire ou l’Exposition Universelle pour lesquelles la sélection tunisienne était effectuée par les services compétents du ministère de la culture tunisien. Les artistes se demandaient régulièrement comment faire pour obtenir le soutien du ministère et être sélectionnés pour de telles manifestations. Ce soutien étatique signifiait donc une intégration réussie dans le monde de l’art tunisien.
En 2009, la situation est tout autre. Beaucoup ne cherchent plus à participer à ces manifestations, ils en convoitent d’autres, comme la Biennale de Bamako à laquelle de plus en plus d’artistes envoient des dossiers de candidature. Dans ces manifestations, la sélection des artistes n’est plus laissée à la liberté des États, elle est centralisée au niveau de la manifestation elle-même, elle est effectuée par un ou plusieurs commissaires ayant acquis une reconnaissance internationale en raison des expositions préalablement réalisées.
Cette observation montre que les références des artistes en matière d’instance légitime de jugement esthétique se transforment progressivement. C’est pourquoi l’impression véhiculée par les commissaires internationaux suite à leurs séjours en Tunisie ont un poids si important. Les artistes ont conscience que la diffusion de leurs œuvres à l’étranger, lorsqu’ils visent le monde de l’art contemporain, dépend maintenant des commissaires et non plus du ministère de la culture. La frustration qu’ils ressentent face aux discours des commissaires vient donc du fait que pour certains artistes la communauté de référence souhaitée est la scène internationale de l’art contemporain (bien qu’ils puissent être en désaccords avec certains aspects de cette même scène).
Ainsi le label « art contemporain » est présent en Tunisie, bien que les commissaires internationaux disent qu’il n’y a pas d’artiste contemporain.

Le monde de l’art contemporain : une définition

La définition de l’art contemporain proposée par les sociologues peut nous aider à comprendre ce phénomène. Je la résumerai autour de cinq points.
Monde de l’art. Les sociologues définissent l’art contemporain, non comme un style ou mouvement artistique, ni même en fonction d’un espace temporel ou pas seulement, mais en tant que domaine d’activité au sein duquel les individus sont en relation les uns avec les autres, ce que Howard Becker nomme « un monde de l’art » (1988).
Luttes de classement. Le monde de l’art contemporain fonctionne comme un vaste réseau d’interconnaissance qui tient par la validation mutuelle des valeurs défendues par chacun de ces membres ; ce que Francine Couture nomme les « luttes de classement » (2000). Les artistes, les galeristes, les conservateurs de musée, les critiques d’art, les collectionneurs, les commissaires d’exposition collaborent à travers des réseaux d’affinités formant les mouvements artistiques. En cela, les acteurs de l’art contemporain sont à la fois concurrents et collaborateurs.
Académie informelle. En effet, le monde de l’art contemporain est une organisation de type collégiale fonctionnant sur la coopération. Sachant que, comme le décrit Emmanuel Lazega, la coopération veut dire que les différents acteurs échangent, se mettent mutuellement sous pression, se surveillent, se sanctionnent, choisissent des dirigeants et négocient des valeurs précaires (1999 : 640). Les sociologues de l’art ont adopté le terme d’« académie informelle » pour désigner ce phénomène de reconnaissance mutuelle (Moulin 1992, Urfalino 1989).
Statut d’artiste international. Il est également essentiel de préciser que l’art contemporain est par définition international, comme l’a démontré Raymonde Moulin. Obtenir le statut d’acteur international (en tant qu’artiste, commissaire, galeriste, etc.) signifie parvenir à ce maintenir durable au sein des académies informelles.
Définition des valeurs. Enfin, ce sont ces acteurs présents dans ces académies informelles (notamment les commissaires internationaux) qui ont le pouvoir de définir la valeur des œuvres aujourd’hui, c’est-à-dire de définir ce qui est une bonne œuvre ou une mauvaise œuvre.

Processus d’identification professionnelle

Au vue de cette définition, que ce passe-t-il lorsque des commissaires internationaux reviennent de leur prospection en disant : « il n’y a pas d’art contemporain en Tunisie » ? En fait, ils ne sont pas en train de dire qu’il n’y a pas d’artistes puisque certains d’entre ces artistes se référent explicitement à ce label et que d’autres ont déjà participé à des manifestations du monde de l’art contemporain international (parfois précisément dans des expositions de ces mêmes commissaires).
Mon hypothèse est qu’ils énoncent l’idée qu’il n’y a pas de communauté cohérente d’art contemporain identifiable par les acteurs étrangers. En effet, en dehors d’une telle communauté, comprenant les artistes, les galeristes, les commissaires, les critiques, mais aussi les collectionneurs et les institutions nationales défendant cette forme particulière d’art, à travers les expositions ou la formation qu’elle propose, le paysage artistique n’est tout simplement pas accessible à l’acteur étranger.
R. Moulin a en effet démontré que les informations concernent un artiste ou groupe d’artistes sont diffusées par de telles infrastructures ayant la capacité de promouvoir les artistes au niveau international. Quelque soit les pays, les commissaires internationaux ne passent guère plus de quelques jours dans le pays où ils prospectent. Ou bien, comme se fut le cas pour Africa Remix, ils peuvent aussi décider de ne pas se déplacer du tout : « parce que l’on ne peut aller partout »[2].
C'est-à-dire que les choix d’un commissaire sont nécessairement faits grâce à l’intermédiaire d’un interlocuteur local, si un tel interlocuteur n’a pu être identifié, le commissaire international ne peut effectuer une prospection efficace. Pour qu’un tel interlocuteur soit identifié, il doit lui-même avoir mis en place une infrastructure (quelque soit sa forme) diffusant le label de l’art contemporain dans son pays. Un intermédiaire est donc un acteur local qui a généré une action collective locale liée à l’art contemporain.
En effet, dans les organisations collégiales (dont l’art contemporain fait parti) se sont les identités qui dans les échanges créent « une forme de solidarité limitée fondée sur l'intuition de caractéristiques communes qui rendent plus probable l'existence d'intérêts communs à long terme, et donc d'une réciprocité différée et indirecte nécessaire à l'action collective » (Lazega, 1999 : 647). C’est-à-dire que l’action collective repose sur l’identification à une appartenance commune celle de l’art contemporain.
Il s’agit également d’une spécificité de ce que Lucien Karpik (2007) a appelé l’économie des singularités, c’est-à-dire les marchés de biens ou de services qui ne sont pas réductibles à la concurrence des prix, parmi eux le marché de l’art contemporain. Karpik montre que l’échange ne peut avoir lieu que sur la base de connaissances et de valeurs communes aux deux parties. Ces valeurs communes étant véhiculées par des dispositifs de jugement dont l’une des fonctions est de faire l’intermédiaire entre les deux parties ; cet intermédiaire travaille à la mise en place d’une relation de confiance permettant que l’échange soit possible, il est le garant crédibles de la qualité des artistes qu’il soutient. Sans dispositif de jugement (sans aide lui permettant de se repérer) le consommateur, ici le commissaire international, est tout simplement « condamné à l’inaction » (Karpik 2007 : 120).

Ainsi, l’« identité professionnelle de l’art contemporain » est un point de repère pour les commissaires internationaux. C’est cette identité qui permet la mise en place de la relation entre le local et l’international. Si les deux parties ne partagent pas cette même identité, l’échange ne peut pas se faire. Or, ce point de repère n’existe pas de manière cohérente en Tunisie, les institutions et modalités relationnelles ne sont pas facilement identifiables par les commissaires étrangers. Pour cette raison, l’échange reste difficile, voire conflictuel, entre le monde de l’art tunisien et la scène internationale de l’art contemporain menant les acteurs internationaux à supposer qu’il n’y a pas d’art contemporain dans le pays.
Bien sûr, cela mène à s’interroger sur le caractère « déculturant » de tels mécanismes de diffusion culturelle (Boissier 2009). Néanmoins des exemples, comme la Thaïlande où j’ai également effectué mes enquêtes (Boissier 2008), montrent que les acteurs locaux mettent en place des stratégies visant le retournement de la situation de domination afin de devenir à leur tour prescripteur de valeurs nouvelles en intégrant les académies informelles.






[1] Annabelle O. Boissier est docteure en anthropologie (IRIS-EHESS). Elle enseigne la sociologie à l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Tunis (ISBAT). Ses recherches portent sur le rôle des relations transnationales dans le développement des scènes artistiques contemporaines en Thaïlande et en Tunisie. Elle a notamment publié : « De l’art moderne à l’art contemporain. Un transfert de monopole dans le monde de l’art thaïlandais. », Aséanie, Sciences sociales et humaines en Asie du Sud-Est, n° 24, 2009 ; « Are they Moderns, Contemporaries, Thais or Globalized? The homogenization of professional contemporary art networks », in Wind of the East, Perspectives on Asian Contemporary Art, Finnish National Gallery / KIASMA, Museum of Contemporary Art, 2007 ; et « Les enjeux des arts plastiques tunisiens actuels : Expérimentation de la mémoire collective et nouvelles individualités », in Mutual Creation: Art and Its Societies South of the Mediterranean, Al-Adab, January-February 2004, Bayreuth (en langue arabe). Elle a participé à divers congrès internationaux parmi lesquels le World Congress for Middle Eastern Studies ou le Mediterranean Social and Political Research Meeting.  Elle est co-fondatrice du groupe de réflexion SAP et a pour celui-ci organisé plusieurs colloques (www.groupesap.wordpress.com). Elle est également co-fondatrice d’un site internet à destination des chercheurs et des acteurs proposant une base de données sur les arts visuels tunisiens du XXème siècle (www.visartunisia.com).
[2] Réponse de Jean-Hubert Martin (lors du colloque Art contemporain et sociétés post-coloniales, Actazé, Paris, 2006) faite au sociologue Hamdi Ounaïna le questionnant sur les raisons justifiant l’absence de prospection en Tunisie pour la préparation de l’exposition.