20100307

Editorial

Christian Ruby
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Euro oder Europa ? Die deutsche Presse schlägt Euro-Alarm. Der Spiegel titelte Anfang Mai : Euroland ist abgebrannt. Ein Kontinent auf dem Weg in der Pleite. Aber was ist noch zu retten ? Für uns : Europa ! Das hat sich für alle Europäerinnen und Europäer ausgezahlt. Noch nie hat es auf europäischem Boden eine längere Friedensperiode gegeben als seit der Unterzeichnung der Römischen Verträge. Europa als neues organisierendes Prinzip. Es gibt Dinge, die lassen sich auch mit Geld nicht erklären.

Three recent works enable us to reconsider on the european question without reabsorbing it simply to the economic aspects which often cause us to mix up the euro and Europe. Overall, these books are calling on us not to perceive the cultural issue as a national, enclosed problem. Culture is evidently one of the means available to let go of the self and adopt a critical point of view on our very own personal and national identity. Thus, culture is brought upon education. Nonetheless, a European cultural project would be meaningless if it did not give to everyone the means of a dynamic, trajectory, organised around obstacles to surmount and prospects to be worked out starting from a principle of translation.

Yeni cikan uc kitap ekonomik alanlarda derinlesmeden ve bilhassa, avro ve avrupa karmasikligina deginmeden, bizleri Avrupa sorusuna geri getiriyor.Kendi icimizde hapis kalmamiza engelleyecek bir kultur kavramini bize hatirlatiyor.Genelikle kimlik ozkritigi ve kisilik sorgulamasinin alisilagelmis sekli dogal olarak kultur ustunden yapilir. Hangi hakla kultur egitimin gostergesi olabilir. O zaman kulturun bir egitimden kaynakladigi da o kadar onem alir.Kulturle baslayan bir avrupa egitim projesi ancak o projeye dahil olan her bireye ayni dinamik olanaklarini tanirsa, zorluklarin cozumune odaklanmis hedefe vede bilhassa olusturulan perspektiflere bir tercuman gibi yaklasabilirse anlam ve deger kazanacaktir

Tres obras nos permiten volver de nuevo sobre la cuestion de Europa sin reabsorberlo enteramente en los aspectos económicos que nos hacen confundir euro y Europa. Más ampliamente nos piden también evitar hacer de la cultura el principio de un cierre. La cultura es obviamente uno de los métodos posibles de la desilusión sí y de la crítica de la identidad. En virtud de qué, la cultura depende bien de una educación. Pero un proyecto educativo europeo de la cultura sólo tendría sentido si puede dar a cada uno los medios de una dinámica y de una trayectoria, organizadas en torno a obstáculos que deben superarse y a perspectivas de composición que deben elaborarse a partir de un principio de traducción.





L’année écoulée, marquée, par exemple, par le quinzième anniversaire de l’inscription dans la Constitution belge (Article 23, alinéa 5) du droit à l’épanouissement culturel, constitue une occasion parmi d’autres de réfléchir au sens et au fonctionnement de ce droit fondamental. Que signifie, en effet, « avoir droit à l’épanouissement culturel » ? Comment ce droit s’applique-t-il ? Jusqu’où va le droit pour chaque individu de participer à la vie culturelle de sa communauté ou d’une communauté élargie ? Qu’en est-il pour les personnes défavorisées ? S’agit-il d’un instrument de protection des minorités ou, à tout le moins, de la vie culturelle suscitée par les échanges, les confrontations et les dissensus entre propositions différentes ? Ou d’un droit à participer aux processus décisionnels relatifs à la culture ? Le droit à l’épanouissement culturel est-il un véritable droit ou simplement une orientation pour le législateur ?
Tout cela ne s’entend bien que si l’on évite de faire de la culture le principe d’une clôture sur soi. La culture est évidemment un des modes possibles de la déprise de soi et de la critique de l’identité. En vertu de quoi, la culture relève bien d’une éducation. Mais un projet éducatif européen de la culture n’aurait de sens que s’il est susceptible de donner à chacun les moyens d’une dynamique et d’une trajectoire, organisées autour d’obstacles à surmonter et de perspectives de composition à élaborer à partir d’un principe de traduction.
A cet égard, le dernier ouvrage de Lucien Jaume souligne avec pertinence qu’une culture européenne ne saurait être tissée d’identité ou de conscience européenne à fonder dans une « origine ». Dans Qu’est-ce que l’esprit européen ? (Paris, Flammarion, 2010), il insiste sur l’idée selon laquelle Europe correspond à un esprit et non à une doctrine. Si les Européens ont développé dans leur histoire une chose originale, parmi d’autres plus tragiques, c’est bien cet esprit d’une confrontation nécessaire des idées et des thèses, cette idée de multiplicité de perspectives à discuter et d’écarts à entretenir pour donner corps non à un espace politique homogène, mais à un principe d’ouverture infini. Contrairement aux doctrines les plus répandues, l’Europe refuse finalement de s’enfermer dans la monoculture et le monolinguisme.
Et cela d’autant plus que les pays européens qui passent pour monolingues ne le sont pas complètement. Une enquête récente des Instituts de recherche français (notamment l’INED, Institut national des Etudes démographiques) montre que le bilinguisme est courant en France. Non seulement les langues régionales résistent et ont toujours résisté à la domination du français, mais la tradition d’intégration à la française se trouve en défaut. Certes, il ne s’agit pas pour autant de bilinguisme ou de multilinguisme réalisés, puisque les langues diverses n’ont pas le même statut. D’autre part, la disqualification de certaines langues  - cas de l’arabe ou des langues africaines – ne favorise pas l’extension du phénomène. Les uns ou les autres peuvent encore avoir peur de la stigmatisation. Il n’empêche, pour des raisons différentes (exil et mémoire, résistance, volonté de transmission, simple usage en marge de la scolarité), les langues non françaises résistent bien. Le bilinguisme est une pratique courante.
De surcroît, nous rappelle François Jullien, dans Le Pont aux singes, de la diversité à venir, fécondité culturelle face à identité nationale (Paris, Galilée, 2010), nous nous sommes certes longtemps baignés dans la monoculture, c’est-à-dire dans l’ignorance d’être nous-mêmes une culture parmi d’autres, même si nous avons cherché à promouvoir des valeurs universelles. Mais, le travail de générations d’anthropologues et le décentrement historique qui a infligé une blessure narcissique majeure à l’Occident, ont ouvert l’esprit européen à sa propre diversité.
De ce fait, le concept d’universel est mis en contradiction avec ses propres exigences. Encore n’est-il pas nécessaire d’y renoncer. Il convient plutôt de le penser autrement. Ni à partir d’un idiome commun, ni à partir d’une langue unique, ni à partir d’une culture neutralisée (passe-partout, c’est-à-dire dominante sans pôle de domination autre que le commerce). Mais à partir d’une exigence : celle de se déployer entre les deux obstacles que sont l’identité close ou l’appartenance communautaire, et l’illusion d’une culture universelle dépouillée de toute référence. Ni la pluralité insurmontable, ni le pragmatisme de l’universel sans contenu, donc, mais l’interférence et l’engagement réciproque. En ce sens, se cultiver, c’est bien accepter l’effraction de l’altérité et l’ouverture à la traduction, que nous avons toujours défendus dans le Spectateur européen.
Encore faut-il se donner la peine de ne pas penser l’Europe en dehors ou en marge du monde. C’est à quoi nous invite Dominique Moïsi, dans La géopolitique de l’émotion (Paris, Flammarion, 2010). Quelle est la dynamique du monde ? L’ouvrage présente la thèse selon laquelle le temps des nationalismes et des idéologies laisse place aux revendications de reconnaissance, et par conséquent, tel est son parti pris, l’équilibre de la puissance dans le monde dépend de plus en plus d’un équilibre des émotions.

 L’ouvrage dresse alors une carte autour de trois grandes tendances : une culture d’espoir en Asie (Inde, Chine), une culture d’humiliation dans le monde Arabe ou les pays musulmans (Egypte, Iran), une culture de peur en Occident.
Un ensemble de facteurs vient appuyer cette géographie émotionnelle : bien entendu l’importance du passé et des grands récits de l’histoire dans des logiques d’aspiration à la puissance ou la revanche ; mais aussi la dynamique économique et financière des pays ; la puissance politique qui se dégage de cette puissance économique et les zones d’influence qui se coupent et se recoupent ; ou encore l’innovation culturelle des pays qui traduisent richesse et puissance dans des projets de grande envergure.
            Europe, donc, voilà d’abord le nom d’une interférence assumée. D’ailleurs, au fur et à mesure des consultations d’archives, la notion de Spectateur révèle ses multiples usages, dans le domaine du journalisme comme dans celui de l’observation des mœurs et des cultures entre pays. Si nous prenons un point de vue élargi, un regard rapide sur les revues européennes historiques permet de saisir une série de déplacements intéressants, concernant cette notion. Entre Marivaux et son Spectateur français, reprise du Spectateur anglais, tous deux consacrés à des explorations de type national, et dont nous avons déjà parlé ; les revues du XIX° siècle, telle celle de Friedrich Schlegel (Europa), une revue destinée à un public de langue allemande, publiée de 1803 à 1805, mais dépassant déjà les frontières des pays les plus proches (notamment en direction de Bruxelles et de Cologne) ; Le Spectateur républicain publié en France au XIX° siècle, et nous, nous n’assistons pas seulement à un élargissement progressif des projets. Nous observons le dessin de réseaux tout à fait nouveaux, toujours déjà commencés au niveau de la culture et des arts, notamment par les citoyennes et citoyens polyculturels - Elias Canetti ne fut-il pas écrivain, de milieu juif séfarade, d’expression allemande, originaire de Bulgarie, de nationalité turque, et devenu citoyen britannique ? Et que dire de Chopin (Pologne, Autriche, France) ou de Turner faisant le Grand Tour (Londres, Venise, Paris, Bruxelles) ? – et entretenus dans  des réseaux d’échanges, de confrontation, de traduction, d’interrogation réciproque.