20100207

Editorial

Christian Ruby
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La désignation annuelle d’une ou de plusieurs villes pour passer momentanément pour les capitales européennes de la culture - cette année Essen, Pec et Istanbul - doit nous interroger, puisque le Spectateur européen veut devenir un Observatoire des phénomènes culturels européens. Ce qui nous intéresse dans le choix de l’année 2010, ce n’est pas tant l’existence d’une telle « capitale » (le geste n’est pas récent, et nous en avons déjà parlé dans un numéro précédent) que la mise en relation de plusieurs « capitales », et l’obligation qui nous est faite de nous interroger sur les réseaux ainsi constitués, ainsi que sur l’extension du territoire culturel de l’UE ainsi nécessairement produit (au profit de l’Europe ?).

Essen, Pec, Istanbul, die Grand Tour 2010. Die Grand Tour lädt ein, die kulturelle vielfalt an Ruhr, Rhein, Osten, Türkei zu entdecken. Schon im Essen, im Kulturhauptstadtjahr profitieren vor allem Essens Museen von kostspieligen Investitionen. Drei Städten mit Projekte und Veranstaltungen wollen, in 2010, mit neuen Bildern alte Klischee ersetzen : Essen, Pec, Istanbul. Am 9 und 10 Januar hatte auf dem UNESCO-Welterbe Zeche Zollverein (Essen), dem Wahrzeichen des Ruhrgebiets, das Kulturhaupstadtjahr durch den Bundespräsidenten Horst Kölher im Beisein des Präsidenten der europäischen Kommission Josè Barroso eröffnet. Oliver Sheytt, Geschäftsführer der RUHR.2010 Gmbh : « Unser Motto in 2010 lautet Wandel durch Kultur, Kultur durch Wandel. Wir werden der Welt zeigne, dass das Ruhrgebiet nicht langer Staub, sondern Zukunft atmet ». Auch im Istanbul und Pec. Der Ruhrpott stellt sich aus, Vieles ist gelungen in Pec und Istanbul. Verbindet europaïsche Kultur Essen, Pec und Istanbul ?

Essen, Pecs ve Istanbul'un bu sene Avrupa kültür başkenti ilan edilmesi, Avrupa kültürülerinin ilişkilerini inceleyen Avrupalı Izleyicinin doğal olarak ilgi alanına girmiştir. Bunun nedeni bu şehirlerin Avrupa kültür başkenti olması değil. Avrupalı Izleyicinin ilgisini çeken nokta bu sene "başkentlerin" seçilmesi ve bu başkentlerin nasıl birbiriyle ilişki kurduğudur. Başkentlerin coğul olması Avrupa topraklarında Avrupa kültürlerinin geliştiğinin göstergesidir.

The title « European Capital of Culture » was designed to help bring European citizens closer together. This was the idea underlying its launch in June 1985 by the Council of Ministers of the European Union on the initiative of Melina Mercouri. Owing to the many visitors it has attracted, the title has since gone from strength to strength in Europe. This event is different from other cultural events by its size and its visibility. It requires a high standard of artistic quality. Over the years, this event has evolved without losing sight of its primary objective: to highlight the richness and diversity of European cultures and the features they share, promote greater mutual acquaintance between European citizens, foster a feeling of European citizenship. Over the years, this event has evolved without losing sight of its primary objective: to highlight the richness and diversity of European cultures and the features they share, promote greater mutual acquaintance between European citizens, foster a feeling of European citizenship.

The yearly designation of one or more cities as Europe’s cultural capital – this year’s contenders being Essen, Pecs and Istanbul – is an issue that should be addressed by The European Spectator if it is to be an observatory of European cultural phenomena. What we are interested in for the 2010 selection is not so much the existence of such a “capital” (indeed, the concept is not new and has already been addressed in a previous issue) as the interconnectedness of many such “capitals” and the resulting networks, as well as the growth of the EU cultural territory that necessarily ensues (to Europe’s benefit?).

La designatzione anualle di una citta europea come capitale europe momentanea – quest’anno Essen, Pec et Istanbul - deve portarci a interogarci, perche il /Spettatore Europeo /vuole diventare un Observatorio dei fenomini culturali europei. Quelo che ci interessa
nella scelta dell 2o1o, non e poi cosi tanto l’essistenza di una “capitale” (l’initziativa non e nuova, e ne abbiamo gia parlato in un numero precedente) ma piutosto la messa in rapporto di tante “capitale”, e anche l’obligatzione che ci viene di interogarci su questi rapporti che si creano in consequenza. L’ultima cosa che ci viene a mente quando guardiamo questo fenomeno e l’estensione di un territorio culturale dell’U.E. che si crea necessariamente (al
profito dell’Europa?).

Nos lecteurs voudront donc bien nous passer la nécessité de décrire les lignes de force dessinées ainsi par ces désignations annuelles sur une carte géographique. De souligner une topographie. Ce qui saute aux yeux en revanche, c’est la construction ainsi imposée par la culture d’un jeu sur les frontières, qu’il s’agisse de celles des pays, celle des accords européens (UE), ou celles des rapports culturels officiels. Les rapports et les devenirs culturels ne sauraient être bornés dans et par des frontières. L’intelligence de ce choix renvoie par conséquent aux interrogations qui structurent une hypothétique culture européenne engagée dans ses dissensus et par ses passeurs : Comment forcer des limites ? Comment les oeuvres circulent-elles malgré les frontières ? Comment les langues travaillent-elles les unes par rapport aux autres ? Comment organiser moins des rapports à une quelconque identité, dans tous les cas fictive, que les rapports à et d’altérité ?

A ce propos, il est possible de se demander si le champ des arts a pris une dimension européenne et laquelle ? Utilisons pour comprendre cette question une notion élaborée par Goethe, celle de « corps artistique ». Il entend par là l’organisme vivant formé par les arts et leurs institutions en Europe. Or, donc la question est de savoir si un tel corps existe de nos jours, et comment il fonctionne (à l’identité, à l’altérité ?). Qu’il existe, il est difficile de le nier : Le Louvre, la Tate galerie, le Prado, mais aussi les musées de Prague, Berlin, ... ont tous changé de figure et se sont mis en correspondance réglée. Mais en vue de quel fonctionnement ? Lisse, commercial, touristique ! Les autorités en ont chassé la vulnérabilité artistique, et les déséquilibres possibles, voire nécessaires, entre les œuvres ou les effervescences qu’elles produisent. Qu’il existe aussi au niveau des Biennales (Venise, Cassel, Istanbul, ...), dont beaucoup regrettent la multiplication, ce n’est pas critiquable pour ce nombre, mais pour la répétition des œuvres, des choix, des options, signes éclatants d’une impasse d’un faux projet de culture européenne qui vise à l’homogénéité par fait de commerce culturel.

La production artistico-touristique est, à cet égard, indigente. S’il fallait pointer des moments clef dans l’éveil possible du goût esthétique des jeunes européens, on serait bien en peine, sauf à observer que les expositions diffèrent peu d’un bout à l’autre de l’Europe.

Mais il en va de même pour la culture générale. En Europe, le problème central sur ce plan est identique au précédent. Il est d’ouvrir le travail de pensée à de nombreux auteurs « étrangers », c’est-à-dire ignorés en Europe, par les lecteurs, par les traducteurs, par les éditeurs. Nous pensons à Edward Saïd en Palestine, Alvaro Garcia Linera (Bolivie), Slavoj Zizek (Slovénie), Ernesto Laclau (Argentine), Seyla Benhabib (Turquie), Roberto Mangabeira Unger (Brésil), Kojin Karatani (Japon), Homi Bhabha (Inde), Nestor Garcia Canclini (Mexique), Achille Mbembe (Cameroun), Wang Hui (Chine).

C’est sans doute parce que ces auteurs, d’une manière ou d’une autre, mettent en jeu le concept de souverainté dans la mesure où il enferme, qu’ils sont exclus de la publicité. Ce qui nous oblige à deux choses : tenter d’en parler et de référer leurs ouvrages, et revenir sur le concept de souveraineté. On en connaît les traits fondamentaux : la suprématie du pouvoir d’Etat (pas de pouvoir supérieur), la perpétuité dans le temps, le décisionnisme, la complétude (la souveraineté ne peut être partagée), la non-transférabilité (elle ne peut être donnée), et la juridiction spatiale (territorialité). Il nous fait évidemment travailler à savoir comment ce concept a rendu compte longtemps d’une formation nationale des européens, comment il peut être remis en cause sans être simplement transféré à un niveau européen, et comment nous pouvons en dépasser définitivement la portée sur les question culturelles.

Ce numéro du Spectateur européen offre ainsi une première exploration de ce concept en se consacrant à Istanbul, à la marge même des souverainetés anciennement délimitées. Exercice d’altérité et donc de culture ?

Signalons au passage que nous devons certaines des traductions ici publiées à deux nouveaux membres de notre bureau : Hélène Zotiadès et Oliver Brenni. Ils s’ajoutent à la liste publiée dans le numéro 2009/03.

20100206

Istanbul, cosmopolitique ?

Denis Özgün & Bans Gürsel
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Die Benennung der „Europäischen Kulturhauptstadt" trägt dazu bei, den Reichtum, die Vielfalt und die Gemeinsamkeiten des kulturellen Erbes in Europa herauszustellen und ein besseres Verständnis der Bürger Europas füreinander zu ermöglichen. Einige Tage nach dem 1° Januar, begleitete die fotographers Deniz Özgün und Barış Gürsel Istanbul Einwohner, die einen Teil ihrer Stadt erkundeten und entdeckten. Die Meschen seien ihm heiter und glücklich vorgekommen. ??? Fotos zeugen von der künstlerischen Kraft Istanbuls. Im Lauf der Zeit ist die Empfindlichkeit gegenüber die Passenten kontinuierlich gewachsen.

http://www.denizozgun.com

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Comment la photographie peut-elle parler avec ses moyens propres d’une capitale culturelle ? Elle ne reflète rien mais construit des significations. Il n’y a rien à voir en tant que tel. En revanche, le regard porté par les photographes Deniz Özgün et Barış Gürsel peut manifester des lignes de force, des perspectives, des associations ou dissociations qui sont autant d’appels à un travail du spectateur, afin qu’il tire lui-même de la proposition faite la matière d’une analyse. Nous remercions vivement les deux photographes qui nous ont ici prêté leur concours.

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Portraits of a town, by Deniz Özgün and Barış Gürsel. How can we interpret this choice of photographs ? Above and beyond the great documentary interest, it is the technique of the photographers that catches our attention. The exhibit feels like a random stroll through a town, seen through the eyes of two informed spectators who capture the sculptural effects of buildings and its inhabitants, in their wanderings. In many photographs, the viewing angle gives priority to edges, putting the accent on vertical lines. The viewer also senses the pleasure of the confrontation between the photographer and the people. It is not a coincidence that these images are so filled with human presence.

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20100205

Istanbul m'a avalée

Aurélien Sauvée
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Als „Europäischen Kulturhauptstadt", jede Stadt legt ein Kulturprogramm fest, das die Kultur und das Kulturerbe der betreffenden Stadt sowie ihren Platz im gemeinsamen Kulturerbe herausstellt, und an dem sich Kulturschaffende aus anderen europäischen Ländern mit dem Ziel einer dauerhaften Zusammenarbeit beteiligen. Istanbul (Türkei) 2010 « revisited ». Istanbul ? Oder zumindest einen Teil davon. Ein Mythos wird zum Event ? Oder eine Stadt der Zukunft ? So bleibt es Aussenstehenden überlassen, einen unbefangenen Blick auf das damalige Geschehen zu werfen.

Batı Dünyası Istanbul’a nasıl bakıyor ? Fransız yazar Aurelien Sauvée, Istanbul’un bir batılı için neler ifade ettiğini kaleme alıyor. Görüşleri bir Türk açısından zaman zaman basıt gelse de, yazının ilginç tarafı Istanbul’u yakından takip eden bir Fransızın görüşlerini öğrenmek. Dışarsı Istanbul’a nasıl bakıyor ? Sauvée, « Istanbul beni yuttu “diyor.

One of the main purposes in order to understand the reality of a city is to show that a city can’t be reduced to its touristic vision. In other words, a city can’t be considered as a giant museum that people would contemplate from outside. A city is first of all, its habitants, sounds, smells and the mixture of these elements contributes to the emergence of cultures that live together.



Beyoğlu est un quartier central d'Istanbul. Une ville dans la ville plutôt, qui regroupe plusieurs quartiers fameux: Galata, Taksim, Cihangir, Karaköy....

Il fut d'abord appelé Pera, qui signifie l'autre coté (grec), car situé sur la rive opposée de l'implantation historique d'Istanbul : Sultanhamet, Fatih où l'on trouve Sainte Sophie... Il fut occupé par les vénitiens et surtout les génois, qui acquirent ces terrains suite à un accord passé avec l'empire byzantin et ce jusqu'à la chute de celui-ci (1453). Malgré tout, l'implantation européenne persista, et connu une nouvelle heure de gloire au 19ème siècle, avec l'implantation des ambassades, des Banques (Bankalar Caddesi : la rue des banques). C'est aussi à cette période que le quartier s'étend, recouvrant les cimetières. Avec la chute de l'empire et l'avènement de la république, 1920, les riches européens désertent la zone, et le quartier sombre dans la pauvreté et le délabrement jusqu'aux années 90. Il reste pourtant cosmopolite, accueillant les populations arméniennes, grecs, kurdes, mais aussi les immigrant turques venus de la campagne d'Anatolie (partie asiatique de la Turquie). Dans les années 90, la ville lance une grande campagne de restauration, qui accompagne le retour des milieux « artistiques et intellectuels ». Le quartier contient deux emblèmes actuels de la ville : l'avenue Istiklal, et la Tour Galata, mais est parsemé partout de monuments en tout genres : églises, mosquées, vieilles bâtisses, hans, ambassades....

J'ai passé une année dans Istanbul, et quasi exclusivement dans ce quartier. Ma fenêtre, Ma rue, Mes commerçant, Mes amis, Mes bars, Mes lieux favoris, se trouvaient tous dans « le fils du gouverneur », traduction littérale de Beyoğlu.

J'ai retrouvé ce quartier dans deux livres : Murmures à Beyoğlu, de David Boratav et Bonbon Palace, de Elif Shafak.

Les deux auteurs sont d'origine turque, mais tout deux ont quitté ce pays. Boratav a vécu son enfance là-bas avant de s'exiler pour la France et l'Angleterre. Shafak née à Strasbourg, a vécu loin de la Turquie avant de s'installer à Istanbul.

Deux livres, deux facettes, deux visions de la ville. Boratav, en faisant appel à ses souvenirs, nous parle d'un Istanbul qui se regarde, se sent, s'écoute, tout en étant dedans. Dans le livre de Shafak, on perçoit la ville à travers les histoires des habitants d'un immeuble, de l'intérieur. La ville est pourtant sous-jacente à toutes ces vies. Elle se confond avec elles. Ma vision est par contre plus extérieure, celle d'un voyage plein d'émerveillement, mais qui se construit d'un point de vue de spectateur de cette ville. Ceci n'exclut pas une vision déformée de la réalité.

« La ville » signifie dans les précédentes lignes Istanbul et Beyoğlu à la fois. Parler de Beyoğlu en revient à parler d'Istanbul dans ce qu'elle représente Même si cela n'est pas total, même si nombres de quartiers de la ville ne lui ressemble pas du tout, ce qui fait l'âme de cette ville est omniprésent là, comme dans beaucoup d'autres, mais peut être plus ici et dans les autres quartiers historique que dans ces centaines de quartiers qui l'ont grossi durant ce siècle. Je parlerai donc d'Istanbul de manière générale, sans préciser si cela concerne particulièrement Beyoğlu ou sa globalité.

Comment parler d'Istanbul? Comment ces deux auteurs la perçoivent?

Il n'est pas possible de rester neutre en parlant de la ville, de celle-ci en particulier. La démesure, par sa taille, ses excès et ses contrastes, saute aux yeux de celui qui voyage, comme du lecteur des deux livres précédemment cités. Formes, mouvements, couleurs et sons foisonnent partout, changent d'un lieu à l'autre, perturbent notre perception. La description de la ville passe donc d'abord par un tableau qui inévitablement souligne la surenchère, mais aussi la complexité de sa forme.

Un extrait de Shafak introduit ce dernier point en disant qu'« Istanbul est une ville où ce sont les rues qui se sont adaptées à l'implantation des bâtiments et non les voies de circulation qui ont déterminé le plan de construction... ». Pour le dire d'une autre manière, là-bas le moyen le plus court pour aller d'un point à un autre n'est pas la ligne droite, car il n'y en a pas!

C'est une ville labyrinthe, dont le plan est mis en trois dimensions par le relief où les rues «s'échappent en ravines vers le Bosphore », et « se tortillaient et louvoyaient en fonction du tracé des bâtiments; toujours petites entrelacées, découpées elles ressemblaient vu de haut aux

circonvolutions du cerveau. À ce train là les bâtisses barrant le passage aux routes et les routes empiétant sur les bâtisse, tout le secteur grandit, enfla et se boursoufla comme un poisson ahuri, depuis longtemps repu mais toujours insatiable. ». L'image du cerveau parle d'elle même, et une simple photo aérienne suffit pour le vérifier encore aujourd'hui.

Au milieu de ces méandres, à travers les brèches qui s'ouvrent au hasard d'une rue et qui

offrent subitement une vue exceptionnelle, on découvre alors la gamme chromatique de la ville. « Istanbul, c'est comme un tableau abstrait. Soit tu sais à quoi les couleurs correspondent, soit tu l'ignores, et alors tu dois t'en remettre à l'Istanbullu. ». Je ne suis pas Istanbullu. Malheur à moi !

Mais j'ai perçu ces teintes changeantes. J'ai admiré des dizaines de fois « du rose et des reflets gris quand le soleil se couche »4, remarqué qu'« Istanbul, vue de Beyoğlu, est une ville bleue avec du vert ». Une rue peut sembler grise au premier coup d'œil, puis le regard se porte en détail sur celle-ci, des centaines de teintes apparaissent, acides ou passées, des constructions du bleu aux jaunes les plus lumineux. Ces couleurs changent au fil des journées, des saisons, de l'humeur de la ville comme le montre Shafak, lorsqu'Agripina découvre la ville pour la première fois : « les jours de brouillard, comme le savaient très bien tous les stambouliotes, la ville elle-même oubliait de qu'elle couleur elle était ».

Couleurs et formes, voici en quelque sorte, la partie carte postale de la ville, celle qui s'admire. Mais Istanbul est bien plus, ce sont des sons, un murmure comme l'annonce le titre du livre de Boratav, et « ...c'est l'odeur. Avant même de s'approcher de la ville, même de loin, les étrangers peuvent déjà la percevoir. ».

Dans ma rue l'odeur dominante l'hiver était celle du bois de chauffe, pas n'importe lequel, le bois de récupération, chargé de colle et de produits chimiques en tout genre, une odeur qui pique les yeux. L'été, c'était un mélange d'épices, de poubelles, de fritures et, par jour de chance, du Bosphore. Odeurs et sons viennent de partout, du plus prêt comme du lointain, et si on s'y habitue, on ne peut les éviter.

De même pour Boratav, « Sur les quai de Karaköy le mouvement est permanent. L'air est chargé de saveurs, l'anis, les cigarettes du père, un effluve de lait brulé, des charbons qui se consument sous les poêles des vendeurs de châtaignes. A l'oreille, ce sont des appels, des pas, des raclements des roues et de semelles, des frôlements d'étoffes, et contre le quai noir les clapotis, les sucements et éclaboussures d'un univers entier, le Bosphore. ». La liste variée, n'est pas exhaustive : Friture des vendeurs de Balik Etmek, relent de la Corne d'or, gazole des vapeurs, ou bruit de moteur, appel du Muezzin, d'un vendeur ambulant sont les premiers sons qui viennent s'ajouter à cette description des quais dans mes souvenirs.

Formes, sons, odeurs, couleurs... mais tous ensembles, et tous incroyablement présents. Voilà Istanbul. Et plus particulièrement Galata dans l'extrait de Murmures à Beyoğlu qui suit : « Rihtim Caddesi, rue des Quais. Cagettes, planches, bois pourri, toiles trouées, pierre et poutres qui pointent des maisons de bois aveugles, capharnaüm magnifique, quartier de Galata, entassement de fibres et métaux, particules de poussière, eau en suspension et émulsion, milliers de reflets dans la lumière. Le coing fait une bosse dans mon pantalon. Une rue remonte entre les ateliers de ferronnerie jusqu'à Tepebasi, pleine d'hommes occupés à tout et à rien. Les doigt des vieux jouent avec les billes de leurs chapelets, les bras des jeunes portent des plateaux chargés de verres et de croutes de friandises, des apprentis à demi nus portent des cargaisons, des contremaîtres donnent des ordres que personne n'entend; les bruits de la ferraille, le crissement des tours, les enclumes qui résonnent […] La faute (cf : le vol du coing) disparaît dans l'effréné bazar. La ville est mon royaume [...] la corne d'or qui flamboie dans la lumière matinale. » Il retranscrit l'ambiance par une agglutination de flashs, une énumération de détails qui remontent à la surface, comme ce « coing » dans sa poche faisant une bosse ou encore l'enchainement dans une même phrase de vision et de sons.

Cette longue description traversant les échelles, du coing à la corne d'or, révèle le trop plein de sensations, de perceptions et l'incapacité de tous noter, de tout discerner: voilà la ville, un trop de tout en mouvement qui plus est: « Devant l'embarcadère, les formes grises des passagers s'élancent, passent les tourniquets, la mer se soulèvent, l'hélice du ferry fait tourner l'eau du Bosphore, qui d'un bleu sombre passe au vert fluorescent. Un autre vapeur arrive et déverse sur le quai une foule compacte de visages effacés par la multitude, sauf pour ce vieux en turban [...]. ».

Ce vieux en turban fait parti de ces détails qui marquent, qui ressortent de ces scènes car il n'y ont pas leur place. Il est perdu, cherche sont chemin, pendant que la foule déterminée avance.

Pour lui comme pour le voyageur, la ville nous assaille, nous déstabilise. De cette manière, l'auteur exprime l'hyper-sollicitation des sens, le tourbillon qui nous entoure et par lequel on se laisse porter parfois, mais que l'on tente de fuir aussi, car trop c'est trop. Pour Sidar, personnage de Shafak, la ville est devenue insupportable. Il ne trouve le repos que dans le sous-sol qui lui sert de chambre. « Ici, il pouvait se tenir loin du chaos qui déchiquetait chaque recoin d'Istanbul, demeurer parfaitement serein au milieu de l'agitation effrénée » « C'est surtout en fin d'après-midi que la quiétude insulaire de l'appartement numéro 2 atteignait la force de l'évidence. À cette heure de la journée, un tumulte insupportable ne faisait qu'une bouchée de Bonbon Palace... »

La description passe d'expression tel que « jouent avec les billes », « capharnaüm géant», « mon royaume », « flamboie » chez Boratav, à des terme comme « chaos », « déchiquetait », « tumulte insupportable » pour Sidar. Même Boratav, de retour sur dans sa ville ressent cette oppression : « Moins de trois jours après mon arrivée à Istanbul, j'avais mon lot - plus que mon lot en vérité d'expériences fortes à la sauce turque. »

Perpétuellement sollicité, perturbé ou encore déstabilisé par une multitude de sons, d'odeurs, de matières et de couleurs, de méandres, comment alors ne pas perdre la tête dans cette ville. Ou plutôt comment résister à la folie qui nous y entoure. Istanbul est folle: psychotique, et même schizophrène. Schizophrène car cette ville est l'un et son autre à la fois, son opposé.

Et si cette cité peut être folle, c'est qu'elle est vivante. « Istanbul'da », à Istanbul, mais littéralement « dans » Istanbul, en elle. Tout d'abord, on ne peut penser et parler de la ville sans percevoir ses battements, sa respiration. Elif Shafak dit de Muhammet, petit garçon de l'immeuble Bonbon palace, qu' « Istanbul lui infligerait une claque bien plus cinglante que celles qu'il se prenait aujourd'hui par ses petits camarades ». La référence à un geste typiquement humain, la claque qu'elle inflige, mais aussi la comparaison direct à des enfants montre bien cette personnification de la ville. De même, l'auteur voit une ressemblance entre la ville et « une femme enceinte ayant pris plus de poids qu'elle ne pouvait en supporter les derniers mois[...] Elle dévorait sans cesse, mais elle n'aurait su dire qu'elle quantité de ce qu'elle avalait lui profitait en propre et ce qui était absorbé par cette foule d'âmes minuscules […] Son souhait le plus ardent, [...]était de se libérer au plus vite de cette pesante servitude.. » Là, la ville est clairement une entité indépendante, un être qui nous héberge, et non pas un « objet » que nous aurions formé.

La ville à sa propre volonté. « Les âmes minuscules » doivent s'y adapter. Durant mon voyage je m'imaginais souvent Istanbul tel une pieuvre ensorcelante, aux yeux de diamant. Sa grandeur, physique et historique attire par sa démesure. Ses diamants ont des noms : Ste Sophie, Topkapi (qui d'ailleurs en abrite des milliers), le Bosphore, Dolmabahçe, Sulemaniye ou bien les tours de Dört Levent, les ports, Istiklal... Des centaines de milliers de gens affluent chaque année de la campagne, comme envoutés, et viennent y déverser leur vie, bien plus pauvre et sombre qu'avant. Ils transforment comme le dit Boratav la ville en village par endroits: « Quand vous sortez de la maison, il vous arrive parfois de vous demander si cette rue est bien à Istanbul. », « on se croirait dans un village d'Anatolie ». Dans les banlieues éloignées comme dans les interstices oubliés, parmi les gecekondus (maisons « construites en une nuit ») qui apparaissent jusque dans le cœur de Beyoğlu ; des poules, des moutons, des vignes transforment ponctuellement la ville en microcosme très loin de la ville.


Bibliographie :

BORATAV David, « Murmures à Beyoğlu », Paris, Gallimard, 2009.

SHAFAK Elif, « Bonbon Palace » (« Bit Palas », 2002), Paris, Phébus, 2008.

20100204

Istanbul, capitale européenne de la culture ?

Ebru SanliTürk
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Erfolg ist Istanbul unheimlich. Geht es doch in ester Linie darum, das Publikum zu unterhalten ? In diesen hektischen, lauten Zeiten, in dieser schnellen Welt versucht Istanbul immer mehr dem Druck zu entziehen, den die Gesellschaft auf him ausübt. Einige Wörter ûber einen Wahl : Istanbul, Kulturelle Hauptstadt Europas. Eine türkische Schreiberin.


Geçtiğimiz yaz hayatının çoğunu Avrupa’da geçirmiş ve Avrupa Birliği vatandaşı olan bir Türk arkadaşımla sohbet ederken konu İstanbul’a gelince “Türkiye’den seçilecek Avrupa Kültür Başkenti İstanbul mu olmalıydı?” konusunda bir tartışmaya tutuşmuştuk. Ben hararetli bir şekilde Türkiye’den Avrupa Kültür Başkenti olmak üzere bir şehir seçilecekse bunun öncelikli olarak İstanbul olması gerektiğini savunmuştum. Öte yandan o, İstanbul’un kültür mirasının herkesçe bilindiğini, bu unvana ihtiyacı olmadığını, artık Avrupalı ülkelerin de bu düşüncelerle özellikle az bilinen şehirlerini aday gösterdiklerini bu nedenle de İstanbul kararının yanlış bir strateji olduğunu ileri sürmüştü. Oldukça uzun süredir İstanbul’un 2010 Avrupa Kültür Başkenti olduğunu bilmeme karşın bir İstanbullu olarak bu konuda kafa yormam bu tartışma sonucu başladı.


Contrarily to Europe, where the question has been present since the 1960s, In Turkey the debate around public space emerged only in 1990, but more from a political standpoint; indeed, “public space” in Turkish is said kamusal alan, kamu generally indicating a direct link with the State. Today, problems remain in the definition of the concept of a “public space”, not due to a translation issue but rather to the cultural and mental specificities to that region of the world. Under the Ottoman Empire, streets and mosque courtyards were the only assembly and meeting places for citizens; there were the meydans (public squares) under the Republic, but these were essentially used for political manifestations. As such, the public space has never been conceived of as a space for leisure, meetings and debate.



C'est au cours d'une discussion avec un ami turc, vivant en Europe et disposant de la citoyenneté européenne que je me suis interrogée sur le sujet " İstanbul, capitale européenne de la culture". Nous avions, en effet des points de vues opposés sur le sujet. Je défendais, pour ma part, la nomination d'Istanbul comme capitale européenne de la culture dans la mesure ou je pensais que cette ville illustrait parfaitement la réalité de la Turquie. En revanche, mon ami pensait qu’ İstanbul, déjà connu des Européens, n'avait pas besoin d’un tel titre et qu'il serait plus judicieux de faire connaitre aux Européens d'autres villes de Turquie.
C'est donc à partir de cette discussion que j'ai commencé, en tant que stambouliote à m'interroger sur le sujet alors mémé qu'Istanbul était devenue capitale dans les faits.
Tout d'abord, je tiens à préciser qu'il demeure extrêmement difficile, aux vues de mes origines, d'aborder la question objectivement. En effet, je suis tellement liée a İstanbul qu'il est difficile d'envisager pour moi une vie a l'extérieur de cette ville. Mais cela n’a pas été un obstacle pour entamer la réflexion sur le sujet. İstanbul avait-elle besoin d'un tel titre?
A vrai dire, Si je devais choisir une ville de Turquie afin de la nommer capitale européenne de la culture, je choisirais İstanbul sans aucune hésitation. Le choix de cette vile ne se justifierait pas uniquement par l'affection que je lui porte, elle se justifierait aussi dans la mesure ou je pense qu’ İstanbul est la ville qui représente au mieux la culture européenne. Certes, il existe au sein de la Turquie des villes qui m'e touchent profondément mais İstanbul par l'assimilation qu'elle fait de son multiculturalisme, par le pluralisme des religions et des populations qui y vivent depuis des siècles, par l'expérience des ses siècles de capitale, est la ville approprié pour devenir capitale européenne. Par ailleurs, İstanbul est une ville qui a reçu une forte immigration au cours de ces dernières années. D'ailleurs, il demeure extrêmement difficile aujourd'hui de prouver qu'on serait un "vrai Stambouliote". Peu importe, par la pluralité des populations qui y vivent, İstanbul est la ville qui représente au mieux la diversité de la Turquie. Au demeurant, İstanbul ne représente peut-être pas la Turquie mais elle représente très bien les turcs.
Bien sur, mis à part l'héritage historique et culturel d’ İstanbul, celle-ci est aussi la ville la plus riche en termes d'activités culturelles. İstanbul, capitale européenne de la culture demande aussi les ressources nécessaires pour pouvoir organiser les activités culturelles et artistiques. Or, İstanbul les détient au mieux. Concrètement, cela a aussi une importance.
Mais a la question "Pourquoi İstanbul et pas une autre ville ?", la meilleure réponse réside dans la maniéré dont a été choisi İstanbul. Au demeurant, c'est la société civile qui est a l'origine du choix d'Istanbul comme capitale européenne de la culture. C'est un groupe issue de la société civile qui a par la suite saisi les institutions pour qu'elle pose la candidature d’ İstanbul. Ce n'est donc pas l'Etat qui a choisi İstanbul.
Par ailleurs, je suis en désaccord avec ceux qui pense qu'Istanbul est déjà connue des Européens. En effet, pour une grande partie des Européens, la Turquie se résume au triangle mer-sable-soleil. Sans doute avons-nous une responsabilité dans cette méconnaissance de la Turquie mais ce qui est sur c'est qu'Istanbul n'échappe pas a la règle. Dalleurs, quand je voyage en Europe, je rencontre des Européens qui s'efforcent a essayer de démontrer que je ne suis pas turque. Ainsi, en choisissant İstanbul capitale européenne de la culture, nous aurons l'occasion de prouver aux Européens que la Turquie ne se résume pas à la plage et au shopping. Cela sera avantageux sur le long terme dans le domaine touristique.
La particularité d'Istanbul pour les Stambouliotes résident dans le lien que cette ville opéré entre l'orient et l'occident. Or ce lien n'est pas réellement connu des Européens dans la mesure ou ces derniers sont attirés avant tout par le coté Oriental de la ville. Par exemple, je n'oublie jamais l'exemple de mon ami qui faisait visiter aux touristes le Musée des Arts moderne a İstanbul. Les Touristes lui avaient rétorqué " Fais-nous visiter un coté plus propre a İstanbul". Or, le musée d'Arts moderne est un lieu propre a İstanbul . Au demeurant, bien qu'il soit possible de visiter des Musée d Arts moderne dans un nombre important de villes dans le monde, mais il y a une nuance : Une fois sorti du Musée, il est possible de traverser et se poser dans un café avec un narguilé, voila la particularité İstanbul : le Lien entre l'Orient et l'occident.
Lorsque l'on réfléchit a tout cela, Istanbul me parait être la ville prioritaire pour devenir capitale européenne de la culture tout comme Paris l'a été pour la France, tout comme Amsterdam l'a été pour la Hollande, tout comme Madrid l'a été pour l'Espagne....

Traduction du Turc par Kerim Uster.

Istanbul, Capitale européenne de la culture ?

Ebru SanliTürk
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Erfolg ist Istanbul unheimlich. Geht es doch in ester Linie darum, das Publikum zu unterhalten ? In diesen hektischen, lauten Zeiten, in dieser schnellen Welt versucht Istanbul immer mehr dem Druck zu entziehen, den die Gesellschaft auf him ausübt. Einige Wörter ûber einen Wahl : Istanbul, Kulturelle Hauptstadt Europas. Eine türkische Schreiberin.

Geçtiğimiz yaz hayatının çoğunu Avrupa’da geçirmiş ve Avrupa Birliği vatandaşı olan bir Türk arkadaşımla sohbet ederken konu İstanbul’a gelince “Türkiye’den seçilecek Avrupa Kültür Başkenti İstanbul mu olmalıydı?” konusunda bir tartışmaya tutuşmuştuk. Ben hararetli bir şekilde Türkiye’den Avrupa Kültür Başkenti olmak üzere bir şehir seçilecekse bunun öncelikli olarak İstanbul olması gerektiğini savunmuştum. Öte yandan o, İstanbul’un kültür mirasının herkesçe bilindiğini, bu unvana ihtiyacı olmadığını, artık Avrupalı ülkelerin de bu düşüncelerle özellikle az bilinen şehirlerini aday gösterdiklerini bu nedenle de İstanbul kararının yanlış bir strateji olduğunu ileri sürmüştü. Oldukça uzun süredir İstanbul’un 2010 Avrupa Kültür Başkenti olduğunu bilmeme karşın bir İstanbullu olarak bu konuda kafa yormam bu tartışma sonucu başladı.

Contrarily to Europe, where the question has been present since the 1960s, In Turkey the debate around public space emerged only in 1990, but more from a political standpoint; indeed, “public space” in Turkish is said kamusal alan, kamu generally indicating a direct link with the State. Today, problems remain in the definition of the concept of a “public space”, not due to a translation issue but rather to the cultural and mental specificities to that region of the world. Under the Ottoman Empire, streets and mosque courtyards were the only assembly and meeting places for citizens; there were the meydans (public squares) under the Republic, but these were essentially used for political manifestations. As such, the public space has never been conceived of as a space for leisure, meetings and debate.


20100203

L'espace public en Turquie

Tülay Bayraktar
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Alors que l’on commence à parler d’espace public à partir des années soixante en Europe, la question ne fait débat en Turquie que depuis 1990, et ce d’un point de vue surtout politique puisque espace public s’énonce en turc kamusal alan et kamu est très souvent lié à l’Etat. Aujourd’hui, des difficultés persistent pour la définition du concept, non pas en raison d’un problème de traduction, mais plutôt d’un problème de mentalité et de cultures particulières à cette région du monde. En effet, sous l’Empire Ottoman, la rue et les cours des

Avrupa'da kamusal alanı tartışmaları 1960 senelerinde başlarken, bu tartışma Türkiye'de 1990'da başladı. Tartışma Türkiye'de siyası alandan başladı. Bunu nedeni "kamu" ve "kamusal" kavramlarının devlete bağlı olması. Bugün, Türkiye'nin geçmişi ve bilhassa Orta Doğu'nun bu konudaki özel yaklaşımı nedeniyle "kamusal" ve "kamu" kavramlarını ayırt etmek halen zor. Öyle ki, Osmanlı Imğaratorluğu döneminde sokakaklar ve camiler insanların buluştuğu yerlerdi. Daha sonra, Cumhuriyetle birlikte, vatandaşlar meydanlarda da buluşmaya başladı.

As Turkey moves ahead with the process of its candidacy for the European Union, the projects that will be realized will demonstrate that Istanbul, the symbol of the country, has been interacting with European culture for hundreds of years. People of Istanbul will embrace new artistic disciplines. Young talented people will have the opportunity to become more closely involved in artistic creativity. And Istanbul is confronted to her past : Istanbul Do Redo Undo will be an archive-worthy video project of 15-20 minutes where first motion pictures of Istanbul shot in early 20th Century will be re-edited with original tracks. Many people from the world of culture and the arts, together with members of the print and visual media, will come to Istanbul from Europe and different countries all around the world. This will make a positive contribution to the promotion and branding of Istanbul. Being selected as a European Capital of Culture will give a boost to the city’s economic relations with Europe as well as contributing to its cultural relations. With the renovation that will take place, the administrators and administered will join together, hand in hand, sharing their knowledge and experience, to develop a long-term sustainable model for the future.

In Europa si parla di Spazio Publico da gli anni sessanta, il problema
adviene in Turkia sollo negli anni 90, e questo soppratutto in politica perche lo spazio publico in Turco : kamusal alan et kamu e spesso colegato allo stato. Oggi, delle difficolta persistono per definire il concetto, non per colpa di un problema di traduzione, ma piutosto per colpa di problemi di mentalita e di cultura particolare a questo reggione del mondo. In fatti sotto l’Empiro Ottomano, la strada et i cortlili delle mosquee erano gli soli luogi publici e centri di incontro dei citadini; cerano les /meydans/ (piazza publico) sotto la Republica, che sono statti sopra tutto degli luogi di manifestazione politica. Lo spazio publico non e mai statto idealizato come uno spazio di incontro, di debatito, di ricreazione.

… simiiiiiiiitççiii ! …
Se réveiller en sursaut avec la voix grave d’un marchand de simit (pâtisserie turque) n’est pas chose rare dans les quartiers modestes des villes turques. C’est comme pour annoncer le début d’une journée nouvelle ou encore le temps du petit-déjeuner. Le dialogue entre le marchand et le père de famille depuis la fenêtre de la cuisine est le premier contact avec l’extérieur. Vous n’êtes pas sans attendre le plus petit de la famille ayant été chercher le pain chaud au bakkal (commerce de proximité du quartier), mais qui comme toujours est en retard, le commerçant l’a sans doute retenu pour discuter et lui demander des nouvelles de la famille.
Après le petit-déjeuner prit en famille, vous sortez. Le bon temps vous y aidant, vous préférez la marche aux minibus rangés le long de la chaussée et créant ainsi une queue infinie ; le chauffeur klaxonne mais vous refusez d’un geste courtois de la main. En parcourant les rues pour rejoindre votre lieu de travail, de multiples situations attirent votre regard mais ne vous surprennent plus. Une jeune fille étend du linge sur un fil accroché au balcon, quelques voisines se sont réunies pour laver les tapis de l’une d’entres-elles sur le pas de leur porte, elles profitent de ce jour ensoleillé et bavardent, ou encore des vieillards sur le trottoir d’en face, qui ont sorti leur tabourets devant le kahvehane (cafés populaires réservés aux hommes) pour débattre des dernières informations qui ont bouleversées le pays. Sereinement, vous continuez votre marche tandis qu’il parvient des cris et des pleurs d’enfants qui jouent quelques rues plus loin.
Un autre jour, lors d’une promenade, vous croiserez le chemin d’un marchand de jouets ou de vêtements qui a installé sa marchandise ici, là où il pouvait, au coin de la rue ou le long du mur d’un bâtiment délaissé, vous serez interpellé par un commerçant ambulant qui déplace son comptoir devant lui tout en vantant les mérites de sa marchandise et en servant sa clientèle en même temps. Mais aussi des personnes à mobilité réduite installées dans leur fauteuil qui vendent des billets de lotos ou encore des employés de banque ou d’agence téléphonique qui ont monté des stands sur le trottoir et qui souscrivent des contrats ou des abonnements pour je ne sais quelle occasion. Vous êtes aussitôt attiré par la voix plaintive d’un jeune homme et du son de l’instrument qu’il joue, vous remarquez plus loin une femme assise sur le trottoir et attirant les regards sur elle. Vous avancez dans la foule et tentez de vous faufiler dans une rue latérale plus calme. Comme dans les rues de toute la ville, celle-ci n’a pas échappée à l’invasion par les affiches publicitaires et les drapeaux de différents partis politiques, vous pensez que vous n’avez pas encore fait votre choix pour les prochaines élections.
Vous êtes maintenant sur le bord de mer pour profiter d’un moment de détente loin du brouhaha de la ville. Ici, c’est comme un ailleurs imaginaire, c’est le lieu de rencontre des couples loin des regards indiscrets. C’est un lieu qui réunit aussi bien les familles aisées qui viennent des gated communities pour faire leur promenade traditionnelle du dimanche, mais aussi les familles modestes qui pique-niquent dans un coin de verdure sous l’ombre d’un arbre comme autrefois, du temps lorsqu’ils vivaient à la campagne. Vous faites un signe de la main au cocher qui s’arrête devant vous, vous montez dans la calèche et vous vous laissez guider par la musique de la radio qui se confond avec la voix de la vendeuse de pépites et les cris des oiseaux. Vous observez la ville, la mer, le ciel qui se faufilent sous vos yeux…
Tous ces événements sont comme des mises en scènes, des spectacles de la vie quotidienne. La ville est faite par les citadins mais aussi par les usages, les bruits, les vues, les odeurs… Ces éléments participent d’une atmosphère, d’une ambiance urbaine qui vous attire ou au contraire vous répugne.
L’une des plus grandes questions posées par la vie urbaine concerne les usages qui peuvent provoquer par moment le vacarme et le désordre. Savoir comment faire interagir toutes ces complexités au sein de la ville est une réelle préoccupation.
Il est évident que la ville en Turquie ou ailleurs n’est pas le lieu de l’uniformité, mais c’est la diversité qui façonne celle-ci. En effet, c’est dans ces micro-lieux et lors de ces moments que les citadins partagent des expériences imprévisibles.
Alors que l’on commence à parler d’espace public à partir des années soixante en Europe, la question ne fait débat en Turquie que depuis 1990, et ce d’un point de vue surtout politique puisque espace public s’énonce en turc kamusal alan et kamu est très souvent lié à l’Etat. Aujourd’hui, des difficultés persistent pour la définition du concept, non pas en raison d’un problème de traduction, mais plutôt d’un problème de mentalité et de cultures particulières à cette région du monde. En effet, sous l’Empire Ottoman, la rue et les cours des mosquées étaient les seuls lieux de rassemblement et de rencontre pour les citadins ; il y a eu les meydans (places publiques) sous la République, qui ont surtout été des lieux de manifestation politique. De ce fait, l’espace public n’a jamais été conçu comme un espace de récréation, de rencontres et de débat.
L’impossibilité de définir et d’identifier l’espace public en Turquie à engendré des actions variées qui ont été pour certains d’entres-eux des éléments favorables à son animation et pour d’autres nuisibles pour son développement. Par exemple, il est possible de tolérer certaines pratiques puisque ce sont des faits culturels qui alimentent la civilisation turque tels les vendeurs de simit ou encore le phénomène des bakkals (des commerces de proximité dont le nombre diminue en raison de l’ouverture croissante des grandes surfaces commerciales). Cependant d’autres usages comme le débordement des commerces sur la voie publique ou encore les commerces informels créent des agitations sur l’espace public ainsi que des confusions quant à son usage. Si l’on prétend que l’espace public est un facteur important dans la formation de la société et de son identité, il est important de mesurer l’impact de certaines activités sur les usagers mais aussi sur l’espace en question.
En somme, la ville est le lieu de la diversité et de la plurifonctionnalité. Elle doit abriter divers usages liés au développement économique, social et culturel d’une société. Cependant, le développement douteux des métropoles n’offrent pas de lieux accueillants qui correspondent aux besoins des usagers. De plus, la gestion et l’entretien de ces espaces sont très souvent négligés et leur organisation inadaptée engendre des incohérences quant à leur fonctionnement. La limite entre espace public et espace privé tend à disparaître.

20100202

A non-identified dynamic ?

Une dynamique non identifié ?
Tanınlanmamış bir dinamik ?
A non-identified dynamic ?
Kerim Uster
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Un magazine français récent consacré à la ville d’Istanbul fait sa Une sur : “Istanbul, le mouvement perpétuel”. On peut s’interroger sur le sens de cette dernière expression qui, en français, signifie “agitation” ou agité. Or, Istanbul n’est pas agitée. C’est une ville qui assume sa vivacité. A-t-on assez remarqué qu’Istanbul n’est ni la capitale de la Turquie, ni une ville d’Etat ? Ce qui peut paraître agitation ou désordre, a sûrement sa propre logique, ses propres logiques ? Est-ce judicieux de décrire une Istanbul “agitée” pour la simple raison que nous sommes dépassés par la logique de ses mouvements ?
Cet article sera developpé d’ici quelques temps…

Istanbul’un kültürel dinamikleri ile bir yazı yakında burada yayımlanacak..

The author will publish his article about Istanbul’ dynamism in a few weeks..

20100201

Qu’est-ce qui est public dans l’espace public ?

L’espace public, Thierry Paquot, Paris, La Découverte, 2009.
Christian Ruby
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Il importe de revenir souvent sur la question de l’espace public (concept et réalité). D’un côté, l’usage de ce terme est parfois confus. De l’autre, il nous porte à nous interroger sur la situation politique en Europe et sur la responsabilité des citoyennes et des citoyens. Dans un ouvrage récent, Thierry Paquot tente de faire le point sur les débats entrainés par l’usage de ce terme. Du point de vue historique, en effet, les pays européens disposent d’un vocable commun à défaut de lui faire signifier la même chose. En particulier, le terme « public ». Au XVII° siècle le terme français « publicité » est repris par les Anglais pour donner corps à « publicity », puis à « public » en lieu et place de « world ou « mankind ». La langue allemande du XVIII° siècle adopte « Publikum », tandis que se fabriquerons progressivement « öffentliche Meinung » et « public opinion ». Quelle que soit la langue de référence, il s’agit de la question de l’appropriation par les citoyens de l’espace de discussion et d’élaboration de la loi.


« Kamusal alan » kavramanı incelemek uzun bir tarih yolculuğuna girmek demek. Her ülkenin bu kavramı kendi tarihine göre inşa etmesi "kamusal alan" kavramını kullanımını zorlaştırır. Thierry Paquot bu kavramın yarattığı tartışmalara açıklık getirmek istedi. Avrupa'da "kamu" kelimesi ülkelerin büyük kısmında kullanılmasına rağmen, aynı anlamı taşımıyor. Öyle ki, 17'inci yüzyılda Fransız " publicité" kavramı Ingilizlerin "publicity" kavramına yer verdi. Daha sonra, "publicité" den yola çıkarak "public" yani "world" veya "mankind" kavramları oluştu. Almanlar 18'inci yüzyılda "Publikum" kavramını kullanır, bu kavram zamanla « öffentliche Meinung » kavramına yer verdi.


Das Thema steht seit Jarhen im Mittelpunkt öffentlicher Debatten. Was ist öffentlich im Öffentlichen Raum ?


E importante di riparlare dello spazio publico (concetto et realta).
Da una parte, l’uso dell’espressione e spesso confusa. Da l’altra, ci porta a interogarci su la situazione politica in Europa et su la responsabilita degli citadini e delle citadine. In un testo recente, Thierry Paquot prova a fare il punto sugli dibatitti originati dal uso di quest’espressione. Da un punto di vista storico, in fatti, i paesi europei hanno un vocabolario comune. Nel XVII° secolo il termine francese “publicite” et ripreso dagli Inglesi per dare “publicity” e poi “public” in vece di “mankind o world”. La lingua tedesca del XVIII° secolo integra “Publikum”, mentre si costituira progressivamente “offentliche Meinung” e “public opinion”. Poco importa la lingua di riferenza, in soma si tratta della preza in mano dei citadini dello spazio di discussion et del’elaborazione della lege.


It is important to address often the issue of “public space” (conceptually and in its application). On the one hand, the meaning of the term is often unclear. On the other, it leads us in our reflexion on the political situation in Europe and the civic responsibility of its inhabitants. In a recent book, Thierry Paquot attempts to explain the debates that surround this concept. Historically, European countries possess a common terminology regarding the public space, even though each assigns a different meaning to it. This is true especially of the term “public”. During the seventeenth century, the French term “publicité” is adopted by the British to create the words “publicity” and “public”, in replacement of “world” or “mankind”. Eighteenth century German then coined the term “Publikum”, leading the way for the invention of the terms “öffentliche Meinung” and “public opinion”. Regardless fo the language, the issue remains the appropriation by the citizens of the space of discussion and the elaboration of laws.


Les pays européens disposent d’un vocable commun à défaut de lui faire signifier la même chose. Pensons au terme « public ». Au XVII° siècle le terme français « publicité » est repris par les Anglais pour donner corps à « publicity », puis à « public » en lieu et place de « world ou « mankind ». La langue allemande du XVIII° siècle adopte « Publikum », tandis que se fabriquerons progressivement « öffentliche Meinung » et « public opinion ».
A ce propos, l’auteur de cet ouvrage (1) que nous signalons au public européen prend la précaution d’emblée d’opérer des distinctions : l’espace public n’est un lieu que par euphémisme, puisque ce concept renvoie au débat politique, à la confrontation des opinions privées que la publicité s’efforce de rendre publiques, ainsi qu’une forme de circulation des perspectives. Il ne doit pas être confondu avec le lieu public (bientôt le lieu urbain) : qui désigne des endroits accessibles à tous, arpentés par les habitants d’un lieu, des rues, des places, des jardins, des plages, bref « le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité et de la gratuité ». Autrement dit, « espace public » (réalité physique, géographique, localisée) relève du vocabulaire de la philosophie, tandis que « lieu public » est un terme dont se servent les édiles, les ingénieurs, les urbanistes, ... Certes, les deux expressions se recoupent en certains points. Certes encore, elles ont des points communs : l’idée de partage (public/privé, l’idée de liaison (débat et rencontre), l’idée de circulation (communicabilité et trajet). Certes enfin tout n’est pas réglé ni pensé par leur présence : puisqu’une personne privée peut accaparer un espace public (une terrasse de café qui déborde), un débat public peut être déployé dans un espace privé, un lieu public peut réunir un public, ... Autant rappeler que, par conséquent, espace public et lieux publics permettent des relations, et remplissent des fonctions essentielles pour la vie collective de la cité.
C’est assez récemment qu’un mot décisif s’installe au cœur de ce vocabulaire, le terme « communication ». Il conviendrait de porter une grande attention à cet usage. Ce dernier terme est délicat. Pris en son sens classique, au sein de la philosophie des Lumières qui valorise l’esprit critique au sein du public, il n’a pas exactement la même signification que celle qui est répandue par les mass media, ces industries multinationales de la communication (hésitant entre propagande, standardisation, unidimensionnalité et information).

I – L’élaboration du concept d’espace public.

.... Ou plus exactement de « sphère publique ». L’auteur rappelle que nous devons au philosophe allemand Jürgen Habermas (L’espace public, Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, 1962 en Allemagne, traduction 1978 en France (Paris, Payot)), la restauration et l’instauration de cette catégorie d’espace public. La thèse de Habermas est désormais connue, surtout parce qu’elle déploie une géo-politique de la notion (traversant les langues anglaise, allemande, française). En voici le résumé : Historiquement parlant, il s’agit de la sphère intermédiaire, cultivée et critique, entre la vie privée et l’Etat monarchique qui affectionne le secret, l’arbitraire et la délation. Elle se constitue en Angleterre et en France à la fin du XVIII° siècle. Cet espace public permet aux opinions privées de se rendre publiques (salons, loges maçonniques, clubs, cafés, journaux, ...), en tant qu’elles se soumettent au principe démocratique de publicité.
Mais cette thèse est englobée dans une logique de la décadence : Habermas explique en effet que, par la suite (XIX° siècle) la presse devenant dépendante de la réclame, l’espace public se réduit et s’atrophie. Il conviendrait désormais de tenter d’en restaurer la puissance, à l’encontre de ces médias.
Alors que penser de cette analyse ? D’autant que des désaccords entre historiens et philosophes se font rapidement jour devant les propos de Habermas. Certains nuancent ses affirmations, d’autres les corrigent. Mais surtout, une polémique se construit autour de la notion « d’opinion publique ». On n’oubliera d’ailleurs pas que GWF. Hegel, par exemple, mais d’une certaine manière comme Denis Diderot, avant lui, ne prête pas un sens avantageux à la notion d’opinion publique. D’autre part, ne convient-il pas de préciser que l’espace public de Habermas finalement n’est rien d’autre que l’espace public bourgeois, auquel il conviendrait d’opposer, par ailleurs, un espace public prolétarien ? Un sociologue comme Oskar Negt (Hanovre) n’explique-t-il pas qu’il existe aussi un tel espace public, né « d’expériences revendicatives, contestataires, organisationnelles, que des ouvriers rebelles réalisent en cherchant une forme d’expression propre, distincte de la fiction citoyenne du bourgeois ». Enfin, ne peut-on se demander si l’espace public de Habermas ne fait pas l’impasse sur la question du masculin. Des féministes, par exemple, estiment que l’espace public habermassion est masculin, et que son étiolement résulte en partie de ce machisme congénital qui trouve dans l’émancipation des femmes sa limite ?
A quoi s’ajoute opposition plus sérieuse encore : elle consiste à souligner que la construction de Habermas repose sur la valorisation de la hiérarchie entre ceux qui savent et ceux qui doivent se soumettre aux premiers. Pour le moment proprement récent de l’impact des médias sur la sphère publique, il développerait ainsi une conception du public massifié comme public qui n’aurait pas la capacité à s’opposer à son aliénation et finalement serait ravi d’être infantilisé. Conception qui ne manque pas d’être problématique.

II – Les éléments de l’espace public.

Les journaux : Par ces derniers, c’est tout un système de communication qui se met en place. Que Théophraste Renaudot soit le premier à en imprimer un, on peut toujours le prétendre (en l’occurrence, il s’agit du premier journal légal), mais chacun sait que ce sont d’abord des titres de journaux qui sont connus : Le Journal des Savants, Le Mercure galant, Les Nouvelles de la République des Lettres.... La presse apprend progressivement à respecter sa périodicité, à fidéliser son lectorat, mobiliser des plumes célèbres... Sous la Révolution, les titres se multiplient. La circulation des idées augmente très nettement par là.
Les salons : Il ne s’agit pas uniquement de la pièce à vivre dans laquelle on reçoit dans une maison ou un appartement. Par métonymie, cette pièce en vient à désigner l’activité régulière qui s’y déroule. La conversation des esprits cultivés en devient le cœur. Ce sont aussi des lieux dans lesquels se rencontrent des personnes d’horizons différents. Ainsi vont les réseaux d’influence.
Les cafés : Depuis leur instauration (que l’idée en vienne de Constantinople ou de Ispahan), les cafés sont des lieux raffinés de rencontre, de discussion, de circulation des idées, puisqu’ils ont un caractère public. Lieux de sociabilité, les cafés deviennent rapidement des institutions de loisir populaire.
L’ensemble constitué par les journaux, les salons et les cafés, correspond à une certaine urbanisation des mœurs. Au demeurant, sur ce plan, l’auteur de l’ouvrage prend du champ avec Habermas pour s’exprimer plutôt dans les termes de Norbert Elias. Journaux, salons et cafés assurent de confortables diffusions aux idées. Mais simultanément, ils valorisent l’esprit de la ville.

III – Voirie et lieux publics.

Effectivement, l’espace public n’est pas nécessairement matérialisé dans et par des lieux. D’autant qu’un espace public démocratique est bien avant tout un espace de parole et d’échange concernant les affaires communes et non un lieu spécifique (l’assemblée nationale). Après tout, Internet nous a appris aussi à penser un espace d’échange sans matérialité.
Cela dit, non seulement il peut être nécessaire de disposer de lieux publics, mais encore il est des lieux publics qui peuvent contribuer à donner forme à un espace public. Par exemple la rue, celle des manifestations et non celle de la circulation. Pour autant, la rue fut d’abord conçue pour régler des problèmes de circulation publique, avant qu’elle ne soit prise en charge et en compte comme instrument de mise en scène de la parole politique.
Or, donc, la rue, la rue dans la ville, si d’aventure la ville est bien un ensemble organisé de voies. Mais elle est aussi l’objet d’une surveillance policière qui en révèle la puissance politique. Aristote ne parle-t-il pas de la question de la rue dans la Constitution d’Athènes ? On sait non moins quelle attention les Romains ont attaché à la rue (cardo, decumanus).
L’auteur souligne que la rue peut être « aimable, revêche, prétentieuse, accueillante, colorée, animée, déserte, triste, ... ». De toute manière, du point de vue de la circulation, elle fait l’objet d’une attention particulière de la part des urbanistes : large, étroite, avec trottoirs ou non, autoroutes... Il est possible, à ce propos, de classer les urbanistes en fonction de leur propositions concernant la rue. Comment ils la réservent aux piétons, la vouent aux automobiles, etc. L’auteur choisit cependant de valoriser ici la pensée d’un poète et théoricien, peu connu, mais qui mérite de l’être : Gustave Kahn (1859-1936). Il a rédigé un ouvrage pertinent sur ce point : L’esthétique de la rue (1900). La rue affirme-t-il peut devenir une école d’art pour tous et élever l’âme des citadins en les initiant au sentiment du beau. D’une certaine façon, par l’affiche c’est l’art qui pénètre la rue et éduque l’œil du passant. La lumière artificielle contribue aussi à valoriser l’architecture des monuments en les éclairant durant la nuit.
Et pour prolonger cette réflexion, rappelons que Jacques Rancière (Moments politiques, Paris, La Fabrique, 2009, p. 67) insiste longuement sur les rapports de la rue et de l’insurrection, reliant ainsi espace et lieux publics : « C’est (l’insurrection) une manière d’occuper la rue, de détourner un espace normalement voué à la circulation des individus et des marchandises, pour y planter une scène et y redistribuer les rôles. L’espace de circulation des travailleurs y devient espace de manifestation d’un personnage oublié dans les comptes du gouvernement : le peuple, les ouvriers ou quelque autre personnage collectif ».
Au-delà de ces considérations, que nous retenons pour notre perspective européenne, l’auteur détaille largement les éléments d’urbanisme qui lui permettent de nous exposer l’ampleur de la tâche de l’urbaniste en matière de lieux publics. Le lecteur retrouvera aisément les passages dont nous ne parlons pas ici.
Cela étant, d’une manière ou d’une autre, dans ces questions, se joue la perspective du commun, pour une société ou une culture donnée. L’auteur ne se fait pas faute de rappeler que, dans un autre ouvrage, il a présidé à la constitution d’une définition d’ensemble, concernant ces termes : « En ce qui concerne l’urbanisme, la notion « d’espace public » qui se substitue à « place publique », « lieu public » est récente, et peu précise. Elle superpose à un statut juridique de propriété un usage particulier, ainsi à l’espace public correspondrait un usage public, mais comment délimiter ce qui relève du « commun », du « collectif », et pas seulement du « public » ? ». Il reste à se demander dans quelle mesure ces notions conviennent à éclairer nos enjeux européens, et si elles n’imposent pas à cette perspective un présupposé : celui d’une fiction d’unité. Nous souffrons de nos jours d’entendre le débat public colonisé par un esprit de consensus. De Jean-Jacques Rousseau (Lettre à d’Alembert, 1758) à Jürgen Habermas, aujourd’hui, en passant par Immanuel Kant, cette notion exalte les principes communs, les évidences communes, et les vertus apaisantes du langage à destination du débat public. Sur de telles prémices, les médias se font fort d’écarter toute dispute. Que reste-t-il alors de l’espace public ?
Il est clair, en tout cas, que le lecteur européen est à même de comprendre ainsi pourquoi la même question, posée ici presque au niveau de chaque cité seulement, se pose à l’échelle de l’Europe. Cette dernière est souvent réduite désormais à celle d’un espace physique de relation, pour lequel il ne s’agirait que d’agencer des autoroutes ou des voies de communication, afin de favoriser les échanges et de faire proliférer le commerce collectif. Parfois l’espace public est restreint à la Commission de l’UE. Mais chacun sait non moins que la véritable question à laquelle peu répondent est de savoir : en quoi et comment l’espace européen pourrait devenir un véritable espace public organisé et vivifié par les citoyennes et les citoyens.
De toute manière, il nous reste concrètement à travailler encore à la réalisation d’un nouvel espace d’opinion publique, sur ce plan. C’est l’effort nécessaire de tous les européens que, face aux opinions publiques officielles, d’essayer de créer une autre opinion publique.



(1) L’espace public, Thierry Paquot, Paris, La Découverte, 2009.