20100101

La présence de la culture arabo-arabe en Europe du sud aux temps heureux du Moyen Age

Josette Delluc
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Dans le Roussillon, l'art roman témoigne de l'apport des Arabes dans le sud de l'Europe. Par exemple, l'emploi au XI ème siècle du motif de perles bordant le décor d'arcs outrepassés sur le linteau de marbre de l'abbaye de Saint-Génis-des-Fontaines, s'inspire des précieux ivoires sculptés et des principes architecturaux caractéristiques de la civilisation musulmane.

Pour Fernand Braudel[1] ces «emprunts» traduisent la vitalité des «aires de civilisation», il oppose la dynamique de cette transmission aux idées anciennes de vie et de mort des civilisations, thèses qui avaient été développées par Spengler[2] ou Toynbee [3].

La mer méditerranée, au cours de l'histoire, n'a cessé d'être une zone de contacts souvent violents mais dont il a résulté de profonds échanges. Respectueux des civilisations qu'ils dominaient, les Arabes avaient sauvegardé la philosophie et la science antiques. C'est pourquoi dès le XII° siècle les nobles lettrés du nord de l'Europe, tel l'anglais Daniel de Morley, venaient à Séville ou Tolède, où ils échappaient à la censure de l'Église, et pouvaient étudier les manuscrits hébreux, grecs ou arabes. Le contexte guerrier de la Reconquête n'était pas un obstacle à l'entente entre Juifs, Chrétiens et Musulmans qui travaillaient ensemble, sans parti pris, avec pour seul désir l'approche directe des textes. D'autre part, Frédéric II Hohenstaufen, empereur germanique couronné par le pape en 1220, avait fait de la Sicile sa résidence préférée. Descendant des Normands qui contrôlaient l'île après les Byzantins et les Arabes, il y appréciait la diversité humaine. Lisant semble-t-il neuf langues, il étudiait avec les savants arabes, ses amis et connaissait l'œuvre de Maïmonide, grâce à sa pratique de l'hébreu et aux relations entre la Sicile et l'Espagne. Cette volonté de réflexion est assez forte pour bouleverser l'ordre établi. «Transformateur du monde» c'est ainsi paraît-il que ses contemporains appelaient Frédéric II qui imposa sa domination et sa tyrannie, modifia une partie de l'Europe et qui selon Ernst Kantorowicz[4] transforma aussi les hommes. Il créa «le chevalier intellectuel» et «l'intellectuel guerrier se substitua....au chevalier spirituel des croisades. C'est lui qui était destiné à régner au cours des siècles suivants.». Dans cette quête rationnelle du savoir universel ces hommes établissent aux XII ème et XIII ème siècles, les prémices de la Renaissance et préparent une nouvelle ère.

Par ailleurs, les peuples participaient à cette interpénétration des civilisations, aussi bien en Sicile que dans certaines villes espagnoles. D'une part, pendant un temps, conversions et tolérance permettaient la cohabitation des trois religions monothéistes.

D'autre part et de manière plus matérielle, les habitants des villes vivaient entourés d'architectures hétérogènes. Ainsi en Sicile, non seulement les vestiges antiques et la présence byzantine étaient préservés, mais en outre, un art composite appelé arabo-normand fut inventé. Les édifices de ce style, mosquées, palais ou églises sont cependant peu nombreux aujourd'hui, et ce syncrétisme est peu visible si ce n'est à Monreale, Cefalu ou Palerme. En Espagne l'art mozarabe et mudéjar sont mis en lumière, surtout, la publicité cherche à séduire en valorisant le passé musulman du pays. C'est sur les constructions datant des Arabes

que le site officiel de l'office de Tourisme en Andalousie, choisit d'ouvrir sa présentation: «l'Alhambra de Grenade, la Mosquée de Cordoue ou la Giralda de Séville sont des monuments essentiels de l'histoire de l'Humanité, un héritage millénaire d'une extraordinaire valeur artistique» pouvons nous lire. De plus la Giralda est donnée dans les nombreux guides comme élément «emblématique» de Séville. Les minarets du passé sont donc affichés pour produire un effet attractif. Ce rappel d'un moment d'intelligence et de concorde, dans l'Europe médiévale, fondée sur l'analyse et la réflexion, contraste avec l'actualité des décisions politiques aux effets destructeurs. Débat livré au pire en France, référendum en Suisse, ont libéré la voix de l'extrémisme, et de l'irrationnel. Dans une Europe qui s'unifie et où la priorité est la démocratie, l'avenir ne peut être fondé que sur les valeurs d' humanité et d' humanisme. La population européenne dans son ensemble doit, s'accorder pour construire son avenir et inventer un futur généreux pour notre «vieux continent». La culture ancienne y sera confrontée aux inspirations et aux influences nouvelles.

Une civilisation qui se replierait sur elle même et refuserait la diversité serait destinée, si ce n'est à la mort, Braudel en refusait l'idée, du moins à l'uniformité, à un bégaiement éternel et stérile. La confrontation avec l'Autre oblige à l'action et enrichit la création, l'ultime est peut-être la plus forte: l'exposition intitulée «Deadline» montre que la confrontation avec l'au delà, inconnu et inquiétant, renouvelle la pensée, la palette, et l'expression. [5]

[1] Braudel, Fernand. Écrits sur l'Histoire. Paris. Flammarion. 1991. (Champs).

[2] Spengler, Oswald. Le Déclin de l'occident.. Rédigé entre 1918 et 1922 Paris. Gallimard. (Bibliothèque des idées).

[3] Toynbee, Arnold Joseph. Etude de l'histoire.12 volumes rédigés entre 1934 et 1961. Oxford University Press.

[4] Kantorowicz, Ersnst. l'empereur Frédéric II. Paris. Gallimard. 1987. (Bibliothèques des Histoires).

[5] .Deadline. Exposition du Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris. Octobre 2009 à janvier 2010, œuvres tardives de 20 artistes conscients de l'imminence de la mort.