20090310

Editorial

L’Europe est privée de son énergie essentielle, la formation (Die Bildung), telle que devrait la définir une nouvelle politique éducative. Une formation aux langues, à la traduction et à la formation de multitudes en interaction.
Entraînée par ses hommes d’Etat, elle se met plutôt à l’heure du « Grand », même si les Européens ne sont pas toujours convaincus des bienfaits des projets proposés. Il est vrai que ces projets s’acharnent à faire fonctionner des stratégies de pouvoir plutôt que des interférences culturelles, seules adéquates finalement à une véritable perspective européenne. Le « Grand Paris » vient se mesurer au « Grand Londres », qui lui-même a été inquiété par le « Grand Berlin », … et chacun de vouer les « autres » à rester « petits ». Il est vrai que ces politiques européennes vides ne cessent de couvrir aussi des écrasements nationaux, et notamment l’écrasement des multitudes de propositions possibles. En France, le « grand Paris » cache la misère de la centralité enclose, la rigidité des espaces territoriaux qui n’accèdent toujours pas à la réticularité. Nous n’aurons pas l’ironie de souligner que la « grandeur » ne se mesure pas toujours à la taille.
Il est plus certain que la « grandeur » peut se mesurer au travail de fourmi qui consiste à mettre sans cesse en rapport, en confrontation, en jeu les travaux culturels qui permettent aux Européens de chercher à vivre ensemble en se donnant les moyens de discuter des orientations de leurs existences, de multiplier les sources d’inspiration et de rencontre en cessant de s’enfermer dans des suprématies ou des enfermements, de favoriser l’émergence d’une multitude de propositions à faire au monde.
Des mises en rapport de ce type, il en existe de très nombreuses. Nous cherchons à les mettre au jour, au fil de nos numéros. Il en est de plus visibles que d’autres : il faudrait actuellement examiner les traits communs et divergents des manifestations politiques dans toute l’Union européenne.
Afin de mieux développer ce travail, nous souhaitons lancer une double recherche, que nous proposons d’ailleurs à nos lecteurs, dans la mesure où ils souhaitent nous envoyer leurs chroniques. La première porte sur la double (ou triple, …) appartenance. Elle consiste à récolter et publier des articles provenant d’européens qui vivent sur et de deux langues et deux cultures (ou plus). De grands ancêtres ont produit des études sur ce point à partir de leur propre éducation (Elias Canetti, Isahia Berlin, George Steiner), de la diversité culturelle intrinsèque à leur milieu familial et de leur apprentissage simultané de plusieurs langues. Il nous semble que nous devons amplifier la publication de récits de ce type.
La seconde porte sur les approches du contexte culturel européen par les « étrangers », ceux qui, loin de ce contexte (nous avons proposé cela à des Indiens, des Mexicains, …) peuvent s’en approcher pour en faire la critique. Nous publierons, là encore, les envois qui nous seront faits.
Grâce à ces publications, qui vont bientôt émailler les numéros du Spectateur européen, nous allons sans doute faire émerger des rapports d’empiètement, des rapports de pli, de réversibilité et de chiasme entre les cultures européennes, rapports qui ouvrent une multiplicité de perspectives à nos existences. Rappelons que l’empiètement implique que deux objets se recouvrent en partie et donc qu’il faut penser leur lieu commun comme un continuum spatial, une zone de contact qui élimine les notions d’intérieur et d’extérieur. Le pli est la capacité d’un corps à s’enrouler en prenant dans son geste quelque chose du monde qui l’entoure ; le pli fait participer le monde au déroulé d’un processus. La réversibilité établit que tout corps est double au sens où il est toujours à la fois senti et sentant, pensé et pensant, voyant et visible, culturel et non-culturel. Enfin, le chiasme organise une sorte de retournement qui distingue les choses sans nécessairement les opposer.


20090309

Collaborateurs

En publiant ce nouveau numéro, le rédacteur en chef du Spectateur européen, Christian Ruby, tient simultanément à remercier nos collaborateurs réguliers, sans lesquels aucun résultat ne serait atteint.

Merci donc à :
Congratulation to :
Mit freundlichen Grüssen :

Paul Baldensperger, Thibault Barrier, Jean-Patrick Bouvard, Jonathan Bryant, Guillaume Dax, Josette Delluc, Nicolas Hannequin, Denis Lejeune, Xavier Marie, Kevin Nouvel, Yannis Pazios, Pierre Testard, Marie-Luce Thomas, Cécile Ruby, Kerim Uster.

20090308

Digital

Die Digitalisierung der Kulturerbe.
Aus Tageszeitung, von Dietmar Kammerer.
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A propos d’un projet de l’UE : la numérisation du patrimoine culturel européen. L’ambition : rendre accessible tous les ouvrages des bibliothèques, les œuvres des musées et les documents d’archives, en ligne. En marge de la création du site : http://www.europeana.eu/portal, il faut retenir aussi quelques difficultés (finances, ampleur, tri, …).
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Regarding an EU project: the scanning of European cultural heritage. The goal: make all library books, museum works and archive documents available online. In contrast to the newly developed website (www.europeana.eu/portal : http://www.europeana.eu/portal
> ) one should also point out the various obstacles that pave the project’s development (funding, selection of works, etc.).
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Σχετικά με ένα σχέδιο της Ε.Ε : Η ψηφιοποίηση της πολιτιστικής κληρονομιάς της Ευρώπης.Η φιλοδοξία του σχεδίου είναι όλα τα βιβλία των βιβλιωθηκών, τα έργα των μουσείων κ όποιο έγγραφο αρχείο να γίνουνε προσβάσημα στο διαδίκτυο.Εκτός της δημιουργίας της ιστιοσελίδας :
http://www.europeana.eu/portal πρέπει επίσης να ληφθούνε υπ’όψη κι άλλες δυσκολίες(οικονομικές,διαστάσεις...)
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Ein Prozent ist nicht viel. Anderseits ist ein Hundertstel von 2,5 Milliarden eine ganze Menge. Auf diese Zahl schätzt man nämlich die Gesamtmenge aller Bücher, die in Europas Bibliotheken eingelagert sind. Und eben ein Prozent davon liegen als digitale Kopie vor, also eingescannt und in Netzwerken gespeichert. Nicht genug, findet EU-Medienkommissarin Viviane Reding und fordert deshalb verstärkte Anstrengungen aller Betiligten. Die Mitgliedstaaten sollen mehr finazielle Mittel bereitstellen, die Institutionen stärker miteinander kooperieren.
Die Kommisssarin selbst wird in den kommendent zwei Jahren rund 120 Millionen Euro fûr die Entwicklung digitaler Bibliotheken und Archive und die Verbesserung der Zugriffsmöglichkeiten bereitstellen. Bloss : Das deckt die Ausgaben bei weitem nicht. Um fünf Millionen gedruckte Bûcher nachträglich in elktronische Form zu vewandeln, sind rund 225 Millionen Euro notwendig. Weitere Kosten verursachen die ddigitale Erfassung anderer Kulturgüter wie Gemälde, Manusckripte oder Kunstgegenstände.
Hinter der Zahlen, Statistiken und Ankündigungen steckt der Wunsch, das europäische Kulturerbe digital zu sichern und in einer Art universalen Bibliothek zugänglich zu machen. Seit November ist die Europäische Digitale Bibliotheke « Euopeana » online gehen. Dann werden erstmals ausgew¨hlte digitalisierte Titel aus europäischen Archiven, Musen und Bibliotheken in einem Internetportal gebündelt sein, mit freien Zugriffsrechtent für alle. Über zwei Millionen multimediale Objeckte wie Bücher, Zeitungen, Archivmaterial, Fotographien, Gemälde oder Ton- und Bildateien stehen zum Start zur Verfügung, bis 2010 soll diese Zahl verdreifacht werden.
Das Vorhaben soll den Rückstand Europas gegenüber den USA in Sachen Online-Archivierung aufholen. Als vor vier Jahren Google ankündigte, Bestände amerikanischer und britischer Bibliotheken im grossen Stil zu scannen und ins Netz zu stellen, war die Aufregung unter Europas Kulturbewahren gorss. Kritiker befürchteten eine Hegemonie englischzprachiger Inhalte.
[…] Zum finanziellen Aufwand und den organisatorischen Herausforderungen der Looperation zwischen mehreren tausend Institutionnen … kommen technische und rechtliche Schwierigkeiten. Was digital archiviert wird, ist keineswegs, wie gerne geglaubt wird, unbegrenzt haltbar. Mindestens alle zwei bis drei Jahre sollten CDs umkopiert werden, um sich vor Datenverlust zu schützen, mahnen Experten. Dazu kommen die Probleme der Komprimierung und der Interkompatibilität von Daten und Umgebungen.

20090307

Transport

Le fret ferroviaire dans l’Union européenne.
Cécile Ruby
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Les grandes entreprises historiques du chemin de fer, dont l’activité de marchandises est pour la plupart en difficulté financière, peinent de plus en plus à maintenir les dessertes terminales et taillent dans leur réseau de petits clients éloignés de leurs bases régionales. Cela se traduit par un report de trafic sur la route, à l’inverse des objectifs affirmés par l’Union Européenne. L’ouverture à la concurrence du transport de marchandises est l’occasion de reposer les bases du système ferroviaire et de son ancrage local.
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Major commercial train companies, most of which currently suffer from financial instability, are increasingly forced to cut into their network’s reach, thus depriving less central customers from access to rail travel. This leads to an increase in road traffic, which is contrary to the goals asserted by the European Union. The opening to competition of the transportation of goods represents the perfect opportunity to re-establish the bases of the railroad system and its co-dependency on local entities. A network of railroad SMEs charged with carrying freight to the major operators’ central hubs, allowing the latter to orient themselves solely toward long distance transportation, appears as the only chance of survival for an under-competitive railroad system suffering from waning usage. The logic is simple: a small local company responsible for a small portion of railroad will better know how to limit its costs and adapt to local needs than a big national or international company located far away from the railroad in question. Separating short and long distance companies would have important consequences, and would fit perfectly with the desire for a competitive, efficient and integrated European railroad system.
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In den neuen Berliner Hauptbahnhof sind seit der Eröffnung zur Fussball-Weltmeisterschafft 2006 schon die unterschiedlichsten Züge eingelaufen. Schneeweisse ICEs der neuesten Baureihe, usw. So haben wir die Gelegenheit zu den europäischen Zügenetz zu nachdenken.
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Si on entend beaucoup parler de l’état des chemins de fer en ces temps troublés, il s’y passe depuis quelques temps une révolution encore assez peu abordée par l’ensemble des media. Et pour cause : elle se dessine encore à peine. Elle s’étendra sans doute à toute l’Europe, mais pour l’instant, seuls quelques pays en connaissent les prémisses. Il s’agit de la division du transport ferroviaire de fret en deux échelles de transport, qui pourrait se traduire en particulier par la renaissance d’un vivier d’entreprises ferroviaires de petite taille.
Après une longue période de déclin sur plusieurs plans (un trafic en chute depuis plusieurs décennies, des déficits importants dans de nombreuses entreprises, une infrastructure qui se dégrade, l’abandon de nombreuses dessertes non rentables), le chemin de fer est pointé du doigt par les instances européennes, qui organisent une révolution du secteur. Dans les années 1980, le paysage ferroviaire européen se composait en majorité de grandes compagnies nationales et publiques opérant sous monopole. Pour faire circuler les trains internationaux, elles prenaient en charge les wagons chacune sur son propre territoire dans un processus de coopération. Avec trois séries de directives et règlements (les « paquets » ferroviaires), la Commission Européenne a instauré la séparation de l’infrastructure et des opérations, afin que toute entreprise puisse faire circuler ses trains par elle-même partout où elle le souhaite, dès qu’elle a prouvé son aptitude à faire circuler des trains en toute sécurité dans chaque pays, et apporte des garanties financières et judiciaires. Cette ouverture des marchés, dont les modalités et dates ont été laissées à l’appréciation de chaque pays, est effective dans le transport ferroviaire de marchandises partout en Europe depuis 2007 (autorisation du cabotage), mais pas encore partout dans le transport de passagers – en France, les transports internationaux de passagers seront eux aussi ouverts début 2010, dans un premier temps.
En cherchant à gommer les frontières nationales, l’Union Européenne pointe le nœud du problème ferroviaire européen : comment espérer réduire les déficits des opérateurs et en finir avec le sous-investissement en matière d’infrastructure alors que des efforts immenses sont à faire en matière d’harmonisation ? A partir du moment où l’on a choisi de pouvoir faire circuler toutes les entreprises partout en Europe, on se heurte à un casse-tête technique et administratif majeur. Le chemin de fer s’est développé au XIXe siècle dans un contexte européen de nations souveraines où l’échelle nationale était plus que primordiale. Malgré la création d’organismes internationaux destinés à réduire les écarts techniques, telles que l’UIC
[1], chaque pays a développé ses propres procédures et normes techniques, sa propre notion de la sécurité. Il existe plusieurs types d’électrification, d’écartement des rails, de systèmes de contrôle des trains, ... de sorte que peu de trains peuvent franchir une frontière sans devoir changer de locomotive et de conducteur, voire de wagons ou d’essieux. Même si une Agence Ferroviaire Européenne a été créée dans le but de réduire l’impact de la multiplicité des systèmes, ces nombreux aspects techniques ne pourront être harmonisés, car cela représenterait un investissement hors de propos, et les choix retenus prêteraient forcément à polémique. Les solutions envisagées se trouvent dans les matériels dits interopérables, pouvant circuler sur plusieurs réseaux (par exemple, pour le transport de passagers, le Thalys est une rame quadricourant disposant de tous les systèmes embarqués pour circuler en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne). L’Europe tente de mettre en place un système commun de contrôle des trains, et développe le principe de la reconnaissance mutuelle du matériel ou des équipements : ce qui a été jugé sûr et efficace dans un pays est reconnu par les autres et peut circuler. Ces réponses, quelles qu’elles soient, sont coûteuses et contribuent à faire du transport international par chemin de fer une activité réservée aux entreprises bien implantées et dotées d’une capacité d’investissement importante.

Vers deux échelles de transport ferroviaire.

Si la réponse de l’Union Européenne a permis aux entreprises de se donner des ambitions continentales et de retrouver une idée parfois perdue de la compétitivité, il n’en reste pas moins que la concurrence directe sur son propre territoire a aussi pour effet de fragiliser une activité déjà atone. Des anciennes coopérations à la concurrence, il s’agit de réinventer la coopération, sur d’autres fondements que les barrières nationales. L’histoire ferroviaire de l’Europe fait que les anciens monopoles sont restés des acteurs incontournables, des entreprises de grande taille et très bien implantées. Du fait de la lenteur à construire un réseau dense de clients dans le monde ferroviaire et du caractère encore récent de la libéralisation, les nouvelles entreprises, souvent filiales d’opérateurs historiques, sont encore de taille ou moyenne.
De fait, les grandes entreprises historiques ne peuvent plus supporter le coût de leurs dessertes terminales. Or, les chargeurs font de plus en plus d’envois de petite taille, pour lesquels la concurrence d’un secteur routier très réactif est vivement ressentie par ces entreprises, surtout dans le lotissement. Organisée sur une étendue au moins nationale, par bases régionales d’activité, la desserte de certains clients un peu isolés se traduit pour elles en kilomètres inutiles par rapport à la gare ou au dépôt le plus proche. La plupart des grandes entreprises ont déjà mené des plans de restructuration ayant pour effet de supprimer ces dessertes, avec plus ou moins d’implication auprès des chargeurs pour les aider à trouver une autre solution – si possible non routière. A l’inverse, un opérateur dont l’exploitation d’une seule ligne est l’activité principale, saura s’organiser de façon à en obtenir la rentabilité. Les opérateurs historiques se concentrent sur les trafics massifiés et les circulations à longue distance, et se retirent progressivement des lignes secondaires.
On peut donc, d’après ce qui se dessine actuellement, imaginer un chemin de fer européen où, comme cela se fait aux Etats-Unis, il existerait deux métiers bien distincts dans le fret ferroviaire : des entreprises de longue distance, et des entreprises de proximité. Les entreprises historiques se chargeraient d’un transport massifié sur les grands axes, très technologique pour franchir les frontières et assurer une efficacité plus en phase avec leur temps et les autres modes de transport. Mais ce transport ferroviaire ainsi constitué ne pourra pas gagner des parts de marché à la route s’il n’est pas alimenté par des entreprises locales agissant pour les chargeurs qui disposent d’un embranchement, leur évitant une coûteuse rupture de charge si les grandes entreprises ne les desservent plus. Dans certains pays, ces PME ferroviaires existent déjà, et dans ceux où elles n’existent pas encore, elles commencent à être perçues comme un maillon manquant de la chaîne de transport, alors que les opérateurs historiques ont déjà réduit leur étendue géographique. Parvenir à mettre en place ces réseaux locaux comporte des enjeux de taille :
§ Sauvegarder les lignes sur lesquelles ne circulent que du trafic de marchandises
§ Eviter que ces trafics ne passent sur la route, même s’ils ne représentent pas un gros fond de cale : quoi qu’on puisse entendre aujourd’hui, le report modal se fait plutôt dans le sens rail-route que route-rail.
§ Adapter le lotissement à la demande moderne des chargeurs (c’est-à-dire plus d’envois moins massifs), et ainsi acquérir un savoir-faire ferroviaire dans les territoires. Cela contribuerait à promouvoir une expertise ferroviaire nationale et européenne après une longue période où seule la SNCF et les autres grands monopoles européens pouvaient la fournir.
§ Pérenniser l’activité des quelques entreprises captives du fret ferroviaire, après des années d’inquiétude quant au maintien de la desserte ferroviaire.
§ Créer des entreprises ferroviaires, et ce qui y est lié : des activités logistiques, de la maintenance ferroviaire, un peu d’emploi – cependant, ces entreprises ne seraient pas forcément de grandes pourvoyeuses d’emploi – sédentaire et très spécialisé, localisé souvent, mais pas toujours, dans des bassins à l’écart des grands axes.

Fret ferroviaire et proximité en France et en Europe.

Depuis la libéralisation, entre six et douze entreprises ferroviaires de fret circulent dans chaque pays, sauf en Allemagne, pays de grande densité industrielle au cœur des grands flux de marchandises, où il existe environ trois cents transporteurs ferroviaires actifs. Les plus grands transporteurs de fret ferroviaire en Europe sont les opérateurs historiques : DB Schenker, l’opérateur allemand (380 millions de tonnes transportées en 2008) ayant racheté les branches fret des opérateurs historiques danois et néerlandais, PKP, l’opérateur polonais (140 millions de tonnes en 2008) et l’opérateur autrichien ÖBB (99 millions de tonnes), qui a dépassé la SNCF (94 millions de tonnes)
[2] en 2008.
Du point de vue de la proximité, chaque pays a une histoire différente quant au nombre d’entreprises ferroviaires qui sont présentes sur ce segment de marché. L’Allemagne, avant même la libéralisation, était couverte de petites entreprises montées par les collectivités locales. Autour de l’an 2000, beaucoup d’autres ont été crées. A l’inverse, en France, les petites compagnies ne se sont pas développées, et la SNCF était presque seule. Partout en Europe, des nouveaux entrants sont arrivés, mais ils ne s’intéressent pas forcément au fret de proximité, même si certains sont encore de très petite taille. En Suède, le concept de partenariat entre une entreprise de proximité et une autre de longue distance a trouvé un terrain favorable et semble bien fonctionner. A l’Est de l’Union Européenne, malgré l’arrivée de nouveaux entrants, les opérateurs historiques, ayant une part de marché intermodal assez élevée, sont encore au début d’une période de fort déclin des trafics, d’où nombre de flux de proximité qui seraient susceptibles d’être transférés sur la route. Ce mouvement est plus avancé à l’ouest où, après un effondrement des parts de marché du ferroviaire, les chargeurs s’interrogent sur un retour au chemin de fer, à condition que l’équilibre économique soit avéré. Quant à la Suisse, elle a suivi l’Union Européenne et libéralisé le fret ; on trouve un exemple de partenariat entre les CFF, opérateur historique, et un opérateur de proximité pour des trafics de déchets.
En France, les chargeurs ont commencé à considérer le train comme un sérieux argument de marketing environnemental. Toutefois, ils dénoncent un service peu fiable, compliqué, lent et plus cher que la route. Certains accusent la SNCF de les avoir poussés par tous moyens à fermer leurs trafics, non rentables, sans aucun accompagnement. Or, malgré la présence de sept autres entreprises ferroviaires totalisant près de 10 % du trafic ferroviaire de fret et l’intérêt qu’elles manifestent pour des trains multiclients, la SNCF est seule à assurer les flux de lotissement. De nombreux chargeurs ont donc transféré leurs flux sur la route, mais la branche fret de la SNCF est toujours largement déficitaire.
Dans plusieurs régions, des initiatives se sont alors constituées en faveur du fret ferroviaire de proximité. Rassemblés par les chambres de commerce et d’industrie, les Régions ou encore les ports, les chargeurs cherchent à constituer de petites entreprises ferroviaires de rayonnement local afin de reprendre les trafics qui pourraient circuler par le train. On appelle ces entreprises opérateurs ferroviaires de proximité (OFP). L’objectif consiste à rassembler les flux de plusieurs chargeurs proches et de les amener à un point de jonction où un opérateur de longue distance les reprendrait, soit pour les acheminer à leur destination, soit pour les transmettre à un autre OFP qui se chargerait de les redistribuer. Aucune de ces initiatives ne s’est encore concrétisée, mais les démarches les plus abouties se trouvent dans le Centre, en Auvergne, au port de La Rochelle et en Languedoc-Roussillon. Développons le cas du Centre, qui est le plus médiatisé :
- Les chargeurs, regroupés dans une association appelée Proffer, le groupe SNCF et la Caisse des Dépôts, ont créé en 2007 une société de projet, Proxirail, portant sur la desserte des installations agricoles et industrielles localisées principalement autour d’Orléans, sur les 600 kilomètres de lignes dédiées au fret que compte la Région Centre. Les études sont faites, mais la mise en place de l’opérateur ferroviaire tarde à venir, d’une part parce que les volumes, 5 millions de tonnes, seraient encore trop faibles de 15 à 20 % pour assurer son équilibre, et d’autre part parce qu’il est difficile de concilier la desserte des silos, clients principaux de l’OFP, et celle des autres industriels. Les céréales s’adaptent bien à des trains complets, et leur transport varie beaucoup selon la saison, ce qui n’est pas forcément le cas des autres produits concernés (produits de grande consommation, acier). De plus, l’infrastructure étant dans un état critique, il serait difficile d’atteindre cet équilibre économique tant que la remise en état n’est pas financée et mise à l’ordre du jour.
- Afin de donner une idée de ce à quoi ces initiatives françaises cherchent à aboutir, citons l’exemple allemand de la société Rhein-Sieg-Eisenbahn (RSE). Etablie en 1994 par une ONG défendant la mobilité écologique, elle effectue des trafics de courte distance autour de trois bases situées entre la région de Cologne et la Bavière. Elle dessert des chargeurs de divers segments et remet les wagons à la DB Schenker, qui les reprend (certains vont jusqu’en Ukraine). Sans la mise en place de cette société, certains de ces trafics auraient été abandonnés ou transférés sur la route, du fait du plan de restructuration de l’opérateur historique allemand. RSE est gestionnaire de ses voies et peut en tirer des recettes.

Quelles opportunités de développement pour le fret ferroviaire local ?

Il faut reconnaître que séparer le fret en deux échelles de transport, c’est faire le contraire de la politique des décennies précédant la libéralisation, puisque la SNCF est née de la fusion des six grandes compagnies françaises de la fin des années 1930. Mais si l’on n’est pas encore sûr que ces petites entreprises arriveront à trouver l’équilibre économique, on sait que tenter désespérément de maintenir les dessertes locales au sein d’une grande entreprise ne fonctionne pas. Parmi les opérateurs historiques, tous ceux qui sont en relative bonne santé aujourd’hui se sont débarrassés à un moment ou à un autre de certaines d’entre elles. Les autres les traînent comme des boulets. Le métier de la proximité implique une organisation radicalement différente de celle de la longue distance : il s’agit bien de deux métiers très différents. Par exemple, on préférera l’emploi de locomotives de manœuvre, moins rapides que les locomotives de ligne mais moins chères, et monocabines
[3]. La fabrication du roulement des agents sédentaires implique d’autres méthodes que si les agents parcourent trop de distance pour pouvoir rentrer chez eux le soir. De même, les locomotives peuvent être dédiées à un trafic particulier et passer la nuit chez le client, alors qu’une entreprise de longue distance préférera les faire rentrer toutes au dépôt et envoyer au client n’importe laquelle. On comprend là qu’il n’est pas forcément pertinent pour une entreprise de grande taille de garder les deux types de fonctionnement à la fois : entre autres choses, un parc dépareillé donc plus difficile à entretenir, et un casse-tête d’organisation pour optimiser des roulements trop différents.
De plus, à l’heure de l’interopérabilité et des systèmes de géopositionnement, il est intéressant de pouvoir prouver que l’on peut faire du chemin de fer simplement, sur certaines dessertes. Si l’on accuse souvent le fret ferroviaire de ne pas avoir trouvé sa révolution technologique et de se tenir sur certains plans à l’écart de la modernité, il lui arrive aussi de souffrir de sa grande complexité : il ne sera pas possible de sauver certaines dessertes si trop de moyens doivent être mis en œuvre pour les assurer. Arriver à faire au plus simple prend une importance stratégique dans le domaine de la proximité. Un matériel rudimentaire, une organisation élémentaire, peuvent se révéler très efficaces s’ils sont bien en phase avec leur contexte. Les petits chemins de fer hériteront d’une réalité technique déjà complexe, pour laquelle il est nécessaire d’adapter les moyens à chaque situation. D’une part, on se doit de tenir compte de la configuration des lieux : facilité des manœuvres, possibilité de laisser le matériel sur le site du chargeur la nuit, car le transport haut-le-pied (locomotive seule) coûte cher, voie unique ou double, électrifiée ou non, proximité des ateliers de réparation du matériel roulant, etc. D’autre part, le niveau des volumes à transporter et sa saisonnalité est capital pour déterminer la rentabilité de l’entreprise : le nombre de trains assurés chaque jour détermine le nombre de machines et de personnes à déployer, et peut varier selon les saisons ou les pics d’activité des chargeurs. La présence de plusieurs clients assure plus de volumes mais une desserte commune peut se révéler incompatible.
Dans la situation actuelle, on ne verra pas se créer à très court terme des myriades d’OFP : seuls quelques-uns devraient voir le jour ces prochaines années. Ni le cadre juridico-institutionnel français, ni l’état du marché ne semblent prêts à mettre en place des structures de ce type. Non qu’elles soient mal perçues ou manquent de soutien des décideurs. Seulement, les procédures administratives et liées à la sécurité, taillées pour des entreprises bien plus importantes, sont trop lourdes pour de petites structures. Les nouveaux entrants, filiales d’entreprises ferroviaires étrangères ou d’industries ayant déjà solidité et expérience, ne sont pas partis de rien, et avaient pourtant déjà été confrontés à certains de ces problèmes. Comment les OFP peuvent-ils obtenir une licence et un certificat de sécurité alors qu’ils ne peuvent s’appuyer sur aucune expérience, que leur bon fonctionnement dans le contexte français n’est pas prouvé et que l’exploitation est conçue de la façon la plus rudimentaire pour limiter les coûts ? Quels délais, et combien faudra-t-il emprunter aux banques avant de pouvoir faire circuler le premier train en exploitation commerciale ? Combien d’années avant retour sur investissement ? C’est en partie la volonté de ne pas recréer les anciens déficits qui retarde les projets, même les plus avancés.
L’enjeu que représente la création de ces entreprises commence à faire son chemin parmi les décideurs. Une cellule d’appui a été mise en place, ainsi qu’une société de portage, afin de leur prodiguer conseil et aide financière de départ. Une loi leur permettant de gérer elles-mêmes l’infrastructure sur laquelle elles opèrent si ce sont des voies dédiées au fret, et de remettre ces lignes dans un état correct pour l’exploitation qu’elles veulent en faire, est en ce moment à l’Assemblée Nationale. Toutefois, au regard de la mauvaise conjoncture économique qui touche particulièrement le transport de marchandises, leur avenir reste incertain.


Bibliographie
Dablanc, (coord.) (2009) Quel fret ferroviaire local ? Réalités françaises, éclairages allemands, Paris, La Documentation Française, 2009.
[1] L’Union Internationale des Chemins de fer a pour mission de promouvoir le transport ferroviaire à l’échelle mondiale. Même si ses recommandations n’ont pas valeur juridique, elle joue un rôle important auprès des compagnies ferroviaires en matière d’harmonisation des techniques et procédures. Ses fiches thématiques sont respectées par les entreprises qui y adhèrent, soit la grande majorité des entreprises européennes, en tout cas les plus grandes.
[2] D’après les statistiques trimestrielles de l’UIC pour l’ensemble de l’année 2008
[3] Les machines de ligne ont en général une cabine de conduite à chaque extrémité. Les locomotives de manœuvres, qui alternent souvent marche avant et arrière, ne comportent qu’une seule cabine avec un pupitre de conduite dans chaque sens. Cela évite au mécanicien de perdre le temps de fermer la cabine, de longer la locomotive et de reprendre les commandes à l’autre bout.

20090306

Georg Simmel

Georg Simmel : Die Idee Europas.
(1915)
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Il est intéressant de relire, dans la langue originelle, ce texte du sociologue Georg Simmel qui, au cours de la I° Guerre mondiale, s’exprime autour de la notion d’Europe, et ne cesse de rappeler que cette Idée peut représenter un fil conducteur pour la paix. De quoi doit donc être tissée la conscience européenne des habitants de cette contrée ? D’abord de l’ambition d’une entente spirituelle.
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It is interesting to re-read in the original language and with a modern perspective this text by sociologist Georg Simmel. During World War I, he elaborated on the notion of a unified Europe as guiding principle for peace. What should compose the European consciousness of this new land’s inhabitants? First and foremost, the ambition of spiritual agreement.
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Toνίζουμε το ενδιαφέρον μας σχετικά με την ανάγνωση του κειμένου του κοινωνιολόγου Georg Simmel στην αρχική του μορφή.Κατά την διάρκεια του 1ου Παγκόσμιου πολέμου εκφράζεται πάνω στην έννοια της Ευρώπης και υπενθυμίζει πως αυτή η ιδέα είναι το νήμα που οδηγεί στην ελευθερία.Απο τι πρέπει να αποτελείται πλέον η ευρωπαϊκή συνείδηση των ανθρώπων αυτού του τόπου εάν δεν είναι πρώτα απ’όλα η φιλοδοξία μιάς πνευματικής αντίληψης;
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Dieses ideelle « Europa » ist der Ort geistiger Werte, die der heutige Kulturmensch verehrt und gewinnt, wenn ihm sein nationales Wesen zwar ein unverlierbarer Besitz, aber keine blindmachende Enge ist.
Darum gehören Goethe und Beethoven, Schopenhauer und Nietzsche, so deutsch sie bis zum Grunde sind, doch zu den Schöpfern von « Europa ».
Diese Idee Europa, die feinsten Säfte des geistig Gewachsenen in sich einziehend, ohne es doch seinen heimischen Wurzeln zu entreißen, wie der Internationalismus es tut, ist nicht logisch oder mit bestimmten Inhalten festzulegen; wie die anderen « Ideen » ist sie nicht mit Greifbarkeiten zu erweisen, sondern nur in einer Intuition zu erleben, die freilich erst der Lohn langer Bemühungen um die Kulturwerte der Vergangenheit und der Gegenwart ist.
Dennoch, die überhistorische Höhe, in der metaphysische und künstlerische, religiöse und wissenschaftliche Ideen ihre Unangreifbarkeit finden, begrenzt nicht die Idee Europa.
Sie ist, was man eine historische Idee nennen könnte, ein geistiges Gebilde, das zwar über dem Leben steht, aus dem es sich erhoben hat, aber ihm doch verbunden bleibt und aus ihm seine Bedeutung und Kraft gewinnt.
Gewiss ist die Idee Europa, diese einzigartige Färbung eines Komplexes geistiger Güter, charakteristisch gesondert von der des griechisch-römischen Geistes im Altertum und der katholischen Weltidee des Mittelalters - gewiss ist sie unsterblich: aber sie ist verwundbar.
Gewiss kann sie nicht überhaupt verschwinden - aber sie kann unsichtbar werden, wie der Komet des letzten Sommers, der auch nicht aus der Welt verschwindet, aber vielleicht erst wiederkehrt, wenn wir alle längst verschollen sind.
Die Idee der Wahrheit verliert nichts an ihrem Bestand und ihrer Leuchtkraft, auch wenn wir alle irren, die Idee Gottes berührt es nicht, dass die Welt ihn nicht erkennt oder von ihm abfällt; aber die Idee Europa ist mit dem auf sie konvergierenden Bewusstsein europäischer Menschen in wunderbarer Weise verbunden, wie das Schiff mit dem Gewässer, das es trägt und mit dessen Austrocknen es zwar immer noch dieses Schiff bliebe, aber seinen Sinn, Güter und Werte in sich zu bergen und von Ort zu Ort zu tragen, verloren hätte.
Es genügt nicht, dass die Idee Europa nicht sterben kann : sie soll auch leben.
Und es ist männlicher, sich einzugestehen, dass sie das für absehbare Zeit nicht wird; und diese Einsicht wird vor allem der schmerzlichen Enttäuschung gewisser vager Hoffnungen vorbeugen, die schon hier und da in der heutigen Literatur auftauchen.
Zu weit hat der europäische Hass die Geister getrennt, zu entschieden sind die Sympathien auch der Neutralen parteimäßig aufgeteilt, als dass sie die Zuflucht der Idee Europa sein könnten; zu misstrauisch und voneinander enttäuscht wird - davon sind wir wohl alle überzeugt - der Krieg auch unsere Gegner zurücklassen: der gemeinsame Hass gegen uns, der sie jetzt notdürftig und widernatürlich zusammenschweißt, wird nach Lösung dieser Spannung auf sie selbst, zwischen sie selbst zurückfluten.
Nein, die Glieder des Körpers, dessen Seele jene Idee war, sind so voneinander gerissen, dass er auf Gott weiß wie lange nicht mehr ihr Träger sein kann.
Europa hat den Begriff des »guten Europäers« verspielt, an dem wir Älteren, gebend und nehmend, teilzuhaben glaubten, sicher, dadurch in keiner Weise international, kosmopolitisch - oder wie all die wohlklingenden Übertäubungen der Entwurzeltheit heißen - zu werden, sondern gerade dadurch im Tiefsten deutschen Wesens zu sein.
Denn wie es das Wesen des Lebens ist, über das Leben hinauszugreifen, wie der Geist am vollsten er selbst ist, wenn er das berührt, was mehr als Geist ist - so scheint das Sichstrecken über das Deutschtum hinaus gerade zum Wesen des Deutschtums selbst zu gehören.
Gewiss sind uns daraus unzählige Gefahren, Ablenkungen und Einbußen gekommen: so mancher deutsche Baum ist verdorrt, weil man seine Wurzeln aus dem heimatlichen Boden herausgrub, aus Besorgnis, sein Wipfel möchte sonst nicht nach »Europa« hineinragen.
Jedoch diese Selbstmissverständnisse sollen uns nicht darüber täuschen, dass die europäische Sehnsucht dennoch aus der echten Wurzeltiefe der deutschen Seele stammt.
Gerade hierin liegt aber unser Trost, wenn nun auch die Idee Europa in unseren Verlustlisten steht und von ihr nur dasselbe, was von all den geliebten Namen in diesen bleibt: Erinnerung und Mahnung.
Die Idee Deutschland wird die Universalerbin der Kräfte, die nach jener sich hinstreckten, wie von so manchen anderen, die unser früheres Leben sich in zu große Enge oder in zu große Weite verlaufen ließen, und die nun in ihre Quelle zurückgeleitet werden, um von neuem aus ihr zu entspringen.
Aber eben weil wir wissen, dass das Europäertum kein äußeres Hinzufügsel zum Deutschtum war, dass dieses Übersichhinausleben seinem innersten, eigensten Leben angehörte - darum wissen wir, dass das in seinen eigenen Grenzen erstarkte, in sich immer echter gewordene Deutschtum an einem fernen Tage der Idee Europa ein neues Leben, mächtiger und weiter wohl als alles frühere, geben und sie an ihre Unsterblichkeit erinnern wird.
Es ist, wie wenn einem Sohn sich sein Haus verschließt, vielleicht in Entzweiung und Bitterkeit; nun scheidet sich, was von seinem Wesen dorther kam und dorthin ging, von dem, was er wirklich allein ist, und auf dessen Energie und Wachstum seine Zukunft steht.
Einmal aber kommt der Tag, an dem Versöhnung die Türen wieder öffnet und an dem er mit einem Reichtum zurückkehrt, wie nur die auf sich selbst angewiesene Kraft ihn gewinnen konnte; und die wiedererwachte Stimme des Blutes sagt ihm und den anderen, dass, was er in der Getrenntheit und nur für sich erarbeitete, von seiner tiefsten Quelle her dazu bestimmt war, in die alte, neuerstandene Gemeinsamkeit zu münden.

20090305

Traduction

Revue Geste, Automne 2007, N° 4, « Traduire, politiques de la représentation ».
Article de Ghislaine Glasson Deschaumes : TRADUIRE ENFIN L’EUROPE.
Résumé des passages principaux, qui consistent à montrer comment il est possible de rabattre l’Europe sur le pli de la traduction.
Christian Ruby
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A quoi sert donc de traduire ? « Assurément, il s’agit de passage, d’ouverture dans un paysage, dont les conséquences ne sont pas anodines ». D’une façon ou d’une autre, traduire c’est faire entrer par effraction ou par invite le regard de l’autre dans sa propre langue et ses modes symboliques dans son propre champ de représentation. Et pour celui qui est traduit, « c’est accepter (plus ou moins) de voir son texte travaillé par la langue d’arrivée et le contexte d’arrivée dans un double sens de perte et d’enrichissement ».
Mais de ce fait, traduire, c’est aussi un geste politique. S’y mêlent le projet d’hospitalité et l’acte colonial par excellence, l’assimilation. Encore est-ce considérer que toutes les langues peuvent être mises à pied d’égalité, et qu’il n’existe pas de hiérarchie des langues.
De manière patente, montre alors l’auteure, la traduction peut constituer une proposition pour l’Europe. Mais celle-ci nous éloigne des implications idéologiques du mot d’ordre de « dialogue des cultures ». En quoi ce thème du dialogue fait-il écran à la traduction. En ce qu’il occulte dangereusement les conflits potentiels et maintient l’idée que ce sont des entités homogènes qui dialoguent, et non des peuples.
Il faut donc signaler, affirme l’auteure, les numéros de la revue Transeuropéennes, qui opposent au « dialogue des cultures » le concept de « traduire entre les cultures ». Il faut travailler sur la réalité des différences et des différends. « Parler de « traduire entre les cultures », c’est poser la question des interactions, des passages, des nœuds entre les langues, entre les imaginaires, entre les modes de représentation voire les systèmes d’organisation des hommes ».
A l’inverse, exclure, c’est interdire à l’autre ; aux autres, d’entrer. Exclure prive un corps social de membres potentiels, considérés comme inacceptables, car hétérogènes. Exclure nous parle de clôture, de fragmentation, de sélection. Exclure,c’est refuser le geste de la traduction.
Et les régimes autoritaires aussi passent par une stratégie d’évitement de la traduction.
« La France est un pays où l’on traduit beaucoup de livres, mais de moins en moins de films à la télévision. La France est pourtant un pays qui ne s’est jamais mis à la traduction. Ce que l’on a coutume d’appeler le modèle républicain a exonéré de toute hospitalité réelle et de toute exclusion affichée. Le projet consistant à inclure les différences dans une identité politique abstraite marquée par la prédominance du libre-arbitre individuel et à créer un socle de compréhension mutuelle a partir de cette seule identité a failli à inclure, et de fait a exclu. »
La crise de ce modèle, conclut l’auteure, révèle ce dont nous avons désespérément besoin, à savoir un processus de traduction interne.
Et elle affirme alors :
« Nous sommes loin d’une stratégie européenne de traduction qui irriguerait le projet politique européen. Il n’existe pas de translation mainstreaming. Il n’existe pas dans l’Union européenne, pour des raisons d’attachement des Etats à leurs compétences, mais aussi par manque de courage politique, pour lancer des orientations ambitieuses, de politique des langues en Europe qui pourrait faire qu’une culture multilingue devienne une culture de la traduction, et que celle-ci à son tour soit une composante amplement partagée de l’Union ».
Et voici la morale politique de l’affaire : « Négocier les différences à travers la traduction est pourtant un moyen non seulement de démocratiser la société, mais de démocratiser l’Union européenne en tant que projet. »
Enfin, l’auteure nous renvoie à Jacques Derrida et à son texte l’Autre Cap (1991), dont elle extrait cette citation : « une Europe qui précisément consiste à ne pas se fermer sur sa propre identité et à s’avancer exemplairement vers ce qui n’est pas elle, vers l’autre cap ou le cap de l’autre, voire, et c’est peut-être tout autre chose, l’autre du cap qui serait l’au-delà de cette tradition moderne, une autre structure de bord, un autre rivage ».


20090304

Art Public

Art public en Europe.
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On sait que chaque nation a, longtemps, déployé sur son sol une statuaire marquée au sceau de l’idée qu’elle se fait d’elle-même et de son opposition aux autres nations. Les mouvements artistiques modernes ont quelque peu déstabilisé cette ancienne statuaire. La question est de savoir quel type d’art public l’Europe et l’Union européenne sont décidées à faire émerger sur leur sol.
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For ages, each nation deployed on its soil a statuary engraved with the representation it held for itself and that differentiated it from other nations. Modern artistic movements have somewhat destabilised this ancient representation. The question today is to know what type of public art will emerge from Europe and the European Union.
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Bedrohung aus dem Sprichwörter : David Cerny, in Juste-Lipse Gebaude (Bruxelles). Und, seit Jahren entstanden im Zeitraum weit über hundert Werke im öffentlichen Raum.
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Γνωρίζουμε πως ο κάθε λαός ανέπτυξε την δικιά του γλυπτική τέχνη σφραγίζοντας την με την ιδέα πως αναπτύσσεται από μόνη της και πως αντιτίθεται με αυτήν των άλλων λαών.Η ανάπτυξη της σύνγχρονης τέχνης αποσταθεροποιήσε αυτήν την αρχαία τέχνη. Το πρόβλημα είναι να αποφασίσουνε η Ευρώπη και η Ε.Ε ποιου είδους δημόσιας τέχνης θέλουνε να αναδύσουνε στα εδάφη τους.
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A l’heure où la Fondation Bauhaus (Dessau) voit Philipp Oswalt prendre les rênes de l’Institut, quelques 90 ans après sa fondation par Walter Gropius, avec un projet de « ville rétrécie » (Schrumpfende Städte), il convient de revenir sur les rapports de l’art et du public.
On sait notamment que chaque nation a, longtemps, déployé sur son sol une statuaire marquée au sceau de l’idée qu’elle se fait d’elle-même et de son opposition aux autres nations. Les mouvements artistiques modernes ont quelque peu déstabilisé cette ancienne statuaire. La question est de savoir quel type d’art public l’Europe et l’Union européenne sont décidées à faire émerger sur leur sol. Certes, il y a peu d’initiatives proprement européennes sur ce plan. Et même parfois les propositions artistiques faites autour de l’Idée d’Europe sont indigentes. Raisons de plus pour ouvrir un programme d’analyse sur ce plan, dans le Spectateur européen.

Heinz Mack hat eine Vielzahl von Plätzen und Räumen gestaltet und dabei Orte menschlicher Begegnung geschaffen. Das vom Künstler gestaltete Buch ist diesen stets unter individuellen Voraussetzungen entstandenen Werken gewidmet.
Überzeugt, dass Kultur immer auch Großstadtkultur ist, und fasziniert von monumentalen Dimensionen, realisierte Heinz Mack schon seine ersten Werke unabhängig von den Bedingungen, denen Kunst in Museen unterworfen ist. So entstanden im Zeitraum eines halben Jahrhunderts weit über hundert Werke im öffentlichen Raum, mit denen Mack, dank der komplexen Variationsbreite seines Schaffens, unter den Künstlern eine Sonderstellung einnimmt, was in dem vorliegendem Buch zum ersten Mal umfassend dokumentiert wird. 
Die monumentalen skulpturalen Werke dominieren im öffentlichen Raum; aber auch großdimensionierte Mosaike, Wandmalereien, Metallreliefs und Glasfenster in Kirchen und in Foyers von Firmenzentralen hat der Künstler geschaffen, beispielsweise die »Große Stele« in Stuttgart, den »Jürgen-Ponto-Platz« in Frankfurt a.M. und die Bauausstattung der Kapelle des Collegium Marianum in Neuss. Besonderes Interesse verdienen seine Licht-, Wasser-, Stein-Ensembles, die belebten Stadtplätzen einen Mittelpunkt geben und bei der Bevölkerung eine hohe Akzeptanz gefunden haben. 
Das vorliegende Buch zeigt in rund 280 Abbildungen auf Großformat ausschließlich realisierte Werke. Sie werden in ausführlichen Legenden kommentiert und in den Kontext theoretischer Reflexionen von Heinz Mack zum kontroversen Thema »Kunst am Bau« gestellt.
Jene, in den letzten fünf Jahrzehnten entstandenen Arbeiten, sind nun erstmals in einer großformatigen Publikation mit über 280 farbigen Abbildungen zusammengestellt. Nicht zuletzt ist Macks Buch auch ein facettenreicher Diskurs über die theoretische Seite seiner Kunst und so ein Standardwerk der Kunst im öffentlichen Raum. [baumagazin.de]


Site allemand :
www.hirmerverlag.de/controller.php?cmd=detail&titelnummer=4065

Pour comparer on se reportera aux aventures londoniennes suivantes :
Sur la place Trafalgar, le maire, Ken Livingston, a voulu déboulonner les vieilles statues des héros oubliés des guerres coloniales : “ Il est peut-être temps de les déplacer et de mettre à leur place des figures connues des Londoniens ordinaires et des gens du monde entier ”. Une coalition de militaires à la retraite l’a fait reculer. Le débat s’est alors déplacé sur un socle de granit laissé vacant sur la même place, depuis son érection (1841, pour une statue équestre de Guillaume IV). Andréa Shlieker est chargé d’un projet. Ce commissaire affirme : “ Un choix consensuel sur la durée n’est plus possible aujourd’hui. L’histoire a été trop cruelle. De Staline à Sadddam, les hommes de marbre ont été mis à bas. Un artiste contemporain ne souhaite pas davantage réaliser une œuvre permanente. Pour toutes ces raisons, nous avons décidé de procéder à une rotation ”. Désormais donc, chaque année, ce socle recevra une nouvelle sculpture.

Enfin, l’œuvre commanditée par la République tchèque pour le bâtiment du Conseil de l’Europe à Bruxelles (à l’occasion de la présidence de l’Union par la République tchèque), Entropa, signé de David Cerny, apporte une dernière touche à une question à débattre : il s’agit d’une installation dans laquelle chaque pays européen est représenté par un cliché moqueur synthétisant les « préjugés des autres ». Les Français sont représentés par le mot « grève », les Allemands par des autoroutes formant une croix gammée, et les Italiens par leurs joueurs de foot qui se tripotent le short, les Roumains sont affichés en train fantôme dédié à Dracula, les Belges voient la Belgique couverte de pralines, les Suédois sont couverts d’un immense carton Ikea… Si l’œuvre fait scandale, il n’empêche que les préjugés sont tenaces en Europe et entre européens. Bonne occasion de travailler à leur encontre.
Il est vrai que sur le plan des clichés, les habitudes ne se perdent pas. Une enquête récente publiée en Allemagne souligne ceci :

Die europäischen Nachbarn der Bundesrepublik halten die Deutschen vor allem für gut organisiert, akkurat und leicht pedantisch. Das ergab eine Studie der GFK Marktforschung, in der rund 12 000 Bürger in Deutschland, Frankreich, Gorssbritanien, Italien, den Niederlanden, Österreich, Polen, Russland, Tschecien und der Türkei befragt wurden. Jeder fünfte Niederländer beschreibt die Deutschen als nette und freundliche Menschen, immerhin ein Fünftel der Franzosen betont die Partnerschaft mit den europäischen Nachbarn. In Russland, gebe acht Prozent der Menschen an, dass sie die Deutschen mögen. Allerdings : Nahezu jeder fünfte Tscheche hält die Deutschen für arrogant, acht Porzent der österreicher sagen spontan, dass sie die Deutschen nicht mögen, und knapp jeder zehnte italiener verbindet Deutschland immer noch mit Hitler und den Nazis.

Cela dit, pour revenir sur le Bauhaus, deux mots du nouveau directeur (Der Spiegel).

" Man muss das Bauhaus heute anders denken, als es der etablierte Mythos nahegelgt. Schon das frûhe Bauhaus war ja eine dynamische Angelegenheit, mehr Projekt als Institution. Die Gegend um die Stadt Dessau, wo die Schule zwischen 1925 und 1932 angesiedelt war, liesse sich als frühes Silicon Valley bezeichnen. Das war ein Hisghtech Standort, hier sassen die weltweit wichtigsten Chemiebetriebe und der Flugzeugbauer Junkers. Es war zugleich eine Region mit reformerischem Geist, mit einer starkent Arbeiterbewegung.
Heute haben wir die umgekehrte Situation : eine entindustrialisierte Region, hohe Arbeitlosigkeit, starke Abwanderung.
Am haltent Bauhaus verstanden sich viele Professorent als Weltverbesserer. Es gab früher diese Utopie, eine neue Welt zu schaffen, in der alle Konflikte und Widersprüche aufgelöst sein würden. Heute haben wir diese naive Hoffnung verloren und gelernt, dass Utopien nicht genug sind. Wir bauchen zuerst Analyse, Reflexion. Das ist es, was das Bauahaus heute leistent kann, ich nenne es eine reflexive Moderne. "


Enfin, il faut tenir compte aussi du fait que les questions d’art public sont sans cesse retravaillées par les artistes.
Un exemple : Un atelier d’artiste dans un Collège de Montpellier. Si l’expérience n’est pas inédite, elle mérite qu’on la relate. D’autant que, à cette occasion, Valérie Ruiz focalise son attention sur les démarches plutôt que sur les résultats.
L’intérêt de ce travail réside dans le fait que l’artiste n’arrive pas dans le Collège avec l’idée déjà élaborée d’une œuvre-objet précise à entreprendre. L’artiste cadre d’abord sa démarche, afin de la mettre à l’épreuve du Collège, et donc d’un public à la fois difficile à cerner et captif. Afin de ne pas rendre le projet stérile d’emblée, elle se propose de laisser une grande marge de manœuvre à l’invention dans le cadre même de la résidence. Mieux vaut souvent contourner les attentes un peu figées des uns et des autres, collégiens, enseignants, administration, attentes modélisées à partir de l’image médiatique de l’artiste ou de l’œuvre d’art, et offrir une ouverture de champs à tous : du champ du regard, du champ esthétique, du champ artistique, …
Seule manière aussi de pratiquer son art, et notamment d’explorer de nouvelles matières, de nouveaux gestes, espaces ou propositions. L’artiste insiste sur ce point à partir d’un paradoxe : il faut savoir donner de la fragilité de sa place le potentiel le plus haut de sa richesse. De ce fait, elle cherche d’autant plus à éclaircir sa réflexion à partir d’un dialogue permanent avec les collégiens et le personnel global du Collège.
Certes, l’artiste n’arrive jamais vierge dans un lieu de résidence. Il arrive avec ses réflexions habituelles, avec ses démarches, mais il doit s’introduire dans un autre climat que celui dans lequel il travaille quotidiennement. Pour cela, il lui faudra d’abord identifier ce nouvel espace et ses occupants. Voilà qui est même plus intéressant que d’arriver dans un lieu avec l’idée préconçue d’une œuvre à transporter de l’atelier dans le lieu de dépose.
L’artiste découvre qu’il convient de concevoir « les explorations nécessaires pour investir l’espace de manière toujours plus juste sans désorganiser à outrance le rythme quotidien du lieu ». Non seulement, il s’agit là de respect mutuel, mais plus précisément, cette attention permet de comprendre qu’il ne suffit pas qu’un lieu accueille un projet artistique. Il faut que l’artiste sache le porter et le défendre en assumant sa présence dans un lieu qui a déjà son propre fonctionnement. La rencontre des deux démarches, tant qu’elle laisse l’artiste libre de son travail, porte des explorations nouvelles et mutuelles.
Le travail de l’artiste s’est déployé en trois moments (non successifs) : le premier a consisté à tisser un univers humain, désamorçant les idées reçues des uns et des autres sur l’autre (l’artiste sur le collège et le collège sur l’art) à l’aide d’une présentation de documents portant sur le travail de l’artiste ; le second relevait d’une proposition de recherche attachée à l’exploration spatiale et intellectuelle développée dans le contexte ; le troisième, plus concret, contribuait à mettre les esquisses progressivement dégagées en forme : esquisses des œuvres composant un univers en relation avec le temps écoulé et les lieux fréquentés, esquisse de thèmes de travail, tels que la violence, le sexisme, le racisme, l’argent... C’est d’ailleurs ce troisième point qui a poussé l’artiste à fixer son travail sur le thème des « Vanités ».
Au fur et à mesure du déroulement de la résidence, le choix de l’artiste s’est porté sur un projet envisageant de prendre en considération toutes les contradictions qu’engendrent une telle entreprise : un sceau de maçon, devenu acteur d’une réalité quittant les coulisses de l’atelier. A partir de ce point, il devenait possible de découvrir les limites de cette expérience et d’inventer à tâtons une manière de les dépasser. Au demeurant, les difficultés survenues sur ce chemin n’ont jamais prêté à conflit, mais toujours à des échanges fructueux : « la parole devient un phénomène magique qui transporte les spectateurs, acteurs, ici collégiens, professeurs, administrateurs, vers une transmission orale de l’univers de l’art contemporain » (Valérie Ruiz).

Enfin, on consultera avec profit :
Viaeuropea.eu : deuxième Cahier
Publiée par Lieux Publics (Marseille, France) en quatre langues, la revue électronique pour la création artistique dans l’espace public européen viaeuropea.eu convie une dizaine d’auteurs européens à réfléchir sur un thème essentiel à la création artistique en espace public à travers des textes courts et imagés : Un espace, un public restent-ils marqués par un spectacle ? Peut-on même parler de mythologies contemporaines quand la mémoire collective dépasse largement les seuls spectateurs, quand la rumeur parcourt la ville entière ? À l’inverse, comment les artistes se nourrissent-ils de la mémoire des lieux où ils interviennent ? Autant de problématiques qui sont développées dans ce deuxième Cahier intitulé "Traces".
Pour plus d’informations : www.lieuxpublics.fr

20090303

Tokyo/Paris

Op-Ed Commentary [1] : Dialogue à Paris avec un touriste japonais
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C'est une entreprise incertaine que de questionner un Japonais sur la façon dont il voit votre pays. Par peur de donner son avis, il risque peut-être de vous retourner la question. Voilà pourquoi ce dialogue à Paris avec un touriste japonais relève de la fiction improbable.

Yamagata – On m'a dit que sur cette terrasse déserte, à l'ombre de la tour Montparnasse, je rencontrerais de vrais parisiens en train de lire le journal du matin et de boire du café. Pardonnez-moi, mais avez-vous commandé un café ?
[2]

Martin – Je peux être celui que vous cherchez. Qui vous a conseillé cette terrasse ?

Y. – Le personnel de l'hôtel, quand je leur ai dit que je voulais fuir le planning décidé par les organisateurs. Ce matin, le groupe va encore faire le Sacré-Cœur et Notre-Dame, et puis ils prendront l'avion pour Londres vers 15h.

M. – Vous ne les suivez pas.

Y. – En une semaine, j’ai vu l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse, et j’ai déjà passé un an en Angleterre au moment de mes études, donc… je verrai. Le rythme du voyage est un peu étouffant. Les organisateurs nous demandent de les suivre à la trace, d’écouter le guide et de prendre une photo à l’endroit prévu à cet effet. Même si la plupart des Japonais n’ont pas de problème avec ça, j’ai fini par comprendre qu’il fallait plus de deux jours pour visiter un pays.

M. – Votre démarche est donc totalement originale.

Y. – Par rapport au touriste japonais, qui voyage couvert et resserré d’une prudence taciturne, ne parle pas l’anglais et refuse d’aller à la rencontre des locaux, oui sans doute.

M. – Couvert et resserré, comme les touristes de Montesquieu !

Y. – A cette différence près que les touristes japonais n’aiment pas non plus se rencontrer entre eux quand ils sont à l’étranger. Et puis tout de même, la culture européenne n’est pas considérée barbare, au contraire, elle est très appréciée. Elle se trouve dans l’imaginaire japonais une profondeur historique qui fait tout son prestige. La musique classique, les toiles néoclassiques et les architectures anciennes sont des arts unanimement admirés car ils n’existent pas de façon native au Japon. Les châteaux, les cathédrales, Big Ben, la tour Eiffel, le Louvre, sont comme les bâtiments d’un immense musée à ciel ouvert. Un musée d’antiquités. Heureusement, vous avez moins de séismes que nous !

M. – J’ai l’impression que le terme de “vieux continent” se dote d'une pertinence particulière sous le jour japonais. C'est l'exacte antithèse de l'accueil enthousiaste que les jeunes européens réservent à la culture japonaise. Vous savez, spécialement en France, ils lisent beaucoup de mangas, écoutent de la J-pop et jouent à vos jeux vidéos. De votre pays qui est probablement le plus moderne du monde, c’est la culture jeune qui a rayonné le plus en Europe. Au contraire, la BD franco-belge et les divers répertoires musicaux de l’Europe d’aujourd’hui demeurent totalement inconnus des Japonais.

Y. – Mais l’Europe n’a pas été ravalée au statut de vieille gloire pour autant, puisqu’elle reste le bastion mondial du luxe par excellence. Doués d’un matérialisme sans complexe, les japonais sont friands des accessoires importés d’Italie et de France. Beaucoup de jeunes femmes ne se séparent jamais de leur sac Dior quand elles doivent sortir. Certains articles qui en Europe sont d’abord l’apparat des élites fortunées, sont au Japon aussi bien prisés par les classes moyennes, qui sont prêtes à fournir un effort financier important pour accéder à l'élégance à l'européenne. Pour ceux qui ne peuvent plus se permettre ces achats depuis la crise, les grandes enseignes commencent même à proposer des offres de location. Et puis l’Europe, c’est aussi des gastronomies riches et variées. Au Japon, on aime le vin français, et spécialement le beaujolais nouveau dont on se sert parfois pour remplir des piscines. On aime aussi les croissants, qui pourtant ne ressemblent pas vraiment aux croissants auxquels j’ai goûté ce matin. Comme le pain en général, qui a été revu et corrigé à l’importation… Chez nous, il a le goût et la texture d’une éponge, et les pâtisseries sans crème fourrée sont très difficiles à trouver.

M. – Les Japonais aiment mettre les choses à leur propre sauce : regardez le sort qui a été fait au christianisme, pour des raisons sans doute plus profondes que des goûts culinaires. Et puis, l’approvisionnement en ingrédients n’est pas le même – je parle des croissants.

Y. – C’est une tendance de fond : le Japon a pour coutume de s’approprier les cultures étrangères sans s'en imprégner. Si la foi catholique, introduite par les jésuites portugais dans le XVIe siècle tardif, a eu des moments de diffusion relativement importants, elle est aujourd’hui noyée dans la masse des 404 cultes de toute sorte. Il faut comprendre que les Japonais n’accordent pas une grande importance au fait de croire. C’est d’abord les actes qui comptent, c’est-à-dire se rendre régulièrement au temple (bouddhiste) ou au sanctuaire (shinto). Généralement, on décide de sa foi selon le lieu de culte le plus proche de la maison, et parfois même on est à la fois bouddhiste et shinto. Dans ce contexte de pure superstition, la foi chrétienne est changée en un gri-gri de plus, qui devrait permettre d’augmenter les chances de réussite à un examen ou à un entretien.

M. – On a déjà vu cette situation sur d’autres longitudes, au sein de l’empire romain.

Y. – Si ce n’est que le Japon contemporain, par la force de son consumérisme, s’est également approprié des célébrations de la chrétienté, pour le fun qu’elles procurent. Et en l’absence des fondations morales véhiculées par les écrits saints dès la haute Antiquité en Europe, ces fêtes ont perdu tout leur sens. Noël, dans un pays ou la cellule familiale est de moindre importance, a été perverti en la « fête des amoureux ».

M. – Cette capacité à absorber les autres cultures, d’une certaine façon, c’est un trait que le Japon partage avec l’Inde.

Y. – Je ne sais pas s’il convient de parler d’absorption ou de pur dévoiement. Car en définitive, les Japonais ne connaissent pas grand-chose aux cultures européennes, quand bien même ils les trouveraient fascinantes. Dans les rues de Tokyo, il m’arrive souvent de passer devant des devantures de magasins sur lesquelles on a importé de la langue anglaise à la va-vite. Ainsi est apparu un nouveau dialecte, l’engrish, que les responsables marketing emploient à chaque coin de phrase pour séduire le public japonais. Sans même compter les déformations de prononciation, c’est la syntaxe qui est totalement corrompue. Le sens en ressort perverti, mais personne ne semble y prêter attention. Et le phénomène est encore plus flagrant lorsque les Japonais fabriquent du franponais à partir du français, qui est devenu une marque de bon goût là où l’emploi de l’anglais a fini par lasser. L’élégance à la française, dont les Japonais se font une haute opinion, est sévèrement atteinte lorsqu’un coiffeur de Shimbashi décide de baptiser son échoppe « Belle Lecheveu ». Un autre exemple : le mois dernier, j'ai été invité à une Oktoberfest organisée en face du palais impérial, sous le soleil printanier… D’ailleurs, la plupart des Japonais ne font pas vraiment la différence entre les cultures française et allemande. Quant à l’Europe de l’Est, elle est pratiquement transparente.

M. – Les devantures de Tokyo ne sont pas sans rappeler les tatouages asiatiques que plusieurs générations d’européens se sont fait poser sans être certains de leur signification. En France aussi, peu de personnes distinguent très bien la culture japonaise de la culture chinoise. La culture coréenne quant à elle, à défaut d’être transparente, souffre d’un déficit de visibilité qui fait qu’on la confond généralement avec celle du Japon ou de la Chine.

Y. – Mais je pense qu'au Japon, on en est déjà à un stade supérieur d’ignorance, et la télé y a sa part de responsabilité. La jeunesse y a accès 24h/24 sur ses téléphones portables, depuis lesquels elle visionne une variété de programmes terrifiants d'inanité. Par exemple, ces shows où une starlette est envoyée en Afrique ou ailleurs, dans un pays en voie de développement, dans le seul but de la montrer dans des situations gênantes. Vous ne buvez pas votre chocolat chaud ?

M. – Non, je préfère touiller et attendre.

Y. – Vous avez remarqué la tête du serveur quand je lui ai répondu que j’avais déjà déjeuné ?

M. – C’est parce qu’il aurait préféré que vous consommiez.

Y. – Il n’a pas été très poli avec vous non plus !

M. – Dans les cafés parisiens, les serveurs ne sont pas obligés de souhaiter la bienvenue en cœur ou de dire merci, ni de faire une petite courbette. C’est vrai qu’ils sont particulièrement malpolis par rapport à ceux de Berlin, mais c’est sans doute pour les Japonais que ça doit être le plus choquant.

Y. – Vous dites cela parce que les services au Japon sont notoirement dévoués au client. C’est vrai qu’une fois que l’on y est habitué, c’est difficile de croire que le reste du monde ne fonctionne pas sur le même mode.

M. – C’est sans doute aussi pour ça que les touristes japonais sont aussi frileux.

Y. – Dans le métro parisien hier, quelqu’un a tenté de voler quelque chose dans le sac à main d’une mère de famille de mon groupe. Le visage de cette dame était simplement incompréhensif. C’est parce qu’à Tokyo, le civisme est tellement avancé que les gens ne voudraient même pas boire en marchant dans la rue. Discuter au téléphone dans le métro est jugé très grossier. Alors des pickpockets, impensable ! Ce contraste des cultures, à défaut d’être vraiment compris, est toutefois bien connu : les Japonais ont pleinement conscience d’être sur une île à part, qui n’est ni une simple partie de l’Asie, ni un territoire intégré à l’Occident, qu’elle fixe pourtant du regard intensément. Cela induit que si les Japonais partent volontiers en Europe en année d’études et pour le tourisme, ils sont rares à s’y installer durablement pour y travailler. Je passe sur les spécificités de l’entrée sur le marché du travail, qui se prépare deux ans avant la sortie d’université. Le fait est que la vie au Japon est jugée plus pratique que dans les autres pays, et cela tient beaucoup au fait que les Japonais apprennent rarement une langue étrangère sérieusement, y compris l’anglais international. Même les femmes, qui forment une catégorie de travailleurs défavorisée par le sexisme sans complexes du marché japonais, ne songent pas vraiment à partir s’installer en Occident, encore moins en Europe.

M. – L’Europe ne serait donc pas un lieu d’enjeux économiques ? La Tokyo Tower, symbole du miracle japonais, n’est-elle pas une copie améliorée de la tour Eiffel ?

Y. – La tour de Tokyo a été ouverte en 1958. De plus, dans la même décennie, un académicien influant déclarait déjà : « Même si elle reste un lieu de villégiature agréable, l'Europe n'est plus un modèle de développement intéressant. » Alors oui, les Japonais de l’époque ont beaucoup repris et amélioré les modèles occidentaux, comme le font les chinois aujourd’hui, mais c’est essentiellement du côté des Etats-Unis qu’ils ont puisé leur inspiration au long des décennies de croissance miraculeuse.

M. – Il me semble justement que cette tendance est en train de s’altérer avec la remise en cause des règles de la mondialisation. Alors que le code civil de 1947 a été calqué sur le code civil américain, les législateurs ont aujourd’hui tendance à le faire muer vers les exemples européens, jugés plus adaptés à l’époque.

Y. – Cela est vrai, cependant la recherche du modèle le plus efficace ne fait pas tout. Le poids de l’histoire est ici colossal. Les Etats-Unis ont forcé l’ouverture de l’ère Meiji, au temps de la SDN, ils ont agit pour contenir le Japon au rang de puissance régionale, avant de se mettre à ingérer dans sa politique étrangère, de le bombarder à l’arme atomique et de l’envahir durablement. Ensuite de quoi, ils lui ont donné une Constitution qui a servie de matrice au développement dans tous les domaines, financier, économique, législatif. Le Japon post-guerre mondiale s’est modernisé en se calquant sur les Etats-Unis, qui avaient fait forte impression. Dans les années 50, 60, 70, alors que Tokyo n’était encore qu’un domaine industriel tentaculaire, les rues de New York ont frappé par leur propreté impeccable. Aujourd’hui, Tokyo est devenu une des capitales à l’urbanisme le plus avancé. Le Japon a entretenu une communication dense avec les deux Amériques, et je pense également au Brésil, vers lequel des populations japonaises ont migré en masse au début du XXe siècle. En contraste, le pays n’a eu que peu d’interactions avec l’Europe, et elles sont d’ordre militaire. Au cours du XXe siècle, listons la guerre russo-japonaise de 1905, l’alliance avec le IIIe Reich au début de l’ère Showa, et la conquête de pays d’Asie continentale ainsi libérés du joug du colonialisme de l’homme blanc.

M. – En résumé : l’Europe fascine, mais c’est les Etats-Unis qui sont pris en modèle ?

Y. – C’est cela, même s’il faut préciser que la différence n’est pas si claire dans la perception de tout un chacun. Pour les Japonais, l’Europe et l’Amérique du Nord forment une même civilisation. Cette idée se pose comme une évidence à l'esprit japonais, qui est attentif aux origines. Sur leur territoire, des chercheurs japonais en viennent parfois à falsifier des preuves archéologiques en espérant prendre l’avantage dans la course aux origines avec le rival coréen. Ce Japon-là n'oublie jamais que les Etats-Unis ont été fondés par des colons européens. L’Occident blanc est donc vu comme un bloc.

M. – Est-ce que ça signifie que si j’allais visiter Tokyo, les habitants ne feraient aucune différence entre moi et un touriste américain ?

Y. – Un gaijin est un gaijin : il est blanc, il a de l’argent, il parle mal le japonais mais bien l’anglais, et c’est suffisant pour prendre sa commande. Tous ces étrangers occidentaux sont perçus comme sympathiquement exotiques, au contraire des touristes venus d’autres pays d’Asie, qui ont simplement l’air attardé quand ils essaient de baragouiner le japonais. Mais si les occidentaux sont traités avec bienveillance, ce n’est pas pour autant que l’on s’intéresse beaucoup à eux. La culture locale, lorsqu’on la visite, est admirée : un Japonais en Italie s’enthousiasmera au sujet de la nourriture où qu’il aille. A contrario, si un chef italien renommé ouvre un restaurant à Tokyo, ses premiers clients risquent de juger les plats trop salés.

M. – Je vois. Les gaijins au Japon sont comme des pièces de musée sorties de leur contexte. Est-ce que cela ne mène pas parfois à des manifestations de racisme envers ces intrus ?

Y. – Non, parce que les Japonais sont des racistes polis. Le ressentiment historique latent, entretenu par la puissante droite nationaliste, est dirigé essentiellement à l’encontre des camps de GI américains qui subsistent depuis la défaite de 1945. Le sentiment à l’égard de l’Europe et des européens est plus complexe et ne relève pas du racisme. En premier lieu, il y a cette idée que les blancs demeurent supérieurs de part leurs accomplissements historiques. A ce titre, les Japonais ont une certaine admiration pour les accomplissements de l’Union Européenne. En second lieu, il y a ce sentiment latent d’être eux-mêmes les sujets de la discrimination des blancs racistes. Ces thèmes peuvent sembler vieillis depuis au moins les années 50, cependant ils voguent sur les antiennes de la droite nationaliste aujourd’hui encore. La bombe atomique, par exemple, aurait été larguée sur Nagasaki et Hiroshima plutôt que sur Berlin et Dresde parce que les Occidentaux détestent les Japonais. Pour reprendre la sortie d’Ishihara Shintarô, gouverneur de Tokyo et révisionniste célèbre : « You, bloody racist war criminals! ». Les officiels japonais se sont déjà excusés plus de 300 fois pour les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, mais ça n’a toujours pas l’air de suffire aux Etats-Unis et à l’Europe, qui compte pourtant des pays qui ont fait pire au temps de la colonisation.

M. – Le nationalisme japonais se représente donc un Occident belliqueux ?

Y. – Belliqueux, voire barbare au vu de certaines thèses très actuelles sur les européens, assimilés aux Juifs… Dans son ouvrage « Les Japonais et les Juifs » publié récemment, un universitaire influant faisait état de l’opposition entre les Juifs, qui se constituent à la base de peuples de pasteurs nomades, et les Japonais, qui sont des paysans vivant près de la terre. Quand les Japonais respectent la nature, les pasteurs Juifs, et par extension européens, promènent leurs troupeaux de sol en sol en stérilisant la terre, jusqu’à se faire la guerre entre eux quand l’herbe vient à manquer. Dans une logique inverse, une autre thèse plus populaire pointe du doigt l’impudeur des européens, qui se rendent cette fois coupables par leur sédentarisme. Les vieux châteaux, que les Japonais admirent, sont la preuve éclatante du conflit que les européens mènent contre la nature, en détruisant les forêts, en creusant des tunnels, en modifiant les paysages par des constructions censées tenir debout plusieurs siècles. En contraste, jusqu’à l’ère Meiji, les Japonais n’ont jamais utilisé que du bois en matière de construction. Aujourd’hui encore, dans certains temples de Kyoto, il est de coutume de détruire un bâtiment du domaine intégralement tous les 20 ans pour le reconstruire à l’identique. Evidemment, ces théories se sont beaucoup éloignées de la réalité contemporaine, si elles ont jamais été pertinentes. Dans les faits de la vie de tous les jours, les Japonais entretiennent eux-mêmes un rapport à l’écologie complexe et mitigé.

M. – Je vous écoute attentivement depuis votre arrivée mais… vraiment, voulez-vous me faire croire que vous détestez votre pays ?

Y. – Au contraire. Le Japon est le plus beau pays au monde, seulement les relations qu’il entretient avec le reste de la planète ne le présentent guère sous son meilleur jour. Le Japon mérite d’être, et doit d’abord être observé pour lui-même. C’est un pays assez intéressant pour cela.

Nicolaï d’Ornano, Etudiant (Keio University, Tokyo – Sciences Po Paris)




[1] Opinion-Editorial Commentary. Voir, sur le même modèle : http://www.nytimes.com/2009/05/20/opinion/20dowd.html
[2] Voir le pamphlet de Maurice Joly (1829-1878) :
http://fr.wikisource.org/wiki/Dialogue_aux_enfers_entre_Machiavel_et_Montesquieu

20090302

Rural

L'Europe teste ses réseaux ruraux.
Jean-Patrick Bouvard
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Se mettre en réseau, nouveau credo de notre société ou évolution nécessaire des pratiques ?
Toute société humaine se construit, par nécessité, en réseau. Les réseaux existent à tous les niveaux, à toutes les échelles et celle de l'Europe ne fait pas exception. Depuis plusieurs années, l'Union Européenne a mis en pratique une idée de réseau notamment en lien avec ses programmes d'initiatives communautaires tels que LEADER (Liaison Entre Actions de Développement de l'Economie Rurale). L'intérêt des pratiques européennes, au-delà de la question d'échelle, est l'évolution apportée à la mise en réseau par une mise en œuvre renouvelée. Quelles sont les mutations souhaitées pour la mise en réseau sous la troisième programmation LEADER+ (après LEADER I et LEADER II) et le quatrième programme LEADER dont l'innovation Leader rejoint, pour ce quatrième opus, le second pilier de la PAC (Politique Agricole Commune) et abandonne par conséquent son statut de programme pour gagner celui de «mesure».
LEADER+, initialement prévu de 2000 à 2006, s'est finalement conclu fin 2008. Troisième programme du nom, il a été enrichi de l'expérience des précédents. Il a eu pour vocation de permettre à des territoires ruraux sélectionnés de distribuer des aides financières à partir d'une stratégie de territoire constituée de fiches Action et sous l'égide d'un comité de programmation (constitué d'au moins la moitié de personnes de la société civile). La première mission du territoire retenu, nommé GAL (Groupe d'Action Locale), est de permettre l'aide aux projets innovants, dynamisant le monde rural. Pour parvenir à un développement rural, la coopération entre territoires nationaux ou européens a été directement intégrée dans les enjeux du programme. Elle a permis la création de projets partagés entre territoires structurés. La dernière mission LEADER+ est de constituer un réseau des territoires ruraux.
L'expérience LEADER est riche, l'impact de la démocratie participative ou de la coopération sur les territoires ruraux serait intéressante à étudier comme peut l'être la mise en réseau recherchée et ses effets.
Les réseaux de GAL-Leader+ ont été constitués, par exemple en France, en coupant celle-ci en cinq, la métropole partagée en quatre, plus un pour les DOM. Ces regroupements de GAL ont été appelés RIA (Réseau Inter-régional d'Animation). Ils ont connu des mises en place plus ou moins rapides, des productions très variées et des succès mitigés. Zone d'information sur la mécanique de programmation leader, d'échange sur les projets et méthodes ayant connus un succès (appelés «bonnes pratiques»), de partage d'expériences, d'idées, de difficultés, de pistes de coopération..., le RIA ou réseau Leader+ a su trouver sa place auprès des GAL. Pour peu qu'un besoin se soit fait jour et plus encore qu'un vide de réseau déjà constitué ou d'une présence antérieure d'un animateur dévolu à cette tâche ait existé, la rencontre entre GAL a été effective.
Le RIA a ainsi permis de produire une plus-value qui répondait à la logique de la mise en réseau. Chaque membre a pu bénéficier des rencontres et des transferts. La limite de l'exercice s'est fait jour avec la montée en puissance des programmes, des coopérations, des actions communes et des réflexions, et en corollaire un besoin de plus en plus fort de liaisons avec d'autres territoires structurés. Le réseau Leader+ ainsi constitué a eu beaucoup de mal à s'ouvrir et s'affranchir de la mécanique européenne constituant la vie du GAL. La difficulté a été d'attirer d'autres territoires dans l'aventure du transfert d'idées et de projets.
Le nouveau Leader est devenu partie intégrante du deuxième pilier de la PAC. Il forme le quatrième axe chargé de l'innovation en développement rural, sorte de département R&D du monde rural. Il s'accompagne également d'une volonté de mise en réseau, nouvelle, plus large, le réseau rural. Il correspond à l'idée de prendre en compte l'ensemble du deuxième pilier et de faire réseau autour du monde rural en général de ce qui le constitue en particulier. L'ensemble des secteurs, filières, territoires, groupes d'individus structurés et individus sont concernés.
Les réseaux ruraux sont en cours de constitution, de définition et d'action. La structuration envisagée est la suivante : un réseau rural national regroupant intellectuellement des réseaux ruraux régionaux. Si cela tient à une sélection des territoires candidats aux aides Leader (les GAL) différente, régionalisée au lieu d'être nationale, cela tient également compte des expériences déjà vécues et notamment des acquis Leader+.
Utopie magnifique ou fourre-tout voué à l'échec ? En tout cas, cette proposition mérite d'être suivie comme expérience de développement rural. Chaque région s'ingénie actuellement à formaliser ce que pourrait être son réseau rural, sa forme, ses missions, ses interactions. Chaque Réseau Rural doit être défini par une stratégie et des actions.
Comment arriver à mettre le monde rural en réseau ? Supra-réseau, inter-réseau ou réseau de réseau, quelle forme choisir ? A quel pilotage recourir et quelles champs d'actions envisager ? Une multitude de questions se font jour et sont en chantier pour permettre de rendre réelle cette idée de réseau rural et si possible de le rendre productif voir innovant dans les démarches de réseau global.


20090301

Grand Paris

From Greater London to the ‘Grand Paris’.
Pierre Testard
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L’ambition et l’orgueil architecturaux et urbanistiques sont souvent démesurés. Les chefs d’Etat aiment à se réaliser dans la pierre et le béton. On voit bien pourquoi. Il reste à savoir si les habitants, les citoyennes et les citoyens se retrouvent dans ces formulations du pouvoir. Deux formes de jugement peuvent, à beaucoup d’égard, nuancer les ferveurs du pouvoir : celle de l’opinion publique lorsqu’elle se constitue en moment de discussion et de débat ; celle des “étrangers” qui impose une distance avec ce que l’on prétend faire. Voici, de Londres, une autre approche des ambitions présidentielles françaises. Un échange interculturel fructueux pour les uns et les autres.
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Imagine all the over-ground railway networks of Paris covered by green corridors and large public spaces connecting the different areas of Paris. For Mike Davies, member of Rogers Stirk Harbour& Partners- the only British group of architects solicited by the French government to reflect on the possibilities of transforming Paris’s urban landscape- this would open up the centre of Paris to its periphery.
[1] It would put an end to the striking segregation which divides the city from its suburbs. This proposal is the result of a global reflection launched by the State on the idea of a ‘Grand Paris’ which would extend the limits of the city beyond the circular ring road which surrounds it, and include the 7 million people who live in the suburbs. On the 29th April, the President Nicolas Sarkozy gave a speech revealing his political and architectural ambitions.[2] He highlighted the importance for the ten groups of architect-planners consulted on the question to work together to define the outline of an urban revolution for Paris. Interestingly enough, the avowed goal of this project is to make the Parisian agglomeration an economic hub with much more appeal for investors and a space of well-being for all its inhabitants. Through a huge effort on transports, housing and economic development, by 2022, Paris is to become a huge metropolis capable of rivalling with London or Berlin as a sustainable and beautiful city at the avant-garde of modernity. Yet, one may ask what it is cities are competing for?

For Londoners used to the endless train journeys through Greater London, and for tourists charmed by the local ‘quartier’ life retained by certain Parisian neighbourhoods, this project may seem either ludicrous or irrelevant. The government’s plan, despite its unclear contours, focuses on three main points:
- A massive effort will be made for the development of transports. Plans include the construction of a peripheral tube linking the gates of Paris.
- 70000 houses per year will be constructed to expand the living space around Paris
- 10 special economic zones will be sustained, such as a biotechnological valley in the plateau of Saclay.
However, there is no evident link between these announcements. The train which should circle Paris is meant to link the principal zones of development around Paris. One wonders what other less economically reliable areas will become. Jonathan Glancey recalls that an ambitious large-scale plan aiming at giving Paris more interconnectedness and economic attractiveness has to be matched by a particular attention to the creation and nurturing of education and jobs.
[3] Indeed, there is little sense facilitating mobility and top-down economic competitiveness if the people involved do not feel these urban transformations take into account their specific lifestyles and social well-being. The projects exposed by the different groups of planners, sociologists and architects include ideas on the best ways to attain a harmonious ‘vivre-ensemble’. Roland Castro’s proposal, for instance, insists on a right of urbanity for citizens and the poetic dimension of the metropolis of the twenty-first century insofar as its landscape must be strewn with symbolic monuments which elevate its perspectives.[4] Nonetheless, this type of idea was absent from the President’s speech. It would be problematic to reduce an ambitious plan to its exterior urban expression: efficient transports and iconic buildings do not improve social well-being. Rather, it is where these transports lead one to, and what these buildings represent, which determines the health of a city. Indeed, the paradigm of space and openness, rooted in the nineteenth century haussmanian revolution, fails to recognize that the more space there is between buildings and neighbourhoods, the more people are drawn apart. Therefore, a large-scale plan can only be sustained with small-scale equivalent plans on a local level enabling ‘quartier’ life to develop. “Plans on anything like a big scale will need the involvement of many different people and sectors of Parisian society if they are to have a chance of working. They need to be matched by hundreds of small plans that will allow the streets of Paris from the Marais to Marne-la-Vallée to flourish in a way that is all their own.”[5]

Indeed, a danger regularly pointed out consists in pursuing the process of destruction of local specificities in the name of a hypothetical modernity.
[6] This argumentation led to the erection of the ‘Tour Montparnasse’, the destruction of the market of ‘Les Halles’ in the heart of Paris, the development of arterial roads, and the marginalisation of the poor in daunting rectangular buildings in the suburbs. In a sense, the will to resolve the disparities between centre and periphery through large-scale transportation plans comes down to consider the cause of the problem as its effect. Moreover, the insistence placed upon the idea of a post-Kyoto city tends to conceal social difficulties under the pretence of environmental consciousness. In a sense, even Le Corbusier’s ideal plan to erase half of the city centre “with high-quality, high-rise apartment blocks set in a new urban parkland” integrated a more social perspective of Paris.[7] Urban planners have consistently been torn apart between the fear of destroying older supposedly authentic neighbourhoods and a desire to keep up with modernity. However, these aesthetic and abstract notions exclude the social aspects of urban life. The categories of beauty and sustainability are useful to nuance objectives of productivity and self-reliance. But they neglect the justice and harmony which bind the components of a society together.

In fact, the project of a ‘Grand Paris’ is part of a larger plan to recompose the regional pattern of France and of its capital. The ‘Comité pour la réforme des collectivités locales’ suggested that the territory of Paris should be merged in a greater ensemble including the departments of Seine-et-Marne, Val-de-Marne and Hauts-de-Seine by 2014.
[8] The metropolis hence created would include 6 million inhabitants. Such an institutional reform would induce the creation of an independent urban community closing off the ‘Grand Paris’ from the rest of the Ile-de-France region in more than one way. Beyond the political motivations of a presidential majority wanting to conquer a city and a region governed by the Socialist Party, there is no apparent coherence between the institutional and urbanistic projects of a ‘Grand Paris.’ In this perspective, the plan put forward by Rogers Stirk Harbour& Partners advocates a restructuring of boroughs into larger areas with 50 or 60 mayors in total, as opposed to the current 1000 mayors present throughout the suburbs. [9] It supposes that because French mayors have actual powers- as opposed to British ones- it makes more sense to encourage common policies on a larger scale. This directly counters the politics of proximity traditionally applied in Parisian suburbs, especially in the North. It also shuns the fact that new towns built around Paris in the 1960s and 1970s were not “planned to be self-contained (unlike the British new towns), but depended on the centre for employment and were, on the whole, architecturally unfortunate.”[10] In this sense, education and employment must be encouraged for any institutional, economic, housing and ecological projects to be fruitful.

Thus, British views on the ‘Grand Paris’ tend to stress the tension between glimpses of utopia present in the architectural programs presented to the French President and the difficulties of thinking urban restructuration along with social reform. The idea of a ‘Grand Paris’ seems to express a faith in the city as a space of modern innovation. However, this full-fledged devotion to the myth of modernity overlooks the specificities of the Parisian agglomeration. The scale of Paris must be great merely because it must replicate the scheme of huge metropolises more attractive for investors and entrepreneurs than for dwellers. Extension and mobility seem to prime over connectedness and harmonisation. In this perspective, plans for a Parisian Central Park or a Grand Central Station in Aubervilliers on the model of New York betray a conception of modernity steeped in a full-fledged admiration for economic success as emodied by the United States. The program of the ‘Grand Paris’ relies on a conception of the relation between transportation and economic development. Yet, it seems that utopia could easily become megalomania if symbols and infrastructures were privileged to the detriment of recomposing social networks and opportunities.



[1] Christopher Sell, ‘Paris is full of huge canyons’, The Architect’s Journal, 19 March 2009; c.f.www.architectsjournal.co.uk/news/daily-news/paris-is-full-of-huge-canyons/1995505.article
[2] This speech was given for the inauguration of the exhibition ‘Grand Pari(s)’, open until the 22nd November 2009, at the ‘Cité de l’architecture et du patrimoine’ in Paris. C.f. www.legrandparis.culture.gouv.fr
[3] Jonathan Glancey, ‘Paris should beware these grand architectural designs’, www.guardian.co.uk, 18 March 2009
[4] C.f. www.legrandparis.culture.gouv.fr/documents/CASTRO_Livret_chantier_1.pdf
[5] Jonathan Glancey, ‘Paris should beware these grand architectural designs’, www.guardian.co.uk, 18 March 2009
[6] Ibid ; Agnès Poirier, ‘Croydon in the spring: Le Grand Paris urgently needs reshaping. But is the south London super-suburb the right model?’, The Guardian, Comment& Debate, 25 September 2008, c.f. http://agnespoirier.com/articles.asp?language=fr&Encours=25; Peggy Hollinger, ‘Sarkozy unveils grand plan to transform Paris’, Financial Times, 30 April 2009, c.f. www.ft.com/cms/s/0/0ea272bc-351f-11de-940a-00144feabdc0.html


[7] Jonathan Glancey, op.cit.
[8] www.reformedescollectiviteslocales.fr/actualites/index.php?id=75, proposition N°18

[9] Christopher Sell, ‘Paris is full of huge canyons’, The Architect’s Journal, 19 March 2009; c.f.www.architectsjournal.co.uk/news/daily-news/paris-is-full-of-huge-canyons/1995505.article
[10] Joseph Rykwert, ‘Why Sarkozy's Paris doesn't cut the mustard’, The Architect’s Journal, 18 February 2009; c.f. www.architectsjournal.co.uk/the-critics/why-sarkozys-paris-doesnt-cut-the-mustard/1990524.article