20070110

editorial

Trans.
Longtemps nous avons vécu sur l¹idée selon laquelle les organisations sociales et politiques seraient uniques et incomparables. Tel nationalisme avait d¹ailleurs ceci de paradoxal qu¹il cherchait à affirmer le caractère unique de telle nation de référence, mais qu¹il ne pouvait s¹empêche de déclarer l¹existence de ce caractère sans placer les autres nations sur une échelle, en infériorité par rapport à lui. A l¹heure où s¹affirme un horizon européen, nous devons apprendre ce faisant à dépasser tant les échelles de commensurabilité dressées pour servir de classement hiérarchique, que les idéologies associées à des imaginaires nationaux d¹unicité.
Mais, ce n¹est sans doute pas une raison pour tomber dans un autre piège, celui de la croyance en la possibilité d¹une pure coexistence de toutes choses sous la forme d¹une simple accumulation sans distinction, d¹un mélange indifférent, d¹une exubérance infinie et futile ou d¹un flux éternel. On voit bien, à la même échelle de l¹Europe, ce qu¹a de problématique le laisser-faire d¹une régulation sociale et politique soumise aux lois du seul marché.
Autant dire que, tout en faisant droit à plusieurs sources de réflexion et d¹orientation, nous cherchons, pour l¹Europe, un autre potentiel d¹action. Nous avons choisi de tenter une compréhension de la question européenne à partir du préfixe TRANS-.
Ce préfixe offre de multiples pistes d¹exploration : " par delà ", " au delà de ", " à travers ", mais encore passage et changement. Loin qu¹il s¹agisse de délimiter la signification du préfixe, cependant, nous cherchons plutôt, par ce dossier, à construire un nouvel imaginaire européen susceptible de faire droit à des processus de confrontation au sein desquels les citoyennes et les citoyens européens ont à décider de leurs orientations. Le TRANS- deviendrait, de ce fait, un moteur de transformation, obligeant à relier, rapporter les m¦urs, les objectifs, les
choix les uns aux autres, à inventer des dimensions comparatives qui ne s¹achèvent pas en échelles, en hiérarchies, ou en dominations. Par le TRANS-, notre rapport à notre présent pourrait s¹en trouver bouleversé, et l¹Europe redeviendrait notre histoire, la dimension pertinente d¹un futur proche.

20070108

Stéréotypes en Europe

Alors que l’artiste allemande Mareike Hölster vient de remporter le prix de la Junge Akademie à Berlin, avec une œuvre intitulée Die Europäerin, il est bon de revenir sur la question des préjugés et stéréotypes inter-européens, avant de s’attaquer aux préjugés des Européens à l’égard des peuples du monde. L’artiste s’attache moins aux stéréotypes urbains (les Français, c’est la Tour Eiffel ; les Britanniques, Tower Bridge) ou aux stéréotypes culinaires (l’Italien et la pizza, le Belge et la frite), voire aux échanges de stéréotypes (les Britanniques et les Froggies retourné par les Français), qu’aux stéréotypes portant sur les femmes. Sous la forme d’un autoportrait déguisé, l’artiste pose exactement sous la forme du stéréotype visé et dans le décor adéquat : l’Espagnole lascive, la Suédoise rêveuse, l’Italienne sur son scooter, etc. Le magazine Stern rapporte que « die Inszenierung löst augenswinkernd primäre Erwartungen ein und hält so einer allzu naiven Vorstellung vom kulturellent Reigne der Identitätn einen doppelbödigen Spiegel vor » (« La mise en scène, avec un clin d’œil, reste fidèle à l’attente première et présente ainsi en miroir une fort naïve représentation de la ronde culturelle des identités »). Selon le communiqué de jury, l’artiste a proposé « ein humorvolles Bild für die europäische Einheit in der Vielfalt » (« une image pleine d’humour de l’unité européenne dans la diversité »). Et la conclusion de l’article du Stern est précise dans ses objectifs : « Zum « Europe of the People », dem europäischen Wir-Gefühl, ist es eben noch ein weiter Weg » (« Il reste un long chemin à parcourir pour parvenir à une Europe des peuples, ou à un sentiment commun européen »). Il est vrai que le stéréotype ne fonctionne qu’à partir du moment où les références qu’il met en jeu sont partagées par une communauté culturelle de référence.

Des hétérophobies ?

Il arrive effectivement à chacun de se surprendre à parler d’un peuple, d’une culture ou d’une nation, sous une forme tellement « évidente » et générale qu’on finit par s’étonner de ces représentations véhiculées sur les mœurs ou les comportements des « autres », représentations ou convictions trop rapidement élevées à une dignité universelle. Ce sont pourtant bien des « évidences » dont nous nous servons souvent et que nous entendons proférer autour de nous. Il arrive même à la presse de faire sa fortune avec des enquêtes sur la manière dont tel peuple voit tel autre peuple.
Parfois de tels jugements, car ce sont des jugements, nous allons y revenir, sont seulement réducteurs : on dit Shakespeare pour l’Angleterre, Cervantès pour l’Espagne et Voltaire pour la France, comme si certains noms évoquaient non seulement des nations, mais aussi des caractères généraux et définitifs, ainsi que s’en étonne Paul Valéry (1932). Mais, ce sont plus souvent, des jugements catégoriques, voire violents, et qui dessinent des portraits en miroirs, engageant de réelles animosités.
En tout cas, en premier lieu, ces formules, ces énoncés qui ne paraissent jamais problématiques répertorient des mœurs, classent des êtres humains, délimitent des ères géographiques et culturelles. Elles les distinguent en fabriquant des écarts suffisamment grands pour éviter des risques de recouvrement. Mais, finalement, elles sont rarement bienveillantes, et glissent facilement de l’appréciation à l’insulte puis à l’énonciation d’une hétérophobie, d’une stigmatisation de la différence.
Ce sont des stéréotypes, si l’on suit la définition proposée dans un dictionnaire usuel : « idée ou image populaire et caricaturale que l'on se fait d'une personne ou d'un groupe, en se basant sur une simplification abusive de traits de caractère réels ou supposés ».
Ou celle qui est publiée dans Wikipedia : « Stereotypes are considered to be a group concept, held by one social group about another. They are often used in a negative or prejudicial sense and are frequently used to justify certain discriminatory behaviours. This allows powerful social groups to legitimize and protect their dominant position. Often a stereotype is a negative characteristic or inversion of some positive characteristic possessed by members of a group, exaggerated to the point where it becomes repulsive or ridiculous. Stereotype production is based on : Simplification, Exaggeration or distortion, Generalization, Presentation of cultural attributes as being « natural » ».
Voire dans le Bundeszentrale für politische Bildung : « Vorurteile sind vielfach vergröbernd, verallgemeinernd und vereinfachend. Weil bei der Bildung von Vorurteilen affektive und kognitive Elemente eine schwer durchschaubare Vermischung eingehen, erweisen sie sich als stabil und durch Erfahrung oder durch Argumentation nur schwer erschütterbar. Gefordert ist ein ganzes Set von Bildungsmaßnahmen, das sich nicht nur mit den einzelnen Vorurteilen und ihren Elementen auseinandersetzt, sondern auch persönlichkeitsbildende Zielsetzungen anstrebt wie etwa die Ich-Stärkung der Lernenden, damit sie sich nicht mehr auf die Orientierung anhand von Vorurteilen verlassen, sondern souverän genug sind, diese Vorurteile zu hinterfragen und für neue Erfahrungen offen zu sein. Wichtig ist darüber hinaus, Toleranz ebenso einzuüben wie den Umgang mit Fremden und Neuem ».
Écoutons, par exemple, le propos suivant, que chacun peut relire à sa source : Le Français a le goût de la conversation. Il est courtois et communicatif. Mais il est trop vif, frivole et enthousiaste. C’est, en tout cas, à ce caractère qu’on doit le risque politique que prennent sans cesse les Français de fragiliser l’Etat. Parfois, ils perdent même la raison en politique. Bref, ils sont instables. L’Anglais, lui, n’est pas aimable, mais il prétend à l’estime des autres. Il s’isole volontiers (allusion au « caractère » insulaire des Britanniques), et bénéficie heureusement d’un bel esprit de commerce. L’Espagnol est solennel, mesuré, tempéré, attaché aux lois et à la religion, mais il est constamment en retard, culturellement, rétif aux réformes politiques, cruel, surtout lorsqu’on songe aux corridas. L’Italien est vif, sérieux et émotif. Il a du goût dans les arts. Il aime les réjouissances publiques. L’Allemand a bon caractère, est apte à la vie intérieure (allusion directe au luthérianisme), s’adapte facilement au gouvernement et, actif, soigneux et économe, il ne s’oppose jamais à l’ordre politique établi. En résumé : la France est le pays de la mode, l’Angleterre, le pays des caprices, l’Espagne, le pays de la noblesse, et l’Italie celui du faste. Quant aux pays germaniques, ce sont les pays des titres.
À l’audition de cette retranscription rapide d’une description célèbre, on entend fort bien que l’énoncé de cette variété de jugements réunit presque tous les avantages ou les défauts qu’on se plaît à donner aux uns ou aux autres (par réduction), et qui prétendent qualifier l’essence ou l’identité d’un peuple (cette fois, par généralisation). Réduction et généralisation caractérisent donc formellement le stéréotype.
Cet ensemble de propos est dû à la plume d’Immanuel Kant (1724-1804), dont nous citons ici l’Anthropologie d’un point de vue pragmatique (1798). Mais, pour autant, ce n’est, en aucun cas, un propos unique. Et nous ne faisons pas mieux de nos jours, lorsque nous condensons le portrait ou la figure de l’Italien dans la pizza et le caractère volage, celle du Belge dans la frite et un certain accent, etc. Encore toutes ces images se condensent-elles sur un cadre précis, celui des nations, dont on sait, par les historiens, qu’il a sans cesse besoin de soutenir ou de renforcer sa cohésion. Cela étant, on peut étendre ce cadre, très largement (aux civilisations, aux cultures, etc.).
En somme, il semble surtout que ces phrases toutes faites produisent du sens en produisant de la différence, mais ne cherchent pas du tout à produire de la rencontre.

Significations et dangers des stéréotypes.

Ce sont, à la fois, ces phrases qui manifestent des croyances à l’égard des mœurs de l’autre, et les mises en scène de l’identité de l’autre qu’elles avancent, qu’il convient d’approcher. Ce sont des images qui prétendent décrire des « mentalités » mais fomentent des partages du sensible (des catégorisations) et transmuent un trait culturel en un stéréotype, par généralisation et réduction, confinant parfois au racisme.
Le stéréotype serait-il le signe d’une aliénation du sujet dans la langue d’un pouvoir, parce qu’il expose l’autre à n’être que l’image de ce qu’il est censé être ?
À quoi répondent ces formulations sommaires, ces représentations injustifiées, voire injustifiables, manifestant, dans la plupart des cas, bien plus que des méconnaissances, plutôt des mépris ? Procédons, dans un premier temps, au dépouillement de ces dispositifs de discours destinés à produire des effets de décalage et de décentrement, sachant que le locuteur s’y donne pour un centre de référence, voire pour LE centre de référence et expulse les prétentions de l’autre à occuper ce centre, et parfois, un centre.
À quel genre de travail sur soi et sur les autres correspond, par conséquent, la formation de ces jugements de valeur ou de goût que l’on utilise souvent comme des jugements de connaissance, parce qu’ils prétendent décrire une situation ? Eu égard à ce qui est mis au compte de tel ou tel peuple – « l’âme russe », la « dolence africaine », la « fierté espagnole », la « frivolité française », etc. – il faut apprendre à saisir la relation des processus d’identification, qu’il nous appartient de cerner ici, aux affects, si nous voulons en comprendre la signification, la portée et les conséquences.
La mise en œuvre de telles machineries de langage présuppose moins l’existence d’une réalité connue quelconque – on n’a pas besoin de chercher si tel stéréotype comporte ou non un « fond de vérité », ce n’est pas un jugement de connaissance ou de méconnaissance, puisqu’il produit plutôt la réalité dont il a besoin -, que l’existence d’un désir de la part de celui qui s’y attache, ici d’un désir d’entretenir telle ou telle relation avec l’autre.
Travail d’expression de son désir (les propriétés dénoncées sont liées à l’imagination esthésique) et travail de distinction (sans finalité cognitive) se conjoignent pour prendre la dimension d’un processus de subjectivation dont la forme est la suivante : « parce que celui-là est ainsi, moi non ! » ou, en tout cas, « moi », « je » ne le suis pas ! En formulant une différence, légitime ou illégitime (mais le plus souvent illégitime), cela n’a pas grande importance au fond, c’est une affirmation de soi et une caractérisation du mode de rapport à l’existence de l’autre qui se mettent simultanément en relief. Le stéréotype fabrique du confort pour soi, il dessine un monde qu’on ne veut surtout pas voir déranger. Mais, c’est aussi ce qui fait d’abord de l’autre un « étranger » plutôt qu’un « ennemi », en multipliant, à son égard, les attractions et les aversions. En attendant, en tout cas, qu’on le transforme en « ennemi » ! Le stéréotype est premier, et la rencontre avec le réel s’accomplit sous son égide : un Ecossais restera toujours « avare » !

La recherche et les stéréotypes.

Éclairons rapidement un élément complémentaire de ce processus. Longtemps ces stéréotypes sont restés muets aux yeux des chercheurs. Les individus les mettaient en pratique, sans théorisation, ni légitimation particulière. Les chercheurs ne les observaient pas, et ne leur trouvaient pas de signification notable. Et c’est déjà une question, cet aveuglement.
Puis, la conscience de l’existence de cette violence langagière entre groupes, peuples ou cultures, s’exacerbant, ou inquiétant plus décisivement, des questions ont été formulées. Est-il si « évident » que les persans ressemblent à Usbeck (Montesquieu, Les Lettres persanes, 1721) ? Est-il certain que les « Indes » sont « galantes », même si l’amour passe alors pour un sentiment universel (Jean-Philippe Rameau, 1735) ? Un système de renvois en miroir ou de mutualité pouvait commencer à sauter aux yeux ou aux oreilles. On commençait à comprendre que dans ces formules, les uns et les autres tiennent l’autre à distance et se tiennent à distance de l’autre.
Aujourd’hui d’ailleurs, des films (Le Pont de la rivière Kwaï pour les relations Europe-Japon, et les films humoristiques portant sur certains vécus de l’immigration), des romans (Amélie Nothomb, Stupeur et tremblements, 1999), des chansons mettent en scène les significations et les dangers de ces formules, alors que, malheureusement, en contexte européen, des émissions de télévision n’ont cessé longtemps de renouveler les ressources des stéréotypes (Christine Bravo, Union libre, sur Antenne 2) : ressources physiques, culturelles, sociales, historiques, etc.
Et, fort justement, ces films et romans nous obligent à soulever trois problèmes relatifs à ces formules. D’où viennent-elles ? Comment les nommer ? Quel est leur rapport aux expressions utilisées par les racistes : y a-t-il entre elles une différence de degré ou de nature ?
À la première question – d’où viennent-elles ? – il est d’autant plus difficile de répondre que ces formules-clichés sont, presque toujours, apprises par ouï-dire, répétées par imitation, ou par identification sans réflexion. Cependant, elles sont plus fluctuantes et changeantes (en relation avec les événements, avec les compétitions entre groupes) qu’éternelles, ce qui tend à signifier que la rumeur publique peut en fabriquer au gré des rencontres et en multiplier les accents : virer au sentiment d’hostilité voire de discrimination.
À la deuxième question – celle de la nomination : stéréotype ou préjugé ? -, il convient de répondre en réfléchissant sur le sens des termes utilisés, car “ stéréotype ” réfère à un mode de fonctionnement social du langage (un cliché commun à un groupe) dont il faut ensuite analyser l’usage, tandis que « préjugé » est un terme hérité du XVIII° siècle, qui prétend mettre en relief une disposition de l’esprit à l’erreur (son obscurantisme, ses ténèbres), dont on pourrait combattre les traits par une formation savante appropriée (celle de la raison). Or, on voit bien qu’on ne corrige pas un stéréotype, auquel « on » tient par des affects, en lui opposant simplement une vérité ou une expérience objectives. Ces « vérités » de sens commun que sont les stéréotypes ne sont pas fondées en savoir ou en ignorance. Le stéréotype est moins une affaire de connaissance que d’enracinement d’un désir dans une situation et de manière de fabriquer du commun et du sens, fût-ce par exclusive. Autrement dit, en choisissant un terme ou l’autre, on change de plan d’analyse.
À la troisième question – celle du rapport de ces stéréotypes au racisme – on ne peut répondre qu’en précisant d’abord un certain nombre de choses. Rapporter les deux phénomènes l’un à l’autre est une chose, montrer par quelle voie ce rapport est possible en est une autre. Au vrai, si le stéréotype n’est, en tant que tel, ni raciste ni meurtrier immédiatement, il peut mener au racisme ou être inclus dans le racisme sans difficulté (par combinaison et naturalisation), en lui offrant des différences soi-disant constatées à ériger en expérience intime de l’hostilité : l’artiste Beate Streuli affiche de nos jours des portraits monumentaux de personnes dans les lieux publics ; selon les lieux et le type manifesté par le portrait, il obtient l’une ou l’autre réaction. C’est dire si le rapport entre stéréotype et racisme est possible. C’est non moins conclure que la différence entre les deux est de degré et non de nature. Le stéréotype dont nous parlons ici est un mode de la xénophobie (fabrication des communautés imaginaires) ou de l’ethnocentrisme, donc du différentialisme. S’il différencie en général sans tuer, il ne peut faire barrage à des violences discriminantes à l’encontre d’un groupe, d’un peuple ou d’une culture, au contraire.
Tout cela n’est pas imagination pure, si on croit en tout cas pouvoir éradiquer de tels propos simplement en raisonnant, par une action pédagogique, ou par un acte de pure connaissance (c’était le vœu de la philosophie des Lumières face aux « préjugés »). Ce sont des phrases qui tendent à donner une certaine forme – peut-être rudimentaire, en tout cas rassurante - au milieu de notre existence, ou qui témoignent de partages au milieu desquels nous vivons et à partir desquels nous justifions les événements. Elles accomplissent tout un travail mental, satisfaisant quelque désir, quelque volonté obscure d’avoir raison et d’être supérieur à celui dont on parle. Ici, comme le remarque Paul Valéry à propos d’autre chose, « les convictions sont naïvement et secrètement meurtrières » (OC, p. 1129). D’abord on rit de ceci ou de cela, après on fait la guerre, dans la bonne conscience d’un postulat (le stéréotype) dont on peut d’autant moins se défaire qu’il est reçu par chacun comme constitutif de la réalité, au point d’aider à « expliquer » ce qui arrive….

La logique du stéréotype.

Entreprenons maintenant l’exposé de quelques observations, mais limitées cette fois au seul langage, aux formes linguistiques qui servent cette approche particulière de la diversité humaine. Nous l’avons déjà relevé, les expressions dont nous parlons constituent des jugements, et ce sont des jugements qui généralisent en fabriquant des caractères communs. Des jugements ? Oui. Parce que ces formules construisent des rapports, par exemple entre un sujet (les Français, les Anglais, les Allemands) et un prédicat (frivoles, perfides, disciplinés). Le sort de peuples entiers est ainsi fixé.
Que valent donc les jugements de ce type ? Voici un de ces jugements, dont nous allons, pour l’heure, ignorer l’histoire, qui pourtant existe et se trouve connue, grâce à quelques travaux d’historiens (François Azouvi, dans son ouvrage portant sur Descartes et la France, Histoire d’une passion nationale, Paris, Fayard, 2001). Ce jugement, le voici : « les Français sont cartésiens ». Ce jugement est fort répandu – on en fit un slogan lors du troisième centenaire de la publication du Discours de la Méthode, sous la plume de Paul Valéry (1937) : « Vous savez à quel point les caractères les plus nets et les plus sensibles de l’esprit français sont marqués dans la pensée de ce grand homme » -, il est d’ailleurs cité dans des romans, il a pour propriété de réduire les Français à une caractéristique, ici intellectuelle, et de répéter cela en ignorant tout ce qui viendrait réfuter cette reprise. Etudions-en la composition.
Supposons l’émission d’un tel jugement. En réalité, s’y donnent deux jugements corrélatifs : un jugement épistémique et un jugement subjectif. Nous produisons un jugement au sujet de propriétés déclarées objectives, constatables, visibles : Descartes est français (jugement épistémique). Puis, nous ajoutons un autre jugement au premier, qui renverse le propos (jugement subjectif) : les Français sont cartésiens, en ajoutant dans le ton quelque chose à l’égard de ces propriétés et de leur extension : c’est bien (pour un Grec, l’élégance est « parisienne ») ou c’est mal (les Français-Froggies pour les Anglais). Le jugement qui rassemble ces données et permet d’exprimer le phénomène en question : « les Français sont cartésiens », généralise et réduit des éléments. Il subsume tous les Français sous le terme de “ cartésien ” et apprécie cette qualité. En cela, ce jugement n’est ni vrai ni faux au sens où cette autre phrase : « ma table de travail est verte » est fausse, parce que ma table de travail, en vérité, est brune. On peut enquêter, on peut vérifier. On n’a pas à apprécier.
Dans le stéréotype concernant les Français, le prédicat « cartésien » ne désigne pas une propriété de la chose, même si la formule le prétend. Cette dernière s’ingénie à énoncer objectivement l’identification d’une propriété par un observateur. Donc ce jugement ne peut être ni vrai ni faux. Certes, on y utilise les termes correctement. Mais ce jugement évalue le rapport de certains aux Français ou des Français à eux-mêmes. Ce qui est en jeu, en réalité, c’est un accord ou un désaccord concernant une manière de se rapporter aux autres, ici aux Français ou des Français (par rapport aux autres Français). Ce qui importe, par conséquent, c’est moins un contenu qu’une fonction.
On peut ainsi être frappé par le fait qu’un tel jugement vise à défendre sa propre identité en déterminant une essence de l’autre. C’est en cela que le stéréotype remplit une fonction. Dans la mesure où il est posé par des êtres humains et où il concerne leurs rapports, il exprime l’intérêt de celui qui le prononce, ou du groupe qui le prononce. Plus largement, en dépassant très nettement l’exemple proposé, il n’est pas impossible de se convaincre que de tels jugements n’expriment pas des préférences individuelles, mais des préférences collectivement ancrées et déplaçables (l’immigré en France contemporaine, mais le Polonais après la Première guerre mondiale, et l’Italien en France après la Seconde Guerre mondiale). Aussi n’est-il pas étonnant que dans des pays qui vénèrent la cohésion nationale sous couleur de l’assimilation/intégration, personne ne se soit préoccupé des stéréotypes, pas même les sociologues. Je pense ici à Emile Durkheim (1858-1917) qui ne traite jamais de la question de l’incorporation des « étrangers ». Au reste, en France, aucune investigation portant sur l’intégration des “ étrangers ” n’est faite avant la Seconde Guerre mondiale.
En dernier ressort, ce jugement n’est pas sans lien, pour ce qui relève de ses thèmes, avec l’histoire, avec les confrontations entre groupes humains et culturels. Les stéréotypes sont donc des jugements qui réunissent et séparent, et varient selon les intérêts à défendre. Mais, il est bien clair qu’ils se diffusent sur le mode de l’évidence et qu’ils font croire à l’évidence de ce qu’ils profèrent. Ils diffusent de la distance et de la proximité à proportion de la nature abstraite des relations que l’on entretient avec quelqu’un ou quelques-uns, ainsi que le prétendait le sociologue Georg Simmel (1858-1918), à propos de la fonction de l’étranger dans la constitution de l’identité d’une nation (Philosophie de l’argent, 1900).

La puissance des clivages.

Il convient maintenant de s’arrêter sur autre chose. Ces jugements ne peuvent se formuler, se répandre que si des rencontres existent entre des personnes ou des peuples. Il n’y a pas d’images possibles de ce qui n’existe pas du tout pour soi. Et dans le cas qui nous occupe, ce qui entre en rapport, ce ne sont pas des « cultures » mais des personnes qui véhiculent des cultures ou les mettent en relation. Dans cette perspective, les stéréotypes contribuent à structurer des relations interculturelles, positives (rencontre) ou négatives (colonisation). Mais surtout, ils se constituent en même temps que les relations se forgent ou évoluent.
Si donc, il est question d’identité au travers des stéréotypes, c’est bien parce que les identités ne peuvent pas se poser d’emblée, sauf à être des identités « autistiques ». L’identité ne peut se construire que si elle contribue à dessiner en même temps le semblable et le différent/(différend ?). L’identité implique dans sa constitution même l’existence d’un autre dont on se démarque, en y étant relié. Une identité, une culture ne sont pas des entités stables et homogènes. Ce sont des processus plus ou moins stables de différenciation. Aucune culture ne peut se passer d’avoir ses « autres », et chacune a l’autre qu’elle peut avoir, historiquement, politiquement et sociologiquement. Les ethnologues l’ont largement exploré : les identités se constituent dans le « désir de s’opposer, de se distinguer, d’être soi » (Claude Lévi-Strauss). Les sociologues ne sont pas en reste, qui substituent « distinction » à « identité », afin d’éviter de gommer les processus. D’ailleurs, si l’on recourt à un exemple classique, il a été parfaitement montré que la France et l’Allemagne ont construit leur identité culturelle sous forme d’antithèse réciproque entre 1910 et 1940 (Edmond-Marc Lipiansky).
Entre deux cultures, deux personnes, le relationnel joue le premier plan. Le stéréotype est lui-même relationnel. Il identifie et rassure, avons-nous dit. Il se fonde sur un réalisme naïf, une « évidence » par laquelle on prend un attribut précis pour stigmate général. Il opère ensuite comme mode de perception social et politique.
Quand les défaillances de sens pour comprendre les autres et s’entendre avec eux s’accumulent, les stéréotypes viennent remplir le vide laissé. Certes, ils agissent dans la méconnaissance, et surtout dans l’ignorance des cadres perceptifs qui ont été progressivement montés par les acteurs. Ils se contentent donc d’ajuster au mieux, sur le moment, les déficits de sens et de relation. Mais, ils peuvent aussi devenir insuffisants, et être pris en mains, élevés au rang d’instrument de violence. Ils tendent alors, dans cette nouvelle fonction, à rendre l’étranger (extension abusive d’une différence culturelle) encore plus étranger (hiérarchie en posant une différence naturelle), à stigmatiser plus gravement, voire à marginaliser l’autre.

Ethnocentrisme et racisme.

Aux deux extrêmes de cet usage des stéréotypes, on distingue donc l’ethnocentrisme et le racisme. Entre ces extrêmes, les relations coloniales oscillent, adoptant tantôt une forme tantôt l’autre. Si le racisme – forme meurtrière de l’identité, fondée sur une référence à la « nature » (gènes, phénotypes, sang, par exemple), et tenant l’autre à distance dans une logique d’infériorisation - mérite à lui seul de très longues études qu’il faudra développer pour elles-mêmes, nous pouvons en revanche rappeler brièvement ici ce qu’on entend par « ethnocentrisme ». Cette expression désigne un montage d’attitudes et de comportements (y compris linguistiques) qui consiste à juger les formes sociales ou culturelles des autres en fonction des normes de sa propre cité. Que l’on se réfère à Claude Lévi-Strauss ou à W.G. Sumner (1906), l’ethnocentrisme définit une tendance à l’enfermement (des mêmes) et au rejet des autres.
Certes, il ne peut pas y avoir de culture qui ne soit pas quelque chose pour elle-même ; qui ne se représente pas avec un attachement à soi-même. Elle doit se poser comme quelque chose sous peine de n’exister pas. Elle se pose évidemment comme soi, singulier, unique, nommé, repérable. Mais de ce fait, dans l’ethnocentrisme, les différences posées par l’autre culture deviennent inaudibles (anecdotes célèbres : Au Yucatan, yucatan signifie « je ne comprends pas votre question », qui fut la réponse donnée à l’explorateur qui posa une question à un indigène en découvrant ces terres ; idem le Canada, etc.). Elles deviennent même des « anomalies ». Le groupe d’appartenance est devenu le seul groupe humain de référence, les opinions, croyances et styles de vie propres deviennent sacrés. Sont réifiés. Les « autres » doivent rester à la marge (frontière).
Mais ensuite, les choses prennent une autre tournure que révèle assez bien une enquête, ici américaine, dont les résultats cependant ne sauraient être cantonnés aux Etats-Unis. Des photos d'étudiantes sont montrées à un public test auquel il est demandé d'indiquer quels traits de personnalité caractérisent ces jeunes filles. Les commentaires varient alors selon la sensibilité de chacun aux photos. Deux mois plus tard, les mêmes photos mais accompagnées de noms typés d'origine juive, italienne ou irlandaise sont présentées au même public. Les commentaires varient, alors, selon les stéréotypes relatifs aux « origines » stipulées par les photos. Affublée d'un nom « juif », la même personne devient moins « belle » mais plus « ambitieuse et intelligente » alors qu'accompagnée d'un nom « italien », la personne devient moins « intelligente » mais plus « débrouillarde ». Un élément d'information supplémentaire devient primordial pour caractériser toute la personne.
Paragraphe "racisme".
De ce fait, loin de nous enfermer dans les seuls stéréotypes déployés entre européens, ces derniers propos nous renvoient à une autre réalité. Est-ce que la construction de ces stéréotypes, susceptibles de confiner au racisme, ne représente pas un terrible terrain d'exercice pour le racisme qui prend forme rapidement en Europe, à l'égard cette fois des peuples non-européens ? La question n'est pas tout à fait déplacée. A la fois, relativement aux types de stéréotypes et relativement aux jeux dialectiques de l'extérieur et de l'intérieur, nécessaires aux dynamiques sociales et culturelles ici visées. Aucune des figures retracées ici ne saurait avoir de valeur en soi. Chacune conquiert sa valeur dans un rapport de confrontation incessant extérieur-intérieur.

La résistance aux stéréotypes.

Cela étant, il convient de relever que l’attention aux stéréotypes s’est renouvelée au fur et à mesure des résistances et protestations à eux opposées. Il en est des témoignages historiques marquants dont les plus célèbres pourraient être rappelés : les Bretons, par exemple, refusant l’identification à la figure de Bécassine, dans les années 1970, en France. Mais cette attention a surtout été renforcée par des études sémiologiques portant sur les traits culturels. On se souvient peut-être et on peut se référer pour cela aux travaux de Roland Barthes, rassemblés dans les Mythologies. Parmi les fiches les plus connues, composant cet ouvrage, retenons par exemple : « Les Romains au cinéma » (étude portant sur les signes de la romanité dans les films sortis des Studios de Hollywood), « Iconographie de l’Abbé Pierre » (étude portant sur les signes de la Grâce et de la Dignité), « Bichon chez les Nègres » (étude d’un feuilleton de la revue Paris Match portant sur les relations de l’Occident à la Négritude), etc. Roland Barthes rend compte de toute une mythologie variée qui ne s’embarrasse guère de contradictions et de changements de signification en fonction des événements. Chaque mythologie joue en faveur du conformisme ambiant. Chaque stéréotype vise à naturaliser ce qu’on veut faire passer pour un défaut, à raison de se mettre soi-même en avant.
Il faut donc associer le stéréotype à ce que Diderot appelait, au XVIII° siècle, le « jugement public », étant entendu que par là, il visait à rendre compte de la prégnance de ces paroles qui discriminent, et qui valent moins pour l’objet de leur message (après tout, les Italiens mangent aussi de la pizza) que par la façon dont elles sont proférées. Dans ces paroles, l’essentiel est la signification que l’on veut donner à telle ou telle image.
Enfin, à l’inverse de tout ce qui vient d’être montré, il n’y a d’intérêt à ce type d’étude que si on est capable, à l’encontre des stéréotypes, de dresser un principe d’humanité favorisant la discussion entre les cultures, l’émergence de différends traités comme tels, plutôt que la guerre larvée qu’elles se mènent pour mieux dominer les autres.
Il est par conséquent possible de penser la destination des différentes cultures autrement que par énoncé de stéréotypes.



Christian Ruby, Docteur en philosophie, enseignant (Paris).

Bibliographie :

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Anderson, Lisa M. Mammies No More : The Changing Image of Black Women on Stage and Screen, Lanham, MD: Rowman & Littlefield, 1997.
Azzi Assaad Elia et Klein Olivier, Psychologie sociale et relations intergroupes, Paris, Dunod, 1998.
Barthes Roland, Mythologies, Paris, Seuil, 1957.
Bourdieu Pierre, La Distinction, Paris, Minuit, 1979.
Culture et recherche, revue, Démocratisation culturelle, diversité culturelle et cohésion sociale, Paris, Ministère de la Culture, n° 106-107, décembre 2005.
Demorgon Jacques, Complexité des cultures et de l’interculturel, Contre les pensées uniques, Paris, Anthropos, 2004.
Espaces et Sociétés, revue, Architecture et habitat dans le champ interculturel, Paris, L’Harmattan, 2003.
Goffman Erwin, Stigmate, Paris, Minuit, 1975.
Jaulin Robert, La Paix blanche, Paris, Seuil, 1970.
Lévi-Strauss Claude, Race et histoire, Paris, Gonthier, 1968.
Lipiansky Edmond-Marc, Identité et communication, Paris, Puf, 1992.
Noiriel Gérard, La tyrannie du national, Paris, Seuil, 1986.
Razac Olivier, L’Ecran et le zoo, Spectacle et domestication, des expositions coloniales à Loft Story, Paris, Denoël, 2002.
Sharpley-Whiting, Denean T. Black Venus: Sexualized Savages, Primal Fears, and Primitive Narratives in French, North Carolina: Duke University Press.
Taguieff Pierre-André, La Force du préjugé, Paris, Gallimard, 1987.
Villanova Roselyne (de) et M.A. Hily, G. Varro, Construire l’interculturel ? De la notion aux pratiques, Paris, L’Harmattan, 2001.
Wieviorka Michel, L’Espace du racisme, Paris, Seuil, 1991.

20070107

Traduction et interrogation

L’artiste Antoni Muntadas
et le cycle on translation.


Dernièrement, il était possible de rencontrer l’artiste espagnol Antoni Muntadas à la Biennale de Venise, 2005. Préparant déjà ce dossier sur TRANS, notre attention a été attirée, dans le Pavillon Espagnol, par l’exposition de son oeuvre : On TRANSLATION : I GIARDINI. Dans ce cadre, l’artiste explorait le phénomène de codification, interprétation et transformation des faits de culture contemporaine, approchés à partir de différentes perspectives. Sachant que toute perception requiert engagement, l’exposition profilait une réflexion portant sur les pensées que la mémoire attache à certains espaces publics. Un film montrait, simultanément, la manière dont les hommes s’approprient l’espace public de manière privée (notamment par l’usage du téléphone portable).
Même rapide, un relevé des différentes déclinaisons de TRANS s’imposait dans cette exposition. TRANS, c’est tout autant TRA-duire (Trans-ducere), que TRANS-férer (échange, transfert de monnaie), ou TRANS-mettre (le même standard partout dans le monde), voire TRANS-muer (s’approprier des espaces), ou encore TRANS-poser (les pavillons de la biennale de Venise depuis l’inauguration).
Aussi avons-nous demandé à Antoni Muntadas puis à Bartomeu Mari de nous aider à poser le problème à partir de cette œuvre. On sait, par exemple, que le thème ON TRANSLATION : THE AUDIENCE a été ouvert, sous la forme d’un autre cycle, par Muntadas, en 1998. Il consiste en interventions en public, sous divers médias.


Antoni Muntadas
On Translation : The Audience.


On Translation : The Audience is the title of the project that Muntadas has developped with Witte de With from October 1998 to september 1999, in various institutions in the city of Rotterdam. The work took place over twelve months, « happening » every four weeks in a different institution ; it also provides the title for an exhibition which includes other significant projects by the artist, The Board Room (1987) and Between the Frames (1983-1993). This text develops and explores essential aspects of the new work, through notions related to the concepts of translation, reception, and interpretation in today’s culture. If the field of the action is limited to institutions, the projects appeals to the critical capacity of the public to convert perception into meaning.

On Translation is the name of a series of works which Muntadas has been carrying out in various countries and in very different contextes since 1994. On Translation : The Pavillion (1995) focused on the simultaneous translations within an international summit. On Translation : The Games (Atlanta 1996) analyzed the transformation of national values and symbols during the Olympics ; On Translation : The Internet project (Documenta X, 1997) developed the translation of one sentence through 23 different languages over the internet, an its applications ; On Translation : The Transmission (Cyberconf 5, Atlanta-Madrid) dealt with the live transmission of a conference ; and On Translation : The Bank (New York, 1998) dealt with currencies exchange within the international banking system. Further elements of the project include On Translation : The Monuments (Budapest) ; On Tranlation : Culoarea (Arad) ; On Translation : La Mesa de Negocaciones (Madrid) ; On Translation : El Aplauso (Bogota).

On Translation : The Audience turns our attention to the receiver who completes the circuit of communication, to the user of culture in its most diverse manifestations, not only institutionalized, but also those which take place in the privacy at home. It is additionally a reflection of the city of Rotterdam, through eleven of its cultural institutions. The project has occupied an important place in the Witte de With web site. Through the latter, the visitor has been catapulted toward the various institutions in their electronic spaces, looping the loop that runs from image to site and site to image. Beyond the specificity of each of the institutions which have participated in the project – by welcoming the « visual artifact » whereby it is materialized, ,and appropriating - if the work has functioned as a question mark with respect to two fundamental domains : on the one hand, the public which « receives » cultural productions (who are the publics of culture today, how do they behave in the spaces specifically devoted to culture, what use do they make of cultural productions ?) ; and on the other hand, the relations between the languages, vocabularies, and grammars of the different artistic fields, and the institutions devoted to them (how do the institutions limit, protect, or separate the cultural categories and to what extent are these conventions valid instruments for understanding ?). As spaces in which social rituals are performed, cultural institutions represent zones of concentration or condensation in which we can observe the relation between the individual and the collective, where the creation of value and meaning takes place.

For Muntadas, On Translation : The Audience constitutes a « modest intervention » which places itself at the confines of visibility and perception, its discretion accentuated by its mobility. It does not fulfill a sociological or demonstrative agenda, but appears as an essay on « non-perception ». Thus the warning placed in a prominent location takes on its full meaning : PERCEPTION REQUIRES INVOLVEMENT underscores the difference between looking and seeing, listening and hearing, reading and understanding. On Translation : The Audience develops the intention to center the object of the art experience on an active exercise of the individual’s critical capacity : « What are wee seing ? » asked one of the artist’s projects, Media Eyes, as early as 1981, stressing the omnipresence of advertising language and its persistence in our visual habits.

Arts is an activity which appears through presentation and which lives in the physical and intellectual experience of the individuals. Institutions inscribed within a tradition identify as a cultural event whatever « naturally » happens within them, i.e. whatever is repeated there : they create habit. The conventions of art and culture depend on the habit of encountering certain things in certain places. As spaces devoted to perpetuation, institutions shape a landscape or circuit through which tradition and innovation flow. Unlike these « protected spaces », the public space, the street, offers an endless jostle of situations whose principle characteristic is indetermination. Muntadas has chosen intermediary spaces, transit zones where the functions mix, before the strict determination of the contents of the institution itself.

The territory of the transformation of objects and events into values is where On Translation… situates its field of activities. By translation we litterally understand the transport of the same meaning from on language to another, and by extension, from one system of signs to another. A fact inherent to all intercultural exchanges, the act of translation always constitutes an act of interpretation. And where art is concerned, it is in reception and use that the need for a critically conscious activity on the part of the receiver resides. This project is a « case of study » that considers the institution as an apparatus for transmission and translation between cultural objects and the public – an audience which is too often considered solely in terms of quantities and numbers, and not in termes of quality.


Audiences and Translation
by Bartomeu Mari.


Référence : Muntadas, On Translation : The Audience, Witte de With, Center for contemporary art, Rotterdam, 1999.


20070106

Esclavage et histoire

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